Émilien n’avait que trois ans lorsque la famille a été obligée de s’exiler en Angleterre. Il ne se souvient de rien, trop jeune pour que des souvenirs aient pu rester dans son esprit. Les seules images qu’il lui restait de sa mère et de la ville de Nice sont celles des photos, où le sourire de Clarisse De France a été immortalisé, ses yeux si semblables aux siens, à ceux de Trajan, d’Octavie. Il a grandi dans le manoir de sa grand-mère – qui n’est en réalité qu’une tante éloignée de la famille, mais qu’il a pris l’habitude d’appeler autrement. De ces années, il n’en gardait pas que des bons souvenirs. Octavie est partie à Poudlard l’année où ils sont arrivés, et Trajan l’a suivie l’année d’après. Le brusque départ de sa mère l’a laissé désorienté durant de nombreux mois, surtout qu’il avait du mal à comprendre pourquoi sa sœur devait partir loin d’eux pendant de longues semaines, pourquoi elle devait les quitter si longtemps. On avait beau lui expliquer, il refusait de comprendre. Il savait juste qu’il avait l’habitude de se réfugier dans les bras de sa mère et d’Octavie lorsqu’il en avait besoin, et qu’il ne le pouvait plus.
Il se souvenait de la crise de larmes qu’il a piqué lorsqu’on lui a annoncé que Trajan allait lui aussi partir à cette école, qu’il n’allait plus le voir que deux fois par an pendant les vacances. Mais évidemment, il n’avait pas son mot à dire. Au moins, il avait la chance d’avoir deux autres sœurs et un frère, avec qui il pouvait passer du temps. Mais ce n’était pas pareil. A cause du décès de sa mère, il vivait très mal les séparations, même si le départ de ses aînés pour Poudlard n’avait rien à voir avec la mort. Le résultat était le même : ils n’étaient plus là, et les dizaines de lettres qu’ils envoyaient ne changeaient pas grand-chose au sentiment d’abandon de l’enfant.
Il gardait de très vifs souvenirs de son père lors de cette période, bien qu’il aurait préféré ne pas en avoir du tout. Il se souvenait d’un père absent, trop souvent ivre. S’il n’était pas violent physiquement, il lui arrivait bien trop souvent d’être abusif émotionnellement, de crier sur les enfants plus âgés. Il n’avait pas souvent été la victime directe de ces sautes d’humeur, il en avait vu beaucoup trop pour faire comme s’ils n’étaient jamais arrivés.

Il se souvenait avoir compté les mois jusqu’à l’été de ses onze ans. Pour les enfants, chaque année semblait durer une éternité, et Emilien n’en pouvait plus d’être enfermé au manoir, à faire attention à ne pas croiser son père s’il s’y trouvait, s’il voulait passer une bonne journée, à tourner en rond comme un lion en cage. Au fur et à mesure des années, tous ses aînés quittèrent la maison jusqu’à ce que la dernière année, il ne restait plus que la jeune Clarisse et lui. Lorsqu’il fut temps pour lui de rejoindre à son tour l’école de sorcellerie, il s’en voulut longtemps de laisser sa sœur toute seule, sachant très bien comment lui-même se sentait à l’idée de rester seul au manoir.
Malgré cela, l’été où il a finalement reçu sa lettre fut l’un des meilleurs de sa jeune vie. Il ennuyait tout le monde autour de lui avec ça, incapable de tenir en place à l’idée d’aller enfin étudier au château. Pour lui, la simple perspective d’aller apprendre la magie était déjà un rêve en soi. S’il n’avait pas encore pu lire tous les livres de la bibliothèque au manoir, il en avait dévoré une bonne partie et n’attendait que de pouvoir mettre en pratique la théorie absorbée depuis tout ce temps. Il entendait parler de Poudlard depuis si longtemps, y mettre enfin les pieds semblait être encore un rêve irréel.

Être projeté d’un coup dans un univers si énorme l’a évidemment bouleversé, mis mal à l’aise pendant les premiers jours, voire semaines. Il a eu du mal à s’intégrer avec les autres enfants. Certains se moquaient des rumeurs qui pouvaient courir sur son nom de famille, et il n’avait pas le courage, à l’époque, de faire taire ceux qui les répétaient. Son habitude de traîner toujours non loin de ses frères et sœurs plus âgés n’aidaient pas les moqueries. Il était ce petit élève trop timide, trop timoré, aux notes bien trop parfaites. La cible rêvée pour ceux aimant asseoir leur prétendue supériorité sur ceux plus petits et moins braillards.
Sa situation s’arrangea néanmoins au fil du temps, en grandissant, prenant de plus en plus confiance en lui. L’apparition de son Patronus a d’ailleurs beaucoup aidé. C’était en décembre 1978, Emilien allait avoir 17 ans quelques mois plus tard. Il avait alors nommé son Patronus Saturnin, ce nom ayant été le premier à venir à l’esprit du jeune sorcier lorsque le husky se transformant parfois en renne miniature était apparu. Ses frères et sœurs eurent également la surprise de voir des animaux communiquant télépathiquement apparaître à leurs côtés. Pour la joie ou bien le désespoir de chacun des jeunes sorciers du monde entier, les Patronus avaient pris vie. Quand il y repense parfois, Emilien se dit qu’il doit bien y avoir plus qu’une simple erreur. Un sort, pour anéantir la menace des mages noirs en Angleterre, qui ferait apparaître les Patronus ? Pour lui, ces deux évènements sont forcément liés, ce n’est ni une erreur, ni un hasard, et c’est pourquoi il ne voit pas pourquoi l’on voudrait se débarrasser de ces êtres, en plus d’être très attaché à Saturnin, qu’il considère plus comme un être à part entière que comme une continuation de lui-même.
L’été 1979 resta mémorable dans l’esprit de tous. Passer des vacances à l’autre bout du monde avec sa fratrie et ses amis de l’école était déjà quelque chose d’extraordinaire pour Emilien. Il n’aime pas spécialement retourner au manoir. Il voit déjà tous ceux qu’il aime à l’école, en dehors de sa grand-mère, et revoir son père pendant deux mois ne fait absolument pas partie de sa situation de vacances favorite. Mais ce n’est pas pour ça que l’évènement est resté dans les mémoires, malheureusement. En vérité, presque tout le monde a oublié les mois presque paradisiaques qui se sont produits avant la rentrée de 1979. Une attaque de mangemorts eut lieu, prenant par surprise les étudiants et les professeurs, ainsi que ceux gardant le camp. Il y eut de nombreux morts ce jour-là, et parfois Emilien rêve encore de cette nuit, des corps et du sang. De ce massacre, qui ne fut pas le dernier.
L’année qui suivit fut mouvementée. Une attaque de mangemorts, un changement de directeur. Le Delacroix choisira à la fin de son cycle primaire de se diriger vers la médecine, ayant toujours ressenti un profond besoin d’aider les gens, et encore hanté par les visions d’horreur qu’il avait vécu suite à Belize, à l’impuissance qu’il a ressenti lorsqu’il ne pouvait que regarder les soigneurs s’agiter, simplement observer en priant pour que tout se passe bien.
Cette scène recommença. Le premier jour de sa première année de cycle secondaire, l’accident de train qui choqua probablement tout le pays arriva. Emilien ne fut que très légèrement blessé. Il semblait avoir une bonne étoile, une sorte de capacité qui lui permettait de passer entre les fils meurtriers de la guerre, de toujours s’en sortir sans plus d’une égratignure. Mais il fut obligé de regarder les gens se vider de leur sang, ne pouvant leur donner qu’une aide dérisoire, obligé de laisser faire les gens plus compétent que lui.
Lorsque la peste des Patronus fit son apparition, une nouvelle fois, les symptômes de l’épidémie ne l’atteignirent pas. Certains membres de sa famille n’étaient pas dans son cas, mais lui ne vit rien de plus que l’inquiétude, gardant Saturnin à ses côtés.
Plus récemment, Emilien est très inquiet de la situation politique en Angleterre. Il n’aime pas leur nouveau ministre, commence à se méfier des disciples se mettant à marquer tout le monde comme du bétail, s’inquiète pour Octavie, en fuite en ayant justement refusé de se laisser faire. Il sait qu’elle est à la recherche d’un de ses amis, qui a disparu comme de nombreux autres. Il aimerait pouvoir faire quelque chose contre ce gouvernement ; mais sa situation d’étudiant, coincé à Poudlard sans pouvoir s’en échapper pendant de longs mois, l’a longtemps empêché d’en savoir autant qu’il aurait aimé. Il n’a jamais été aussi frustré d’être encore à l’école, et cela veut dire beaucoup de chose le concernant, lui, qui est on ne peut plus inquiet sur son futur et qui serait bien capable de rester étudiant toute sa vie. Mais il sent qu’il faut qu’il fasse quelque chose, qu’il aide. Et il y a ces rumeurs d’un groupe à Poudlard, qui justement, essaye de faire ce qu’il peut pour rendre les choses meilleures. Il ne s’est toujours pas décidé, mais cette idée commence à faire un bout de chemin dans son esprit.