▬ Ah putain, mais je veux pas d'enfant.

Il fallait que je réalise un truc pareil maintenant, dans mes toilettes, à fixer le petit crucifix accroché au dessus de la porte – il y en avait un dans la plupart des pièces de la maison, mais sans déconner, celui-là m'avait toujours intriguée. Peut-être que vu le temps qu'on passait dans le coin, on pouvait y faire deux ou trois prières histoire de se tenir un quota, je sais pas. Retour à l'action.
Ceci dit je viens d'avoir dix-sept ans, on peut pas dire que ce soit la révélation du siècle, j'avais tout le temps pour penser à ces conneries. Jusque là, j'avais eu une enfance et une adolescence tranquille, où j'avais pas eu besoin de trop penser par moi-même, vu que ma petite famille puritaine le faisait très bien à ma place. Je me contentais de me vernir les ongles en rouge en les écoutant me demander de virer mes coudes ou mes santiags de la nappe en dentelle.

Influençable ça ouais je le suis. Par tout et par pas mal de monde. Finalement, quand je pousse des coups de gueules, ils servent pas à grand chose. J'ai fini par le remarquer, et ai arrêté de me révolter contre l'éducation super stricte de mes parents assez tôt. Je faisais tout en douce. J'aimais me cacher dans des coins de la baraque pour fumer, faire le mur et me couper les cheveux seules – notez que ça c'était quand même moins discret. Et tout le monde était content, j'étais relativement trop flemmarde et pas assez hargneuse pour faire la guerre à mes parents, et on obtenait bien plus si on était assez intelligent pour pouvoir jouer un double jeu.
Sauf que moi, forcé, je le suis pas vraiment.

▬ Fallait y réfléchir avant, pour l'instant tu vas me faire le plaisir de pisser sur ce bâtonnet !
▬ Mais je l'ai fait, putain, me soûle pas ! je réponds à mon amie derrière à porte, agitant le machin comme un éventail, stressée. J'ai pas encore assez de place pour faire les cent pas.

Mais merde, non, j'ai surtout pas envie de devenir comme eux. Je l'ai toujours compris, ça, y'a des limites à ma débilité, mais je me rends compte que finalement, l'idée même d'une famille me fait pas forcément plaisir couramment.
Faut aussi dire que là, même si c'était le cas, y'a peu de chance que le projet me branche. J'ai que dix-sept ans, je veux continuer à être superficielle et planquer des bouteilles dans les coffres à jouets qui restent dans ma chambre. Je veux pas ne plus pouvoir rentrer dans ces sous-vêtements qui m'ont coûté un bras ni ne plus pouvoir fermer mes jeans. Je veux pas repousser les mecs avec un bide énorme. Je veux finir ma petite vie peinarde à Poudlard , où je vois pas mes vieux pendant l'année, et puis aviser ensuite, pas me fatiguer à être pressée par les évènements.

Si j'y retourne, à Poudlard, et que je suis pas envoyée au couvent. L'avortement c'est un truc que mes parents risqueraient pas de cautionner.
Et je pourtant je suis surtout pas du genre à assumer un truc pareil, merde. Je veux pas quitter mon petit monde d'insouciance et le confort que me procure ma connerie. Sauf que c'est bien ces deux-là qui m'ont foutue dans la mouise. Que si ça se trouve, je vais gonfler, me faire parasiter par une vie interne, et que je serai surtout imbuvable par moments. Bonjour les changements voire sautes d'humeur, les crises de larmes, les envies randoms et sorties de nulle part. Je suis une fille à la base pas trop chiante, j'ai pas envie de devenir. Je sais pas, un clone réglé de ma mère.
Si ce bidule me présente un signe +, je peux dire adieu à mes combines, adieu à ma petite vie marrante et rêvée, et bonjour la culotte de chasteté concoctée par mes parents. Je vais gerber rien que d'y penser, et ça a pas de rapport avec ce qui se trame – ou pas – dans mon utérus.

J'attends encore un peu. C'est long putain, comme instant, et en même temps, ça me tue d'en finir quand j'ouvre un oeil.
Finalement, Alexis un peu flippée ose un « alors, grosse ? »

▬ Alors on est magistralement dans la merde.

Mais quand même moi, particulièrement.