1. “Non, ce n'est pas moi qui ai fait exploser la chambre de Persephone.” ♔ Gamin arrogant. Fratrie agitée. Ashley faisait partie de ces enfants difficiles à canaliser, dont l’énergie ne demandait qu’à exploser ; ses parents peinaient à le remettre à sa place, mais d’une certaine manière, ils appréciaient tout de même le spectacle que le caractère de leur fils pouvait leur offrir : il savait ce qu’il désirait. Il savait où est-ce qu’il voulait en venir. Il savait comment parvenir à ses fins même en étant gamin. Même en étant jeune. Alors, s’ils le recadraient, s’ils le punissaient, au fond, monsieur et madame Lestrange étaient heureux de constater que leur fils faisait sans doute partie de ces futurs leaders qui n’auraient pas peur d’écraser les autres sur leur passage. Et, ainsi, ils le laissaient plus ou moins faire avec ses sœurs. Ils lui accordaient sans doute trop d’importance. Ils en faisaient leur préféré. Mais il était leur unique garçon. Alors être leur unique garçon avait certains privilèges.
Région de Londres. 1954. Une explosion avait retentit dans la grande demeure des Lestrange, provoquant une stupeur presque générale. La mère avait accouru à l’étage pour finalement trouver son fils sur le pas de la porte de chambre d’une de ses sœurs. Elle l’avait observé. Elle l’avait simplement observé. Elle avait noté l’aspect concentré d’Ashley ; elle avait détaillé ses traits crispés par la concentration. Elle s’était rendue compte que ses petits poings étaient serrés, serrés si forts que ses veines brunissaient sous sa chair. Puis, son regard s’était posé sur la chambre. Puis, son regard avait effleuré l’endroit, littéralement saccagé, où la poussière volait après avoir été agitée. Elle n’avait pas crié. Elle n’avait pas levé la main sur son fils. Elle lui avait simplement demandé ce qu’il s’était passé. Aussi simplement que cela.
Et ce fût le premier mensonge qu’Ashley Lestrange prononça. Le tout premier d’une très longue série. Son ton avait été égal. Son expression n’avait trahi aucune émotion. Il s’était contenté de nier, mais cela suffit à sa mère pour sentir une vague de frissons parcourir son échine. Il avait été pris la main dans le sac ; il avait été pris sur les faits. Pourtant, il avait menti. Il avait si bien menti que sa mère aurait presque cru ses propos malgré les évidences. Au fond, cela n'avait été qu'un accident. Qu'un accident parmi tant d'autres. Mais un accident qui n'avait pas eu les mêmes dimensions que les précédents.

2. “Elle a réussi à lire une page entière aujourd’hui, elle a bien travaillé.” ♔ Il avait le mensonge dans la peau, oui. Ou plutôt, c’était le mensonge qui l’avait dans la peau, désormais. Il avait beau être âgé de dix-huit ans, avoir passé l’enfance, avoir passé le moment de toutes les bêtises, il continuait. Il continuait de mentir. Il continuait les faux-semblants. Il continuait à n’être fidèle qu’à une seule et unique personne—lui-même.
Du moins, à Basile également.
Parce que c’était sa soeur qu’il avait défendu. Pas ses intérêts personnels, à moins, bien entendu, qu’on inclut les intérêts de sa soeur dans les siens. Il avait regardé leur père droit dans les yeux, comme il savait si bien le faire, et lui avait soutenu que Basile avait lu sans aucun soucis. Cela était faux, bien entendu. Parce que c’était comme ça. Basile ne réussissait pas à lire. Basile n’y arrivait pas. Alors, au lieu de lui ajouter une pression supplémentaire, au lieu de la tourmenter avec ses difficultés à son tour, Ashley avait promis durant l’été 1963 que cela serait lui qui s’occuperait de la lecture de sa soeur et que cela serait lui qui la ferait progresser. Tout cela pour qu’elle échappe au calvaire de leur paternel. Tout cela pour qu’elle soit heureuse, ne serait-ce que durant deux petits mois. Bien entendu, il n’y était pas parvenu, malgré toute la bonne volonté du monde ; alors, il lui paraissait presque naturel d’accorder tout de même un certain répit à sa soeur, ne serait-ce qu’avec un tout petit mensonge.
Un tout petit mensonge.
Son père l’avait cru. Parce que c’était comme cela, désormais. Ash était capable de faire croire à n’importe qui n’importe quoi. Il avait un tel flegme à le faire qu’il était même en mesure de faire croire au monde entier que le ciel était rose et non pas bleu.
C’était quelque chose dans ses yeux, la fenêtre de l’âme. Il parvenait à faire croire à la personne d’en face qu’elle réussissait à lire en lui comme dans un livre ouvert alors qu’il n’en était rien ; il faisait mine de s’offrir sur un plateau d’argent alors qu’au contraire il ne faisait que se replier sur lui-même. Se replier en lui-même. Il ne pensait à rien. Sa tête était si vide que la seule chose qui résonnait aux oreilles des autres étaient ses mensonges.
Ses mensonges qui devenaient réalité.
Et on le croyait. On le croyait parce qu’il s’efforçait de vider sa tête quand il s’agissait de faire croire.
Sans le savoir, il était en train de se construire une forteresse impénétrable. Sans le savoir, il forgeait son esprit, il le manipulait, il faisait preuve d’une rigueur exemplaire quand il s’agissait de faire le tri et calmer le tumulte de sa tête. Pour le moment il n’y avait que sa soeur qui avait accès à la personne qu’il était réellement. Sa soeur, cette personne si pure, si belle. Sa soeur, sa princesse, son trésor.
Alors il y avait lui et sa soeur. Puis il y avait les mensonges qui les protégeaient, sa manière de mentir si singulière.

3. “Oui, je le veux.” ♔ Le mariage est censé être le plus beau jour de notre vie. Le mariage est censé être une des plus importantes étapes d’une existence. Pour Ashley Lestrange, ce fût un jour comme les autres. Un jour où il fût simplement contraint de porter un joli costume et répéter quelques paroles appris par cœur la veille.
Il venait tout juste de terminer ses études à Poudlard, dans la maison Serpentard, devenu préfet puis préfet-en-chef au cours de sa scolarité. Juillet 1970 venait de pointer le bout de son nez ; il mettait finalement derrière lui les années qu’il avait bien pu passer derrière un pupitre. Il avait réussi. Il avait terminé son cursus avec brio ; il avait tant cherché à en finir qu’il avait fourni tous les efforts possibles pour finalement atteindre l’objectif qu’il s’était fixé ; il l’avait, son titre. Il l’avait, ce qu’il avait tant désiré. Alors, le jour de son mariage, il pensait simplement aux perspectives qui se profilaient doucement devant lui, oubliant presque la jeune femme en blanc qui s’avançait vers lui. Il ne la voyait tout simplement pas. Seuls les voyages et les stages occupaient son esprit ; il rêvait même aux jupes des jeunes femmes qui croiseraient son chemin lorsqu’il partirait faire le tour de l’Europe ; il sentait encore sur ses lèvres celles de la jeune femme dont il avait fait la connaissance lors du Bal clandestin tourné au désastre, qui continuait de hanter son esprit et qui demeurerait sans doute à jamais une ombre dans son coeur. Il pensait à tout. A tout hormis son mariage.
Et le troisième plus grand mensonge de sa vie arriva ce jour-là. Oui, je le veux. Il l’avait dit avec tant de convictions que l’ensemble des personnes présentes auraient pu croire à l’amour profond qu’Ashley ressentait pour sa fiancée ; au point où, même lui aurait pu y croire. Et c’était sans doute cela, le truc. Il se persuadait de ses propres vraisemblants pour qu’ils aient l’air réels. Il dissociait son esprit et les faits, comme s’ils ne se touchaient pas, comme s’ils n’avaient rien avoir. Il ne pensait plus à rien et laissait ses lèvres faire le reste.
Il y avait lui, la vérité vraie, son esprit à part, son esprit dissocié. Puis il y avait une multitudes de réalités toutes aussi fausses les unes que les autres.
A vrai dire, il ne la connaissait même pas, sa future femme. A vrai dire, il était simplement là parce que le devoir l’avait appelé à se présenter devant l’autel. Alors, si ses paroles avaient semblé si convaincantes, si même Althea Croupton avait elle-même cru qu’il ressentait des profonds sentiments pour elle, cela avait simplement été parce qu’Ashley avait pensé à autre chose.
Oui, je le veux. Oui, il voulait voyager. Oui, il voulait devenir professeur de potions à Poudlard d’ici quelques années. Oui, il voulait découvrir le monde. Oui, il voulait s’envoyer en l’air avec des filles tout au long du week-end. Oui, il voulait conserver le souvenir de Hera. En aucun cas il voulait se marier, mais qui cela pouvait bien concerner hormis lui-même ? Alors, comme à son habitude désormais, il avait verrouillé son esprit et jeter la clef aux oubliettes. Alors, comme à son habitude, on ne pouvait lire dans ses yeux que de l’enthousiasme parce qu’il n’y avait rien d’autre qui ne pouvait manifester son désaccord chez lui. Pas même ses pensées.
Il n'était pas encore occlumens, à cette époque. Un legilimens pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert. Mais, la vérité, avec le recul, Ashley Lestrange aimait bien se dire que c'était à cette époque qu'il avait fait un premier pas vers cet art. Parce qu'à ce moment-là, il avait déjà appris à faire preuve d'une grande impassibilité pour son entourage.

4. “Je t'assure maman, on essaye de faire des enfants avec Althea. Nous avons juste besoin de plus temps que prévu.” ♔ Stages. Découvertes. Ashley avait voué son existence entière, à sa passion : il avait peut-être entrainé dans son sillage sa femme, il avait peut-être eu l’impression d’avoir largement été limité par sa présence, mais cela ne l’avait pas empêché d’accomplir tout ce dont il avait rêvé. Il avait fait le tour de l’Europe. Le tour des laboratoires de potions. Le tour des maîtres sorciers reconnus pour leurs mixtures. Le tour des jupes des petites françaises, également, mais il se contentait simplement de garder d’agréables souvenirs au fond de sa mémoire, celui de Hera loin de toutes ces frivolités. Il savait que le chemin jusqu’à Poudlard n’allait pas être simple, mais il tenait à mettre toutes les chances de son côté pour parvenir à ce qu’il désirait. Il avait hâte, mais il n’était pas pressé. Il avait hâte, mais il ne souhaitait pas se perdre dans une précipitation qui pourrait nuire à ses projets. Le pire dans tout cela était qu’il ne savait pas pourquoi il désirait tant Poudlard. Le pire dans tout cela était qu’il ne savait même pas pourquoi il avait jeté son dévolu sur la préparation de potions.
Quatre années avaient passé. Et au bout de ces quatre années, Ashley finit par revenir en Angleterre avec sa femme pour s’y installer de manière définitive. Son quatrième pire mensonge vint avec un naturel déconcertant lorsqu’il vit sa mère un week-end ; celle-ci avait pris le soin de l’isoler d’Althea durant quelques instants pour lui parler droit dans les yeux. Quatre ans qu’ils étaient mariés. Quatre ans qu’ils auraient dû avoir des enfants. Quatre ans qu’Ashley repoussait l’échéance ; quatre ans qu’il se répétait qu’il ne voulait pas se retrouver handicapé par des enfants ; quatre ans qu’il avait tant refermé son esprit qu’il n’arrivait lui-même à ne plus trouver la clef, parfois. Oh, sa femme y avait déjà songé. Oh, sa femme lui en avait déjà parlé. Mais il répétait sans cesse la même chose. Il répétait sans cesse qu’il avait besoin de temps. Alors, une nouvelle fois, en observant sa mère droit dans les yeux, il répéta la même chose. Alors, une nouvelle fois, sans faillir ne serait-ce qu’une seule fois, il lui annonça qu’ils avaient encore besoin d’être jeunes avant de fonder une famille. Son esprit était vide. Vide de sens, vide de pensées, vide de toutes émotions. Il avait passé quatre années entières à mentir à Althea de cette manière. Il avait compris qu’en ne ressentant rien il pouvait mentir. Il avait compris qu’en ne ressentant rien, rien ne pouvait le vendre. Alors sa mère avait acquiescé, en désaccord mais elle n’avait rien trouvé à dire face à la vérité.
Mais, ce jour-là, ce qui le perturba le plus fut la réaction de Basile qui l’observait avec attention. Elle avait froncé les sourcils durant une poignée de secondes, quatre ou cinq, guère plus, avant de finalement esquisser un sourire en coin. Et, lorsque leur mère s’était retiré, elle était venue lui glisser « Pendant un court moment j’ai vraiment cru que tu disais la vérité. »

5. “Je te promets que si je pouvais revenir à la maison le soir, Althea, je le ferais.” ♔ Ashley fût accepté en tant que professeur des potions à Poudlard en 1975, soit cinq ans après sa sortie de la prestigieuse école. Soit cinq ans après s’être marié. Soit cinq ans après avoir presque fait le tour du monde pour en apprendre toujours plus.
Un an à s'entraîner pour devenir occlumens.
Un an sans même réussir à maîtriser le vide total.
Un an qu'il avait enfin compris qu'il pouvait aller encore bien plus loin que ses mensonges.
Un an qu'il faisait tout pour pouvoir continuer ce qu'il faisait sans qu'aucun legilimens proche de sa famille ne vienne contrer ses plans.
Au départ, il avait été si heureux d’avoir été accepté en tant que professeur à Poudlard qu’il n’avait pas vu d’inconvénient à revenir le soir chez lui pour supporter sa femme quelques heures seulement ; puis, au fil du temps, au fil des mois, il avait fini par se rendre compte qu’il ne pouvait tout simplement plus respirer le même air qu’elle. Qu’il ne pouvait tout simplement plus la supporter, et ce même s’il s’agissait que de soirs. Alors, il prononça le cinquième pire mensonge de sa vie. Alors, il affirma à sa femme que la direction de l’école de sorcellerie lui avait spécifié qu’il serait plus avantageux qu’il reste dormir sur place en semaine plutôt que faire des allers-retours incessants, l’air si grave qu’Althea n’avait même pas cherché à négocier avec son mari. Pour elle, cela avait été sans appel. Tout simplement parce que les temps étaient troubles. Et que, si Ashley manquait à son devoir, les doutes pourraient se porter sur lui et sa famille.
Cela n’était en aucun cas le cas, bien entendu. Mais Althea était-elle obligée de le savoir ? Tout comme, était-elle obligée d’avoir connaissance du nombre de personnes avec qui Ashley avait bien pu la tromper ? Il n’avait aucune notion du bien et du mal. Du mauvais et du bon. Il demeurait persuadé que, si elle ne savait rien, cela ne lui ferait pas de mal. Pourtant, c’était le cas. Parce qu’au fond, s’il refusait de l’avouer, sa femme l’aimait, elle.
Ashley prit donc ses distances avec son foyer durant la semaine, trouvant une nouvelle forme de liberté. Continuant d’enchainer les faux pas sans réellement se rendre compte que s’en était. Il se perdait dans ses prétendus sentiments pour sa femme, il se perdait dans tout ce qui pouvait bien se passer dans sa vie. Il ne savait plus quoi faire lorsque sa femme lui parlait de bébé ; il se bornait à ne pas prendre de partie lorsque les discussions sur les mangemorts s’enflammaient. Alors, il se contentait de vivre. Il se contentait de vivre comme à chaque fois.

6. “Cette couleur met ta peau en valeur.” ♔ En prononçant ce mensonge-là, Ash avait soigneusement vidé son esprit comme il avait bien pu l’apprendre au cours des quatre dernières années—après tout, même s’il savait mentir à la perfection, même s’il parvenait à garder un visage de marbre, il n’était pas tout à fait convaincu que Leviathan Faust ne parvienne pas à lire dans les pensées d’autrui. Cela pouvait être considéré comme de la paranoïa : après tout, il était son meilleur ami, et il n’y avait aucune raison pour qu’il lui ait menti à ce sujet.
Mais il s’agissait de Leviathan Faust. Ashley considérait que cela pouvait excuser tout comportement.
Son meilleur ami eut l’air satisfait de sa réponse, puisqu’il hocha la tête avant de dévisser le petit pot de vernis à ongle couleur satin nacré. De son côté, Ashley limait ses ongles en vue de se les vernir également, mais certainement pas de la même couleur que Leviathan.
Ils avaient beau être des hommes d’âge mûrs, Leviathan Faust et Ashley Lestrange ne voyaient aucun mal à se retrouver tous les jeudis soirs dans les appartements de l’un ou de l’autre pour s’adonner à des pratiques d’esthétiques. Si cela n’était pas une question d’épilation, il était possible de les voir discuter autour d’une manucure, pédicure, de gommages pour la peau ou de masques au charbon. C’était bien souvent au cours de moments tels que ceux-ci qu’ils pouvaient colporter les ragots et critiquer la médiocrité des organisations sorcières. Autrement, le restant de la semaine, il n’était pas rare de les trouver en train d’hanter les murs du château, particulièrement la salle des maîtres, ensemble.
Ils s’étaient bien trouvé, oui. Et ce depuis la première rentrée scolaire qu’Ashley avait bien pu faire entre les murs de Poudlard. Cela n’était pas parce que leur deux postes étaient étroitement liés—au contraire, parfois, ils se félicitaient d’avoir l’un et l’autre en collègue plutôt qu’une autre personne incompétente. Non ; à vrai dire, cela était plutôt une question de ressentis, d’atomes crochus : cela allait bien au-delà de leurs esprit terre-à-terre mais ils avaient tous les deux acceptés que les choses pouvaient aller bien au-delà de leur entendement. Et, que, oui, les coups de foudre existaient. Même les coups de foudre amicaux.
Bien entendu, cela n’empêchait pas à Ashley de lui mentir très régulièrement. Surtout sur ses choix de couleur de vernis à ongle.

7. “Si, si, je t'assure Romy, ce n'est pas la première fois que je fais une potion pour colorer les cheveux.” ♔ Il paraît qu’un quotidien est une chose qu’on met du temps à trouver. Qu’un quotidien est une routine qui met du temps à s’installer. Il fallut quatre ans à Ashley Lestrange pour trouver le sien ; et cela se fit finalement lorsqu’il prit la décision de vivre en colocation à Pré-au-Lard. Il avait simplement répondu à une annonce qu’il avait choisie au hasard. Et cela s’était révélé être la meilleure idée qu’il avait bien pu avoir au cours de toute sa vie.
Oh, lorsqu’il se retrouva confronter à Rosemary Londubat, il n’avait pas réellement cru que cela puisse bien se passer. Oh, même encore aujourd’hui, il refuse de croire qu’il puisse s’y faire un jour. Pourtant, il a trouvé en la présence de la demoiselle un souffle de renouveau sur sa vie, et ce même si cela pouvait s’accompagner de désagréments. De désagréments comme ses remarques sur sa sexualité. De désagréments comme la musique disco. De désagréments comme son entêtement à vouloir apprendre un nouvel instrument de musique. De désagréments comme la personnalité même de la stagiaire. Cependant, parfois, Ashley se surprenait à penser qu’il aurait aimé que sa femme ait le même caractère qu’elle. Parfois, Ashley se surprenait à se dire que s’il avait eu une femme comme elle, il aurait sans doute arrêté de la fuir. Mais cela n’était pas le cas.
Rosemary hérita de son septième mensonge. Elle le provoqua elle-même, quelque part ; lorsqu’elle lui avait demandé s’il savait faire les potions pour cheveux, il avait presque vu cela comme un challenge. Alors, bien entendu, il avait usé de son plus beau sourire pour qu’elle le laisse tenter. Alors, bien entendu, il n'avait même pas songé une seule seconde à s'appuyer sur son occlumencie pour qu'elle le croit, sachant parfaitement qu'elle lui ferait confiance même si elle le voyait mentir de manière effrontée.
Cependant, cet épisode faisait partie des choses qui donnaient de nouvelles couleurs à son quotidien qui lui avait paru bien plus terne que sa personnalité. Alors, si Ashley était encore coincé par son mariage, sa famille et ses mensonges, si Ashley se retrouvait esclave de sa personnalité, il connaissait le bonheur, quelque part. Un bonheur aussi original qu’il aurait dû l’être.

8. “Non, je ne l’aime pas.” ♔ Après s’être mis en couple avec Rosemary Lestrange, après avoir eu un enfant avec elle, après l’avoir épousé, Ashley n’avait plus jamais prononcé de mensonge.
Jusqu’à cet instant précis.
Pendant un moment, après la greffe, Ashley avait réellement cru au bonheur. Il avait réellement cru qu’il pouvait avoir une famille et se sentir combler. Il avait réellement cru qu’avec sa femme et sa fille plus rien n’était impossible. Puis, avec l’émergence des Disciples, les enlèvements, les horreurs qui commençaient à se profiler dans leur quotidien, il avait compris qu’il n’avait pas le droit de s’enfermer dans une bulle.
Il n’avait pas le droit, non. Pas le droit parce qu’il devait protéger sa famille. Pas le droit parce qu’il devait protéger sa femme, sa fille, sa soeur. Pas le droit parce que des centaines d’étudiants, ses élèves, n’étaient plus à l’abri.
Alors, pour la première fois de sa vie, lui qui avait toujours été un monstre d’égoïsme, Ashley a pris les armes pour protéger les autres. Pour la première fois de sa vie, il avait vu plus loin que sa propre identité, sa propre existence, son propre bien-être ; cela n’était pas le fruit du hasard s’il avait enfin réussi à projeter un peu plus loin sa loyauté.
C’était grâce à elle. Grâce à Romy.
Et, ce jour-là, Ashley Lestrange avait prononcé le pire mensonge de son existence. Non, je ne l’aime pas. Son coeur avait hurlé l’injustice. Son coeur avait hurlé son amour pour elle. Mais son esprit était resté imperméable. Ashley, au cours de ses huit années de pratique, avait réussi à devenir occlumens au stade le plus avancé ; il maîtrisait l’art de l’arrangement de pensées, il parvenait à faire voir que ce qu’il désirait que les autres voient. Et, le reste, il l’enfermait dans l’oubli.
En cet instant, il avait réussi à effacer tous ses sentiments pour sa femme. En cet instant, il avait réussi à oublier tous leurs instants intimes, si intimes. En cet instant, il avait même réussi à ne plus penser à sa fille, sa princesse. Non.
Il n’y avait que sa mission. Se rapprocher de sa famille.
Et, pour se rapprocher de sa famille, il n’avait pas eu d’autres choix que de prononcer ce mensonge. Je ne l’aime pas.
Alors que c’était tout ce qu’il savait faire, désormais. L’aimer.

9. “Oui, je vais faire attention.” ♔ Et il avait fini par lui mentir. Parce que, bien entendu, Ashley Lestrange n’avait pas fait attention lors de la Bataille du Complexe, survenue fin octobre 1983.
Il n’avait pas l’habitude de mentir à Romy, tout comme à sa soeur d’ailleurs. Aux autres, oui, mais pas à elles. Ni à Juliane, même s’il avait conscience que son enfant ne comprenait sans doute pas la notion de vrai et de faux. Mais, sans s’en rendre compte, sans faire attention, Ashley avait fini par construire son existence entière sur des mensonges. Après tout, il jouait un jeu dangereux. Après tout, il avait fini par rejoindre les rangs des mangemorts après une année entière à être mis à l’épreuve. L’occlumencie avait été une force ; de cette façon, on lui avait fait confiance avec beaucoup plus d’aisance. Mais, dans le processus, Ashley s’était perdu.
Comme s’il ne savait plus ce qui était faux, ce qui était vrai.
Comme s’il ne savait plus ce qui était bien, ce qui était mal.
Il était isolé dans sa mission. Il n’avait le droit de communiquer des informations qu’à Dumbledore et c’était lui, et lui seul, qui prenait des décisions par rapport à ce qu’il pouvait bien lui communiquer sur les mangemorts et le Seigneur des Ténèbres. Il n’en parlait pas à Rosemary. Il n’en parlait pas à Leviathan. Il n’en parlait pas à Basile. Les trois personnes adultes les plus importantes de sa vie n’avait aucune idée de ce qu’il voyait, de ce à quoi il assistait.
Il était isolé dans sa mission. Isolé dans sa vie, également. Et, dans le processus, Ashley s’était perdu.
Comme s’il ne mesurait pas la portée de son infiltration.
Comme s’il ne savait plus pour qui il se battait.
Il avait voulu trop bien faire. Si Ashley Lestrange avait passé une vie entière à ne penser qu’à lui et qu’à ses intérêts, à bien se ficher de ce que sa famille trafiquait, c’était avec Rosemary qu’il avait pris la mesure de la situation du monde sorcier. C’était Rosemary qui lui avait donné la notion du bien et du mal. C’était Rosemary qui lui avait ouvert les yeux et qui lui avait donné envie de se battre aussi.
De se battre mais surtout de se rattraper.
Parce qu’au fond, c’était cela le problème. Si Ashley Lestrange agissait pour le bien de tous, s’il mettait sa vie en danger pour sauver les enfants dotés de patronus et le quotidien qu’ils connaissaient, il faisait également cela par égoïsme. Par envie de faire ses preuves auprès de sa femme, auprès de l’Ordre, auprès de Dumbledore.
Alors, non, il n’avait pas fait attention lors de la Bataille du Complexe. Mais ce qu’il ne savait pas à ce moment-là était que ce mensonge allait lui coûter quelque chose qui lui était bien plus cher que sa propre vie—son mariage. Sa famille.

10. “Je ne regrette pas.” ♔ Il regardait sa soeur droit dans les yeux, cette soeur à qui il n’avait jamais usé de l’occlumencie pour lui cacher de manière volontaire des choses—bien entendu qu’il s’était exercé grâce à elle, grâce à son don, mais il n’avait jamais manoeuvré de cette manière.
Manoeuvré de sorte à réellement lui mentir.
Tout s’était passé dans sa tête. Il avait pensé cela avec conviction, effaçant ses ressentiments, effaçant tout ce qui pouvait laisser croire le contraire. Il avait rayé ces sombres soirées où il s’était laissé aller aux larmes, se fichant bien que l’on dise que les hommes n’avaient pas le droit de pleurer ; il avait oublié ces instants à regarder Juliane qui lui avait fait se rendre compte à quel point Rosemary pouvait bien lui manquer. Il avait retiré de ses pensées les fois où il avait recherché sa femme dans les bois sous le coup du désespoir ; il avait raturé les moments où il avait passé plusieurs heures à contempler leurs photos de famille.
Il ne restait plus que ses convictions, sa volonté de bien faire, sa détermination. Mais, au fond, cela ne lui suffisait plus, désormais. Il avait l’impression d’avoir tout perdu. De s’être abandonné en chemin. D’avoir fait bien trop de sacrifices pour d’aussi faibles résultats.
Il aurait pu dire à Basile qu’il regrettait, qu’il n’en pouvait plus, qu’il voulait que tout cela s’arrête. Il aurait pu dire à Basile qu’il ne voulait plus être un infiltré au sein des mangemort, qu’il ne voulait plus être sans famille, qu’il ne voulait plus être éloigné de Rosemary. Il aurait pu dire à Basile qu’il était las, fatigué, qu’il aurait fait autrement s’il en avait eu l’occasion.
Il aurait pu lui dire tout cela, oui. Mais, lorsqu’il avait vu sa soeur, lorsqu’il avait compris qu’elle aussi souffrait à sa manière de cette situation, lorsqu’il s’était rendu compte qu’elle avait perdu son mari au même titre que Rosemary avait pu perdre le sien, il avait préféré mentir. Mentir et tout garder pour lui. Mentir et s’enfermer un peu plus dans sa solitude, dans cette solitude si prenante depuis qu’il jouait sur deux tableaux différents.
Alors il avait affirmé qu’il ne regrettait pas. Puis, il avait laissé sa soeur s’exprimer. Il l’avait laissé parler de ses douleurs, tandis que les siennes à lui continuaient de le ronger de l’intérieur.
Il regrettait, oui. Il regrettait au point d’avoir envie de hurler.