[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Assis tout proche de l’enclos, Aksel regarde avec envie Sirrush et Enok s’occuper des dragons. Il jalouse tout autant son oncle que son cousin d’avoir hérité de ce don qui leur permet de ne pas mourir carbonisé en n’ayant rien d’autre à faire que d’être eux-mêmes. Du haut de ses sept ans, Aksel admire très profondément ces êtres imposants et dangereux ; et dans ses moments de rêveries les plus fous, il s’imagine en train de jouer impunément avec les plus jeunes à peine sortis de l’œuf, il se voit en train de caresser éhontément une femelle derrière les oreilles – parfois il l’entendrait presque ronronner – et quand il se laisse attraper par l’univers impossible des rêves, il chevauche même le plus grand et le plus fort de tous les dragons du domaine.
Rêves qui sont à milles lieues de sa réalité. Le jeune norvégien n’a pas le don inné de la famille, il n’a pas d’avenir tout tracé avec les dragons. Pour sûr, il est plus à l’aise avec ces bestioles que le commun des mortels, il a l’avantage de l’habitude et il a grandi avec les conseils avisés des Ingherneils, ce qui le rend, par avance, meilleur candidat à l’élevage de dragons qu’un élève qui aurait étudié la théorie de soins aux créatures magiques pendant cinq ans. Mais voilà, il sait aussi qu’il n’est pas aussi bon que son cousin, et parfois, il en a marre de passer après tout le monde.


[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un son strident s’échappe de la guitare que le jeune Ingherneils tient dans ses mains. Encore raté. Voilà une bonne heure qu’il s’acharne sur cet accord, ses doigts ne veulent rien savoir : ça sonne faux. Alors il réessaie. Pose un doigt sur la corde, contorsionne le reste de sa main pour tenter d’atteindre cette case bien trop loin pour ses petits doigts. Mais ce ne sont pas ses échecs qui vont l’arrêter, bien au contraire. Voilà plusieurs semaines qu’Aksel s’entête à apprendre la guitare. Il est tombé par hasard sur le vieil instrument de sa mère en farfouillant dans le grenier, et celle-ci a accepté de lui apprendre ce dont elle se souvenait. C’est dur, mais il s’accroche. Il est bien trop content d’avoir trouvé un truc à lui, quelque chose que ses cousins ne savent pas faire – bon, d’accord, pour le moment lui non plus – et surtout, il apprécie les moments de complicité qu’il partage avec sa mère, quand elle lui montre patiemment, pour la huitième fois, où placer ses doigts.  

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Peut-être que la mort est la plus terrible des prises de conscience qu’un gamin peut avoir. La vie est là, elle bouillonne dans tous les pores de la peau, puis… Plus rien. Surtout quand on s’y attend pas, qu’on était pas préparé à devoir enterrer quelqu’un. Normalement, c’est les personnes âgées qui meurent. On s’en doute, parce qu’elles sont vieilles, qu’elles sont faibles, et on peut se faire à l’idée qu’un jour viendra, elles ne seront plus là.
Mais à treize ans, quand rien ne nous y prépare, on tombe de haut et la chute du haut du pic de l’insouciance est bien trop rapide. L’atterrissage douloureux. La vue du corps de sa tante inanimé, encore pire. C’est un monde qui s’arrête. Quelques minutes d’abord, qui s’allongent en heures. Quelques jours. Toute la maison est endeuillée. Les enfants de Veronika et Kristoffer plus que tout ; mais chaque habitant de la maison a encore, brûlant au creux du cœur, un souvenir concernant la défunte. Aksel revoit les heures qu’il a passé à chanter avec elle. Elle lui apprenait des chansons moldues, des qu’il n’avait jamais entendues avant chez les sorciers mais qu’elle lui chantait avec tant d’entrain qu’il en tombait aussitôt amoureux. Elle l’aidait à retenir les paroles, le complimentait toujours sur sa jolie voix avec un sourire et le jeune Ingherneils gardait de ces moments une douce sensation de quiétude et d’amour.
Tout ce qu’il lui reste à présent, c’est les paroles moldues qu’il a tracé à l’encre de feu dans son cœur.


[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Eh Aksel ! » Trop concentré sur sa nouvelle composition, l’adolescent n’entend même pas qu’on l’interpelle. Il fronce les sourcils, mordille le bout de son crayon, et chantonne dans sa tête les paroles pour lesquelles il tente de trouver un air convenable.
« Hého, Aksel ! » Toujours aucune réaction, alors pourtant que trois cousins viennent d’arriver au pas de course. Noora, qui était jusque là nichée au creux de son cou en silence, se jette sur son carnet et mordille doucement les doigts qui le tenaient pour le faire revenir à la réalité. « Hé le musicien, t’as de la visite ! » « Hein ? » Aksel s’ébroue et lève les yeux. Il lui faut quelques instants pour quitter sa bulle et pour que sa rétine fasse le point sur Freyja, Thorun et Joakim en face de lui. Il les accueille avec un grand sourire et c’est Thorun qui prend la parole avant de lui laisser le temps de dire quoi que ce soit : « Hella nous a dit que t’as inventé une chanson sur les dragons la semaine passée ! Tu nous la joues ? Il paraît qu’elle est trop bien ! »
Le plus jeune acquiesce. Il invite ses cousins à s’asseoir, attrape sa guitare posée non loin de lui. Gratte quelques accords pour se replonger dedans… avant de se lancer.
Sa voix a mué il y a peu ; il n’a plus la douceur ni les aigus de son enfance. A la place, il a gagné en conviction et sa voix transporte les émotions mieux que jamais. Accompagné par sa guitare, il chante – et c’est comme s’il se mettait à nu, qu’il ouvrait une part de son âme. Il est vulnérable. Mais surtout, devant les yeux émerveillés de sa famille, il rayonne.


[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Papa me manque à Poudlard ». Aksel est au chevet de sa mère. Il lui tend une tasse de lait au miel, fraichement préparée par ses soins. « Enfin, je sais qu’il est rentré pour toi et il a bien fait. Mais c’était chouette de savoir qu’il était là si j’avais un problème. » « Tu as des problèmes ? » « Non, pas spécialement… Mais il a toujours le mot pour détendre l’atmosphère, tu sais bien ». Un sourire barre le visage de sa mère. Bien sûr qu’elle sait – elle n’est pas tombée amoureuse de lui pour rien. Elle glisse sa main dans les bouclettes un peu rebelles de son fils. « Tu peux toujours aller voir ta sœur si quelque chose te tracasse, non ? » Le garçon se renfrogne un peu. Bien sûr qu’il pourrait parler à Hella, elle est toujours de bon conseil… mais ces temps-ci, il évite soigneusement d’aller de lui même se confier à elle, parce qu’il sait qu’elle trouverait un moyen de le couver un peu trop. Ce qu’il supporte de moins en moins. Alors il se contente de marmonner un « Ouais » pas très convaincu, enlace sa mère une dernière fois, avant de quitter la chambre pour la laisser se reposer.