« Je ne suis pas anglaise. »
Une affirmation. Une parole ancrée. Quelque chose qui voulait tout dire pour Agapie. Contrairement à son frère Konstantin – encore une lubie de sa mère –, elle avait vécu en Grèce. Sept ans. Ses premiers souvenirs se déroulaient en Grèce, là où le soleil frappait sa peau, là où les gens parlaient dans une langue qui lui semblait être une véritable mélodie, là où les maisons étaient si petites, mais si chaleureuses. Là-bas, on ne s’enfermait pas dans des châteaux de briques afin de se protéger. On ne levait pas le doigt en buvant le thé. On ne vivait pas avec une horloge. Mais c'était un semi-mensonge. Elle était semi-anglaise. Alors, elle était semi tout cela. Elle était semi différente. Elle cadrait à moitié, dans tout ce paysage.
La Grèce respirait la liberté, l’océan, l’air rempli de sel et le soleil, voilà.
Mais lorsqu’elle affirmait qu’elle n’était pas anglaise, cela faisait aussi référence à des souvenirs douloureux que ses parents préféraient enterrés dans une boîte, et qu’on n’y revienne jamais l’ouvrir. Elle qui était si fière de ses origines. Mais quand on est un enfant, on n'est qu’émerveillé, même si le sol tremble, se déchire et ne sème que mort.
Son père, anglais, avait voyagé – grâce aux sommes faramineuses de ses parents – jusqu’en Grèce afin de conclure un doctorat spécialisé en histoire antique. À l’époque seulement en recherche – maintenant en archéologie, également. C’était d’ailleurs étonnant que les Hastings aient encore de l’argent afin d’envoyer leur fils jusque-là ; la Première Guerre mondiale était terminée depuis quelques années et l’Europe complète était en lambeaux. Apparemment, cette horrible guerre n’avait pas contribué à la perte de la famille, mais plutôt à la hisser parmi les géants, en Grande-Bretagne. Arthur Hastings arriva là en 1930. Il y fit de nombreuses études, de nombreuses recherches et, surtout tomba amoureux d’une Grecque. Oh, c’était une véritable honte si les Hastings l’avaient su – mais Arthur n’écrivait pas grand-chose dans les lettres qu’il expédiait. Et d’ailleurs, la famille de la jeune femme ne s’en trouva pas réellement plus réjouie.
Lorsqu’elle était jeune, sa mère lui raconta que c’était surtout parce que leur amour était trop grand qu’il avait accepté qu’Arthur et Euaggalia se marient. Aujourd’hui, Agapie soupçonne surtout qu’elle était tombée enceinte d’elle.
Ils vécurent dans la maison familiale. La petite fille dont Euaggalia accoucha se nomma Agapie – afin de préserver un peu les racines grecques. Ils auraient pu vivre ainsi jusqu’à la fin de leur vie. Arthur menait ses recherches, alors qu’Euaggalia s’occupait et élevait leur Agapie.
Mais le cauchemar s’installa. Les allemands, lors de la Seconde Guerre mondiale menaçait d’entrer sur le territoire Grec. Arthur décida, pour lui, sa fille ainsi que sa femme, de s’expédier en Angleterre, qui lui semblait plus sécuritaire. Également, Euaggalia était de nouveau enceinte.
À vrai dire, ils surent à la fin de la guerre, qu’ils avaient abandonné une maison, qui étaient maintenant remplis de cadavres.

Son frère vit le jour en plein milieu des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, à la campagne chez les Hastings – qui voyait d’un mauvais œil cette femme grecque et sa petite fille. Cependant, il fut évident que cette jeune fille était la fille de leur fils ; elle était son portrait tout craché. Oui, elle avait hérité de la jolie tignasse et des grands yeux de sa mère, mais elle avait le menton, les mimiques et l’intelligence d’Arthur.
Le changement de climat ainsi que de lieux bouleversa profondément l’enfant. Elle parlait que très peu, pleurait souvent (les bruits des bombardements, des avions ainsi que l’absence de son père – qui avait été envoyé comme soldat – expliquèrent rapidement cela) et s’enfermait souvent dans sa chambre. Elle passait son temps à lire ou à fixer le mur et compter. Compter entre les bruits dehors, compter afin de s’apaiser, compter afin de vivre.
Agapie se rappelait avoir eu l’impression que tout son univers s’était vaguement écroulé. Elle se souvenait aussi à l’époque d’avoir pu passer des semaines sans parler. Elle se rappelait aussi que si elle cessait de compter, elle allait s'évanouir. Elle se souvenait d’être dans une brume épaisse.
Ces « souvenirs » sont des brumes, des impressions. Les trois années qui ont suivi leur arrivée en Angleterre, Agapie ne se rappelle que de très peu de choses. Elle pourrait vous dire la couleur du mur, par exemple, ou des draps posés sur son lit. Mais ça se limite à cela, presque. Cette période de sa vie a profondément bouleversé la personne qu’elle est devenue et constitue une amnésie presque totale.  

Puis, la guerre cessa. Son père revint, une jambe amputée. Les pleurs d’Agapie cessèrent. Et elle eut l’impression que la brume s’estompa. Elle se rappelait d’un matin de décembre où elle eut enfin – réellement – conscience de la couche blanche qui recouvrait l’Angleterre. Cela l’extasia. Elle amena d’ailleurs son frère avec elle et revint complètement congelée une heure plus tard, pas du tout habillée en conséquence de ce froid.
Ce fut dans cette foulée qu’elle reçue une lettre qui lui fut adressée : une lettre amenée par un hibou. Il y avait une lettre pour elle, une pour ses parents.
Elle était une sorcière. Et elle était invitée à étudier dans une école où on allait lui montré à en devenir une. C’était sidérant. Surtout pour un esprit scientifique comme celui de son père. Ce fut surtout à cause de sa mère que la nouvelle passa un peu mieux. Ils jugèrent bon de ne pas en parler aux grands-parents. Avant son entrée dans cette école, ils déménagèrent à Oxford dans un petit appartement, où Arthur avait obtenu un poste de professeur. Malgré le traumatisme que vivait son père à la suite de la guerre, il devait obtenir un poste afin de pouvoir faire vivre leur famille. C’était primordial.
Puis, septembre arriva. Et Agapie fut amené dans un train étrange jusqu’à Poudlard. La jeune fille eu quelques difficultés à se faire des amis, très solitaire et ayant conservé un accent grec. Elle était « étrange ». Mais rapidement, on constata qu’elle était excessivement intelligente, amassant des notes excellentes dans ses cours, malgré qu’elle étudie très peu, trop distraite par ce monde qui lui avait été inconnu pendant onze ans. Son attachement pour la sorcellerie ne se résidait pas seulement dans le fait de se sentir à sa place ou d’être capable de jeter des sorts et de comprendre comment faire une potion ; non, c’était surtout dans le fait qu’elle se sentait en sécurité dans ce château rempli de fantômes et où l’on trouvait une ribambelle de créatures plus étranges les unes que les autres.
Son intelligence, sa maladresse physique ainsi que ses difficultés sociales inquiétèrent rapidement ses parents. Son père n’ayant été que très peu présent lors des années où Agapie s’était enfermé dans un mutisme et sa mère croyait que cela révélait d’un traumatisme à la suite de la guerre qui se déroulait et de leur déménagement ne s’étaient pas réellement inquiéter des comportements étranges de leur fille. Cependant, il devint évident qu’Agapie était différente. Non pas de manière excessive, mais assez pour être inquiétant. Puis, l’été de ses douze ans, on lui diagnostiqua un syndrome d’asperger.
Il n’était pas grave, mais assez pour qu’elle ne comprenne pas réellement le sens du mot « empathie » et qu’elle ait de la difficulté à se faire des amis. Également, cela comprenait quelques troubles langagiers, mais rien de bien alarmant. Cela expliquait aussi son mutisme ; tel que mentionné par le médecin, les personnes présentant ce syndrome peuvent être sujet à des niveaux d’anxiété et de changement d’humeur différent des autres. Leur cerveau fonctionne différemment, qu’il avait dit (en faisant un geste étrange qui voulait dire des guillemets des doigts). Mais il rassura les parents que la jeune fille pourrait sans doute vivre une vie « normale ». Cela inquiéta tout de même sa mère qui failli la garder chez elle, le mois de septembre suivant. Ce fut d’ailleurs cette réaction qui arriva à chaque 1ier septembre chez Euaggalia.
Ainsi, leur fille s’enferma dans des bouquins, se passionna pour l’histoire – moldue et sorcière –, la Grèce ainsi que pour l’astronomie. Elle tenta aussi d’apprendre ce qu’était l’empathie, le sarcasme ainsi qu’à se faire des amis (sans peu de succès). Agapie eut quelques amis, mais elle ignorait si c’était parce qu’ils l’aimaient bien ou parce qu’ils avaient pitié d’elle. Mais ce fut grâce à ces personnes qu’elle fut capable d’entretenir des relations sociales un peu plus normales. Elle était trop franche, manquait de tact, semblait être dépourvue d’émotions et semblait peu comprendre les gens qui l’entouraient.
Agapie détesta pour mourir les matières où il était question d’apprendre des sorts qui visaient à détruire. D’ailleurs, lorsque l’on aborda les sortilèges impardonnables, la jeune femme vomi en pleine classe. Agapie avait besoin de calme, de sécurité et d’encadrement. Elle aimait apprendre. Mais elle détestait pratiquer. Elle se refusait à vouloir du mal à qui que ce soit. D’ailleurs, elle décida de ne manger aucune viande lorsqu’elle eut vingt ans.

« Agapie, met une robe. » Le ton de sa mère était inflexible. Cela faisait trois entretiens d’embauches qu’elle ratait, depuis qu’elle avait terminé ses études. Il n’était pas question qu’un quatrième arrive. Une robe allait la mettre en valeur et peut-être faire oublier ses difficultés à entretenir une discussion du point A jusqu’au point B.
La jeune femme avait terminé brillamment ses études à Poudlard. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle allait dégoter directement un emploi quelque part. Agapie avait terminé le cursus enseignement magique avec brio. Elle avait eu d’excellentes notes en ce qui concernait la théorie – ô seigneur, comme ce n’était pas étonnant – mais en ce qui concernait la pédagogie et créer des relations, les professeurs avaient crispés des dents. Mais elle avait réussi avec beaucoup d’efforts – et beaucoup d’anxiété, de sa part.
La jeune femme freina dans la cuisine, resta immobile, regardant hâtivement la tenue qu’elle avait mise et fit une petite grimace, elle n’avait pas envie de troquer son pantalon pour une robe. Elle remonta, sans rien dire, changea de vêtements et redescendit dans la cuisine.
Sa mère lui avait dégoté une entrevue dans une bibliothèque proche de la maison. Une bibliothèque de moldu (Agapie lui avait mentionné, sans aucun tact). Seulement, il fallait qu’elle ait un poste quelque part (même si sa mère lui avait dit qu’il n’y avait aucun problème si elle restait à la maison). Alors, si aucune institution sorcière – même Poudlard, son Poudlard, où elle se sentait si bien, si chez elle – alors aussi bien se rabattre chez les moldus.
Lorsqu’elle revint chez elle, une heure plus tard, ce fut sans aucune émotion qu’elle mentionna à sa mère qu’ils allaient probablement trouver une autre bibliothécaire.

Agapie Hastings trouva enfin un emploi, dans un petit village sorcier, en Grèce, dans une bibliothèque. Elle avait décidé de partir, de se confronter elle-même. Elle avait été terrorisée, mais elle avait été si fière d’elle-même. Agapie s’était également dégotée un petit boulot de « gardienne ». Elle aidait une femme à apprendre à lire, écrire et les mathématiques à son fils (ou la chose la plus mignonne du monde).
Elle l’occupa pendant deux ans. Jusqu’à temps qu’un poste à Poudlard se libéra. Au départ, elle postulait pour un poste d’enseignante en l’étude des moldus, mais il était déjà occupé. Se sentant prise au dépourvue, elle demanda si un autre poste était libre.
Et elle sorti de cette entrevue avec un poste de bibliothécaire, qu’elle occupe maintenant depuis deux ans. La jeune femme se sent bien, se sent à sa place parmi cette tonne de livres. Elle a retrouvé cette sécurité et ne veut plus jamais la reperdre. Elle n’a pas envie de retrouver cette anxiété, qui la dépasse, qui lui fout la trouille, qui la met dans cette brume épaisse, qui lui scie les jambes.
Elle n’a pas besoin de créer de relations avec personne. Seulement montrer aux gens où sont les livres qu’il cherche.