Les premiers rayons du soleil à travers la baie vitrée et le parfum d'un thé à la bergamote servi au cœur d'un jardin d'hiver ; dehors, la fraîcheur de la rosée du matin et les couleurs éclatantes de quelques dizaines de roses à peine écloses. Il n'est pas d'autre endroit sur Terre où Oliver ne se sente autant apaisé, autant chez lui, que dans l’écrin si hors du temps qu'est le village de Pré-au-Lard. Pour autant, ces lieux magiques doivent leur existence à un autre Poufsouffle que lui. Si le sorcier fait désormais partie du paysage pour les habitués du salon de thé, il est cependant né bien loin d'ici, à l'autre bout de l'archipel, près d'une mer qui lui manque souvent mais pas suffisamment pour en abandonner son jardin.

Si l'envie lui prenait de céder à un trait d'esprit quelque peu convenu, il irait même jusqu'à dire qu'un soupçon de magie semblait flotter autour de ce salon. C'est tout du moins la première impression que lui avait inspiré celui-ci, alors qu'il n'avait encore que treize ans. Aujourd'hui encore il se souvenait avec une clarté surprenante du jour où il en avait franchi la porte pour la première fois, attiré par les odeurs et les couleurs de la vitrine comme par un de ces aimants moldus, celles-ci lui rappelant presque douloureusement des souvenirs d'enfance dont il ne soupçonnait plus l'existence.

Aurait-il partagé ceux-ci avec qui que ce soit, que le tableau dressé aurait bien vite ressemblé à la vie de n'importe quel autre sorcier de sang-mêlé ayant grandi dans une famille sans histoire, attendant la fameuse lettre de pied ferme, s'efforçant de ne pas attirer l'attention avant de se retrouver enfin entouré des siens. La question n'était pas tant de savoir ce que le jeune Oliver avait bien pu vivre avant de finalement trouver le chemin de ce qu'il considérait désormais comme sa véritable maison, mais plutôt de comprendre tout ce qu'il n'avait pu vivre jusqu'alors.

Déjà à l'époque, le jeune homme qu'il était encore se souciait bien peu de savoir si il serait ou non un grand sorcier, et si le monde saurait lui pardonner son étrange banalité. Formé à l'art subtile des potions, son habileté quand à celles-ci se nourrissait cependant bien plus de la passion que le jeune sorcier vouait à la botanique que de l’intérêt somme toute limité que celui-ci vouait aux mixtures en tout genre. Il avait, depuis, abandonné sans regret les chaudrons au profit des samovars.

Des souvenirs lourds de son passé, il en avait abandonné bien d'autres en route. Les larmes éternelles de sa mère sur le quai du Poudlard Express, dont l'embarras dépassait toujours de loin sa propre mélancolie. L'air froid et oh combien distant de son père, toujours premier à tourner les talons devant tant d'effusions. L'indifférence dénuée de toute animosité que lui inspirait sa sœur, qui le lui rendait bien. Et, toujours à sa boutonnière, une fleur de saison. Celles-ci, ils les emportaient toujours avec lui, et ce où qu'il aille. Il espérait que quelqu'un s'en souviendrait pour lui, quand il aurait passé l'âge de les cueillir lui même, quand des bourgeons il ne resterait que les tiges.

Il n'avait jamais coupé les ponts d'avec sa famille, même si il n'en restait depuis que des vestiges, années et habitudes habilement assemblées, donnant le change pour qui ne s'y attardait pas plus d'un instant. Une carte pour la nouvelle année, un bouquet de fleurs pour un anniversaire. Toujours, des fleurs. Surtout, des fleurs. Son langage premier avant tout autre, son langage secret quand aucun autre ne saurait le servir, le libérer aussi. Fleurs fanées, fleurs piquantes, fleurs passées, fleurs sans parfum. Et puis parfois des lys. Des lys pour une pensée, des lys pour un baiser. Des lys pour un garçon. Puis un autre. Des ombres et des lumières, se partageant une vie dont il ne savait pas encore quoi faire.

Alors, quand il avait passé cette porte pour la première fois, il avait su, du plus profond de lui il avait su, qu'il avait trouvé d'où il venait sans y avoir jamais séjourné. Des saveurs et des fleurs, des odeurs et des rires pour l'affamé qu'il était. Dans ce cocon qu'il avait toujours voulu posséder, il avait poussé, il avait fleuri, il avait appris et grandi. Il était devenu l'homme qu'il était aujourd'hui. L'homme solitaire au jardin enchanté et à la porte toujours ouverte, le garçon au jardin secret le mieux entretenu de toute Grande-Bretagne, l'enfant aux fleurs éternelles.