✻✻✻ En ce samedi trop peu ensoleillé pour l’été, Jill arpentait les rues de la capitale britannique. Trois fois qu’elle repassait au même endroit et pourtant, le Londres sorcier était passablement plus petit que le Londres moldu. Bien avant l’invention du GPS – qui lui aurait sauvé un temps précieux – la sorcière était en pleine galère. « A DROIIIIITE JE TE DIS ! » s’exaspérait le patronus sous sa forme volante. « Mais non on est déjà passés par là tout à l’heure. »« C’est ce que tu m’as dit y’a 5 minutes au même croisement, et regarde où on en est ! » Merde. Peut-être avait-il raison. Dans le doute, et puisqu’elle ne pouvait pas tomber plus bas, Jill prit la rue de droite. Elle croisa quelques familles en balade pour le par cet sorti pour la dixième fois la lettre de sa poche. Relu l’adresse. Les indications. « Oui, tu avais raison en fait. » concéda la sorcière d’un ton étrangement amical pour quelqu’un comme elle qui n’admettait que très rarement avoir tort. D’ailleurs, elle préférait toujours le tu as raison que l’éternel j’ai tord. S’il avait pu sourire Falco ne s’en serait pas privé et la sorcière cru déceler un enthousiasme débordant chez son fidèle compagnon. La lettre d’Ethan était arrivée la veille. Elle n’en n’avait pas la moindre idée auparavant, mais Micah était à Londres. Il n’avait rien dit bien entendu et au-delà de l’agacement que cela avait provoqué chez elle, la lettre d’Ethan l’avait confortée dans l’idée que quelque chose ne tournait pas rond. « Il y a toujours un truc qui cloche chez lui. C’est simplement qu’il ne le dit pas. » La jeune femme essuya une moue dubitative. « Tout le monde n’est pas comme toi à se plaindre constamment de ce qui le dérange. » Jill haussa les épaules. « Je ne vois pas ça comme une mauvaise chose. » répondit-elle de mauvaise grâce, comme à son habitude lorsque son comportement était remis en cause par un tiers - et tout particulièrement ses proches. Les reproches de Falco étaient probablement ceux qu’elle supportait le moins. Avec ceux de Greer peut-être, qui n’avait décidément pas sa langue dans sa poche. La sorcière s’arrêta subitement devant un bâtiment qui ressemblait à tous les autres. « 2296. C’est là ! » s’exclama-t-elle avec enthousiasme, profitant de la sortie d’un habitant pour s’introduire comme si de rien n’était dans l’immeuble. 4ème étage. Évidemment ; des escaliers. Pentus, nombreux et bien entendu très étroits. Su-per. Un troll ne pouvait pas monter par ici se surpris-elle à penser. Mais quel troll irait donc se perdre dans Londres…
Le 4ème étage atteint, le souffle court et avec une grande envie de se désaltérer, Jill chercha le bon appartement en scrutant les noms sur les portes. Elle fit deux fois l’étage avant de se rendre compte qu’une porte était exempte de toute inscription. Micah habitait sans aucun doute ici. Elle frappa trois coups secs à la porte … qui demeura immobile. Sans s’annoncer. Elle n’allait pas hurler dans le couloir pour qu’il l’entende. Alors qu’elle réitérait son essai, un voisin sorti de chez lui et lui jeta un regard curieux. « Bon courage Miss, je n’ai jamais vu cette porte s’ouvrir. » Elle lui jeta un merci incertain, ignorant de quoi elle pouvait bien le remercier. Disons que c’était plutôt une façon pour elle de ne pas donner d’informations et surtout, de ne pas engager la discussion. Elle détestait les conversations creuses et n’était pas du genre à s’extasier devant des inconnus. Jill attendit donc que le voisin disparaisse dans le couloir pour s’y remettre. Trois coups secs, pour la troisième fois. « Micah ouvre moi je sais que tu es là-dedans ! » Elle attendit cinq secondes beaucoup trop longues avant de se mettre à tambouriner à la porte. « MONSIEUR LAWNICZAK ! » lança-t-elle en haussant passablement le ton, tentant de prononcer au mieux ce nom étranger dont le jeune homme avait un jour pris le temps de lui expliquer comment cela se prononçait réellement. En bonne britannique Jill était dans l’incapacité totale de prononcer le cz polonnais, mais elle faisait des efforts. Ce gus était infernal. « Il n’est peut-être pas chez lui. » objecta simplement Falco comme s’il faisait preuve d’une logique imparable. Jill tendit l’oreille et capta un son qui lui mit du baume au cœur. La voix de Léon. Elle esquissa un franc sourire et repartit de plus belle. « Micah ouvre moi j’ai besoin de toi ! Si tu n’ouvres pas j’enfonce la porte ... comme tu m’a appris. » rajouta-t-elle en se souvenant qu’elle était meilleure sur la version sorcière que moldue d’enfoncer les portes. Un souvenir envahit son esprit. Elle se revoyait, interdite d’utilisation de magie, à tenter d’appréhender un suspect. La voix de Micah résonnait dans ses oreilles, simple et sans appel. Imagine que tu n’as pas ta baguette. Comment tu ferais ? Jill n’aimait pas les devinettes façon moldue. Elle n’y connaissait pas grand-chose malgré les efforts d’Ezra et de Greer pour lui expliquer leur monde, et puisqu’elle ne possédait pas une once de force physique, il fallait redoubler d’efforts. A ce dernier exercice Micah lui avait fait enfoncer une porte à la force même de ses bras. Bras, épaules, jambes, tout y était passé. La sorcière se souvenait être rentrée fourbue chez elle, mais ravie. « Pffff tu pourrais simplement te présenter pour commencer. » Elle balaya la question d’un refus sans équivoque. « Pas question, il sait très bien qui c’est. Il y met juste de la mauvaise volonté. » Alors qu’elle s’apprêtait à mettre sa menace à exécution – elle réparerait magiquement les dégâts s’il n’était vraiment pas là, et prendrait place dans son salon jusqu’à temps qu’il revienne – la porte s’ouvrit soudainement. Un franc sourire se peignit sur son visage tandis que Falco voletait dans la pièce sans attendre d'invitation.
Confusion that never stops, the closing walls and the ticking clocks gonna come back and take you home. I could not stop, that you now know, singing. Come out upon my seas, cursed missed opportunities am I a part of the cure, or am I part of the disease, singing.
Si on tendait un peu l'oreille, on pouvait entre l'eau ruisseler sur le carrelage de la douche. La buée recouvrait les miroirs et, si quelqu'un s'avisait de rentrer dans la pièce, il se croirait dans un vivarium, ou un sauna. L'eau chaude roulait sur mon corps et dénouait les muscles endoloris. Je me frottais vigoureusement les cheveux avec le shampooing, alors que le flacon à moitié enfoncé gisait sur le sol, à mes pieds. Je shootai dedans pour la virer plus loin. Je savourais ces quelques minutes bénies où le monde extérieur me foutait enfin la paix. Si je le pouvais, je serais resté là-dessous une éternité, mais il viendra inévitablement le moment où je n'aurai plus que de l'eau froide. Durant ces longs mois de captivité, les douches à rallonge étaient un luxe auquel je ne pouvais pas prétendre. Cela avait beau faire des mois que j'étais sorti de prison, revenant ainsi à la civilisation, je me surprenais à apprécier ce petit confort que n'importe qui trouverait banal. Tout au long de ma vie, j'ai connu des moments de privation, où le confort que pouvait procurer un appartement ou une maison équipée était un concept abstrait, complètement en dehors de ma réalité. On ne réalisait jamais la chance d'avoir quelque chose avant d’en être privé. Tout ce confort…j'étais loin de vivre dans un manoir mais j'étais content d'avoir un toit sur ma tête. Pour quelqu'un qui n'avait jamais vraiment vécu seul je m'en sortais plutôt pas mal. J'ai toujours fonctionné ainsi, j'apprenais par la pratique. Ça ne servait strictement à rien de m'abreuver de considérations théoriques, je n'imprimerai rien du tout. Léon semblait lui aussi apprécier ce moment puisqu'il barbotait dans une flaque d'eau, à mes pieds. J'étais tellement absorbé dans mes pensées qu'il dut me pincer un orteil pour me faire revenir à la réalité.
« Micah ? » « Mh ? » « Quelqu'un est en train de taper à la porte ! » « Comment ça quelqu'un est en train de cogner à la porte ? » grognai-je en coupant l'arrivée d'eau. « Je crois que c'est Jill. Avec Falco. » « C'est quoi ce bordel ? » grondai-je en m'extirpant de la douche. Puis, j’attrapai la serviette et m'enroulai dedans. Je me séchais vite fait, tout en pestant entre mes dents. « Comment elle a su que je vis ici ? » « Ça, il n'y a qu'une façon de le savoir. » dit Léon en sortant du bac à son tour. « Tu n'auras qu'à lui demander puisqu'elle est là. »
Sur ce, le scorpion se mit à ramper sur le sol de la salle de bains et tira sur notre lien pour m'inciter à me dépêcher. Tout en maugréant j'achevai de me sécher, avant d'enfiler un pantalon de jogging et un t-shirt gris – je n'allais tout de même pas ouvrir à mon ancienne coéquipière en étant vêtu en tout et pour tout d'une serviette. À l'évidence je ne faisais pas assez vite au goût de Jill, puisque je l'entendais s'agiter de l'autre côté de la porte. Deux secondes, j'arrive, sifflai-je en contournant la table dans le séjour – je n'avais absolument aucune envie de me cogner sur le coin des meubles. Léon semblait prendre cela pour un jeu puisqu'il accéléra lui aussi la cadence, courant aussi vite que toutes ses pattes le lui permettaient.
Léon fut finalement le premier à arriver à la porte – bon joueur, je l'avais laissé gagner cette course improvisée, sachant pertinemment que pour lui, les distances semblaient plus grandes que pour moi. La voix de Jill résonnait toujours depuis l'extérieur. Voilà qu'elle menaçait d'enfoncer ma porte ! Je secouai la tête d'un air blasé. Bien évidemment que je la savais capable d'une telle chose, puisque je lui avais appris à ouvrir une porte close sans utiliser la magie. Je lui avais ainsi appris la manière douce – à savoir crocheter une serrure – et la manière forte – défoncer une porte comme dans les films. Cela impliquait notamment de visionner les films d'action qui sortaient afin de vérifier si toutes ces cascades étaient réalisables dans la vraie vie – et pour beaucoup, c'était loin d'être le cas. Ça avait été tout bénef’ pour nous deux : elle apprenait des trucs de moldus et je m'imprégnais un peu de la pop culture américaine. J'ai par exemple découvert que j'aimais m'empiffrer de pop corn pendant les projections alors que je ne savais même pas ce que c'était auparavant – pour info, je les préférais salés. Quoiqu'il en soit, je devais avouer que je prenais un malin plaisir à faire poireauter Jill, raison pour laquelle je n'avais pas ouvert tout de suite alors que je me trouvais moi aussi derrière la porte. Alors, avec une certaine désinvolture, j'entrepris de défaire un à un tous les verrous qu'il y avait sur la porte – on n'était jamais trop prudent – et j'ouvris enfin cette maudite porte
« Jill. » saluai-je d'un ton qui se voulait détaché. « Que me vaut le plaisir de ta visite ? »
À en croire le grand sourire qui s'étalait sur le visage de mon ancienne partenaire, elle semblait réellement contente de me voir. Falco quant à lui n'avait pas perdu de temps, il s'était engouffré dans le salon. Pour épargner à Jill la douleur d'un lien trop distendu, je m'écartai pour la laisser passer.
« Assieds-toi, je t'en prie. » Je l'invitai à s'installer sur le canapé d'un geste de la main. « Fais comme chez toi, surtout. »
Le sarcasme était très nettement perceptible dans ma voix. Je me doutais bien qu'elle n'allait surtout pas se gêner, d'autant plus qu'elle semblait vouloir s'attarder dans les parages et donc, elle n'allait pas partir de sitôt. Je la suivis dans le salon et, au lieu de m'asseoir, je choisis de rester debout. Aussi je m'appuyai contre le bord de la table. Je me penchai légèrement en arrière pour attraper le paquet de cigarettes qui trônait à côté du cendrier – il faudra d'ailleurs que je pense à le vider – puis j'en attrapai une et coinçai le filtre entre mes lèvres. Un cric de briquet plus tard et la tige de tabac s'enflamma. J'inspirai une première bouffée puis je toisai Jill de mes yeux vairon.
« Alors, qu'est-ce qui t'amène ? » Me voilà en mode interrogatoire. Elle me connaissait assez pour savoir que je ne comptais pas lâcher le morceau avant d'avoir le fin mot de l'histoire. « C'est Ethan qui t'envoie, c'est ça ? Je sais qu'il se fait du souci pour moi et je lui ai répété mille fois que j'allais bien. »
Il était tout à fait possible que Jill soit venue s'enquérir par elle-même, car jusqu'à preuve du contraire la jeune Auror était dotée d'une volonté propre – volonté qui par ailleurs pouvait être très forte, très marquée. Cela étant, je ne pouvais m'empêcher de me montrer soupçonneux et de penser qu'ils avaient un agenda secret, des desseins inavoués et qu'en conséquence, on me cachait des choses. Le regard fixé sur mon ancienne binôme, j'attendais qu'elle me fournisse plus amples explications. J'aurais peut-être dû lui demander si ça allait mais en l'occurrence j'avais préféré aller droit au but. Je n'étais toujours pas du genre à tourner autour du pot pendant mille ans.
✻✻✻ Lorsque Micah finit par ouvrir Ia porte il semblait ennuyé. Distant même. Qu'importe, elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui tombe dans les bras - et Merlin sait que ça aurait été bizarre - de même que ce comportement collait entièrement à son interlocuteur. Peut-être n'allait-il pas si mal que ça du coup. « Ca fait 4 secondes qu'il a ouvert la porte, t'en sais rien Sherlock. » gloussa Falco qui s'engouffrait dans l'appartement tel un cochon sauterai dans la boue, suivit par sa sorcière que Micah invitait poliment à entrer. « Que me vaut le plaisir de ta visite ? » Le large sourire qui s’étirait sur le visage de la jeune femme suffit à saluer son ancien partenaire. Elle trouvait trop formel de lui serrer la main et elle n’était pas une moldue, la bise ne s’imposait donc pas. La sorcière éluda prudemment la question. « Quelle aventure pour arriver jusqu’ici, j’ai bien cru que je n’y arriverai jamais ! » se plaignit-elle de bonne grâce. Il l’invita tranquillement à s’asseoir, lui indiquant de faire comme chez elle. L’appartement ne laissait pas de place au doute : il n’y avait pas de domestiques par ici. La demoiselle se débarrassa elle-même de sa cape et la posa délicatement à ses côtés. Micah n’était pas du genre à se perdre en banalités aussi ne fut-elle que peu surprise lorsque le jeune homme lui demanda clairement la raison de sa visite. « C'est Ethan qui t'envoie, c'est ça ? Je sais qu'il se fait du souci pour moi et je lui ai répété mille fois que j'allais bien. » L’ancien Auror n’était pas dupe, il savait parfaitement que pour trouver son refuge, la sorcière avait reçu un coup de main. Une moue boudeuse s’installa sur son visage tandis qu’elle déplorait la situation. « C’est effectivement Ethan qui m’a dit où tu étais et je lui suis redevable. J’ai l’impression que j’aurais pu attendre longtemps ton hibou. » Le ton n’était pas désagréable mais il ne s’y méprendrai pas : c’était bien là un reproche. Micah n’était pas responsable de la situation qui les avait séparés, mais il n’avait rien fait de plus pour reprendre contact. Pour cet inaction, elle lui en voulait certainement. « C’est bon grogne pas, il nous a bien ouvert. C’est un signe ! » La sorcière le rabroua d’un ton sarcastique. « Le signe qu’il n’avait pas le choix oui ! » Elle ne souhaitait pas s'énerver, moins encore contre Micah. Le sorcier était assez hermétique à ses sautes d'humeurs, fort heureusement pour elle malgré ses efforts ardus pour corriger son impulsivité. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas eu de nouvel de son instructeur et pour être honnête, cela l'avait beaucoup tracassée. Elle avait tenté d'avoir des nouvelles de la part d'Ethan mais Micah semblait s'être envolé dans son pays. Une fuite en avant peut-être, à moins que ce ne fusse une fuite en arrière... Mais le passé était passé. Il était ici aujourd'hui et c'est tout ce qui comptait. La jeune femme attendit qu’il prenne place pour s’exprimer. Elle avait besoin de toute son attention.
« As-tu pensé au fait qu'Ethan n'était pas le seul à s'inquiéter ? Tu m'avais déjà oubliée peut-être. » Ni méchante ni gentille, la question était simple. Il ne servait à rien de tourner deux heures autour du pot, Micah avait depuis toujours encouragé sa sincérité et elle ne s’en privait plus. Il était tellement rare de rencontrer un individu qui avait cure des règles de bienséance. Chez lui, l’efficacité primait avant tout et c’est probablement la raison pour laquelle ce duo avait bien fonctionné au départ. Il avait certes fallu quelques temps pour s’apprivoiser. Passer outre les froideurs de son instructeur, gérer l’impatience de la demoiselle, apprendre des méthodes bien différentes de celles du monde sorcier… Si elle avait pris l’attitude de Micah pour un frein au début de leur collaboration, Jill avait appris à cerner le personnage. Probablement pas entièrement car nombreuses étaient les choses qu’elle ignorait du jeune homme, mais en s’ouvrant un peu à elle à force de temps, d’efforts et de sueur, la sorcière avait fini par apprécier ce sorcier bourru. « Je sais que les temps ont été difficiles, pour tout le monde. D'ailleurs je n'ai ni la prétention de connaître ni de comprendre ta situation actuelle. Ethan m'a expliqué rapidement que tu étais en Russie mais il ne m'a pas donné de détails malgrés mes demandes. J'ai fini par me dire qu'il n'avait pas de nouvelles... » Elle savait l'existence de Micah compliquée, que cela soit par ses engagements auprès de la société moldue ou son mariage. Elle ignorait en revanche tout de ce qui s'était passé pour lui depuis la chute du Gouvernement. En réalité, ils ne s'étaient pas revus depuis 1982, ce fameux après-midi où il l'avait d'ailleurs sortie d'une mauvaise passe. Ezra en était à ses premières semaines de blessures et la sorcière perdait la tête à rester à la maison pour s'occuper de lui. Ce jour-là elle était sortie seule, armée de sa baguette bien entendu. Elle manquait d'exercice mais cela ne l'avait pas empêchée de s'aventurer dans les bois, bien trop loin de leur modeste village. Lorsqu'elle avait compris qu'on suivait ses traces, la sorcière avait tout fait pour rebrousser chemin, tendue comme une crampe, l'œil et l'oreille aux aguets. Il était hors de question qu'on la remette dans une cage. Elle ne se souvenait pas réellement de l'escarmouche mais avait parfaitement en mémoire sa fuite, ses chutes dans les bois et les échanges de sorts. Elle se souvenait aussi de sa frayeur lorsqu’elle avait compris qu’elle ne pourrait pas s’enfuir. Alors elle avait tenté de faire face, du mieux qu’elle pouvait. Lorsqu’un silhouette avait jaillit trop proche d’elle, avait lancé ses dernières forces dans la bataille, trop au fait que tout se jouait ici et maintenant. Fort heureusement pour lui, Micah était plus rapide et mieux habitué à cet exercice. Il para le sortilège à temps et transplana avec elle, leur offrant quelques minutes de répit. La jeune femme n’avait pas apprécié le moindre instant de leur discussion, mais elle reconnaissait que ce jour-là, le sorcier lui avait sauvé la vie. Il ne s’était pas étendue sur la raison pour laquelle il avait rejoint les raffleurs mais, en plus de lui sauver les miches, il avait fait fuiter d’importantes informations sur les positions tenues par le Gouvernement. D’une manière ou d’une autre, Micah Lawnisczak avait aidé la résistance. Probablement ne le voyait-il pas de cette manière mais elle, oui. A cet effet Octavia Peverell lui en devait une, et cela ne lui plaisait guère. Fort heureusement elle estimait le jeune homme, assez pour prendre au sérieux son bien-être. Ethan avait mentionné des difficultés personnelles et, à en juger par la bouteille vide qui sortait à demi de dessous le canapé, Micah avait effectivement des problèmes. Jill se pencha sans la moindre gêne pour dégager le contenant de sous le canapé sur lequel elle était assise. Elle posa la bouteille sur la table, l'air franchement étonnée. « Wódka Luksusowa. » Elle ne connaissait pas mais à en juger la constitution du jeune homme, peut-être aurait dut-elle essayer lorsqu'elle se battait avec ses propres démons. « Oh. Je vois. Il semblerait plutôt que tu tentes de tout oublier. » « De quoi tu te mêles ! » Jill ne regarda même pas son patronus. Si cet idiot croyait qu'elle allait fermer les yeux sur quelque chose d'aussi grave, lui permettant ainsi directement le mettre le doigt où ca pouvait embarrasser le plus le sorcier, elle n'allait pas se priver. Au moins leur discussion serait claire, honnête et concrète. Son regard se posa sur celui ci particulier de son interlocuteur. Elle avait d’abord cru à une tare génétique lmoldue, mais en fin de compte cette anomalie pouvait aussi apparaître chez les sorciers. « Écoute, je ne suis pas là pour t’embêter. Je ne sais pas ce qui t’es arrivé depuis cette fameuse journée et je ne te demande pas de m’en faire le récit. Ethan est inquiet à ton propos, je l’étais aussi et la minute que je viens de passer ici ne m’a pas rassurée. » Elle laissa un blanc, probablement pour le laisser digérer ses propos. « Pourquoi tu ne reviendrais pas travailler ? Ca ne pourrait pas te faire de mal... » rajouta t-elle en jetant une œillade peu discrète vers la bouteille vide.
Confusion that never stops, the closing walls and the ticking clocks gonna come back and take you home. I could not stop, that you now know, singing. Come out upon my seas, cursed missed opportunities am I a part of the cure, or am I part of the disease, singing.
La surprise que j'avais ressentie en voyant Jill sur le pas de ma porte céda rapidement la place à la réserve. Face au grand sourire de mon ancienne coéquipière, je m'étais retranché derrière ma muraille, comme si cette joie excessive m'avait effrayé. À l'évidence je n'étais plus le même gars qu'auparavant. Ces quelques mois passés en prison ne m'avaient pas fait du bien, au contraire, j'étais complètement ravagé, mis sens dessus dessous. La captivité m'avait rendu agoraphobe, allergique à toute forme de contact humain. Renouer des relations sociales était un des gros enjeux de ma réinsertion dans le vrai monde. Vivre en communauté avait beau être un passage obligé, une règle incontournable, je préférais largement la solitude. Aussi espérais-je secrètement que Jill n'allait pas s'attarder, non parce que sa compagnie me déplaisait mais parce qu'elle débarquait au moment le plus inopportun. « C'est toujours inopportun, avec toi. » La voix de Léon retentit dans mon esprit, me sermonnait presque. « Il faut toujours que tu maîtrises tout, tout le temps. » Je sais. avais-je envie de répondre. Je savais que je n'étais pas le type le plus marrant du monde et j'étais tellement rigide que je laissais peu de place au hasard et à l'imprévu. J'étais maniaque à un point que rien ne dépassait, tout était toujours nickel, et je semblais être réglé comme une horloge. Les autres avaient tendance à me trouver chiant, c'était un fait. Peut être que Jill l'avait pensé pendant un temps. Il faut dire que je ne l'avais pas ménagée, la pauvre. À partir du moment où j'étais devenu son instructeur – toujours sous la tutelle d'Ethan, cela va de soi, parce qu'il fallait bien rendre des comptes à ceux qui étaient plus hauts dans la hiérarchie – je l'avais poussée dans ses derniers retranchements, incitée à donner le meilleur d'elle-même. Du mieux que je pouvais, je lui avais transmis mon goût du travail bien fait, et, je l'espérais, un semblant de rigueur.
Elle, par contre, ne semblait pas avoir changé. Bien sûr, comme nous tous, elle avait connu son lot d'épreuves. Jill avait fait partie de ceux qui avaient servi de cobayes aux Disciples de Shacklebolt et Ezra avait fait partie de l'expédition qui les avait libérés de ce cauchemar. À l'époque j'aurais dû en faire également partie mais d'autres obligations m'ont retenu ailleurs. Parfois je me disais que j'aurais dû prendre de leurs nouvelles au lieu de m'effacer comme je l'avais fait, mais quand on faisait un boulot aussi ingrat que le mien, il n'était pas très heureux de garder des liens étroits avec des fugitifs. Aussi difficile que cela puisse être à croire, si je m'étais évaporé, c'était pour les protéger, comme je l'avais toujours fait. Même en étant loin, je continuais à veiller sur eux, les sortant de bien des mauvais pas quand cela s'avérait nécessaire. C'était d'ailleurs ce qui m'avait mené tout droit à ma perte. Quelqu'un a fini par s'apercevoir que je laissais partir trop de fugitifs, et je devais donner le change. C'était malheureusement tombé sur Romy. Je l'avais livrée sans ménagements aux autorités parce qu'il fallait produire un résultat. Qu'elle se soit enfuie in extremis était sûrement une bonne chose mais face à cet énième échec garder la face m'était tout bonnement impossible. Au lieu d'affronter les conséquences de mes actes – et donc finir exécuté sommairement - j'avais préféré fuir, comme le dernier des lâches. Dans le fond, cela revenait à reculer pour mieux sauter, dans tous les cas j'étais foutu, il n'y avait pas de retour en arrière possible.
Heureusement il y avait eu Ethan. Heureusement, il y avait eu Greer. Heureusement, il y avait eu Linda. Et maintenant, il y avait Jill.
Jill qui était là, égale à elle-même, toujours aussi ronchon. Une telle image, d'ordinaire, m'aurait fait sourire mais ce serait sûrement mal interprété. Qu'elle croit que je me moquais d'elle était la dernière chose dont j'avais envie. Alors je restais stoïque, raide comme à mon habitude tandis qu'elle m'abreuvait de reproches. À cela, je n'avais effectivement pas grand-chose à répondre. C'était donc Ethan qui avait craché le morceau. Je ne pouvais décemment pas lui en vouloir, je savais que l'ancien Auror s'inquiétait pour moi. Ces reproches, par ailleurs, étaient parfaitement justifiés. J'avais merdé et je le savais, qu'y avait-il à dire de plus ?
« Je sais que j'aurais dû écrire , et je suis désolé de ne pas l'avoir fait. » Je tirais une latte sur ma cigarette, disparaissant momentanément derrière un nuage de fumée opaque. « Je n'ai aucune excuse, d'autant plus que je n'ai pas branlé grand-chose ces derniers mois. »
Reste que je n'avais pas vu le temps passer. Il faut dire que ma longue captivité avait considérablement altéré ma notion du temps. Merde alors. Ça allait faire bientôt six mois que j'étais sorti, peut-être plus. J'aurais pu rassurer Jill et lui dire que non, je ne l'avais pas oubliée, mais à quoi bon ? j'avais mes torts dans l'histoire, point à la ligne. Du reste, de ce que je comprenais de ce qu'elle me disait, elle n'avait pas l'air de vouloir que je lui raconte dans le détail ce que j'avais vécu ces derniers mois. Tant mieux. Ça commençait à me gonfler de raconter mon histoire en long, en large et en travers. Je n'avais pas envie de m'épancher là-dessus plus que nécessaire. L'essentiel est que je sois là en un seul morceau, non ?
En parlant de ça… Où est passé Léon ?
Le temps de tourner la tête et il n'était plus là. Le scorpion était tellement petit qu'il se glissait partout et vicieux comme il était il se planquait dans des endroits très improbables. Mon patronus était anormalement silencieux C'était inquiétant. Il se comportait comme un enfant, quand il ne faisait plus de bruit, c'est qu'il était en train de faire une connerie. Et quelle connerie ! Jill venait de se pencher pour ramasser quelque chose qui était à moitié planqué sous le canapé. Je me renfrognai lorsque je me rendis compte que l'ancienne Gryffondor brandissait une bouteille de vodka vide.
« Tu savais que le terme vodka est le dérivé de voda, un mot russe qui signifie eau ? » Je disais cela comme si c'était parfaitement banal. « Je trouve que c'est très parlant, comme image. « En Russie tout comme dans mon pays, la commercialisation de cet alcool est très restreinte, c'est l'état qui a le monopole de la fabrication. Je ne pense pas que l'on puisse parler de Prohibition, mais en tout cas on en trouve plus librement ici, même si tout est incroyablement cher. »
Je parlais prudemment. En réalité je bottais en touche, comme un enfant que l'on aurait pris en flagrant délit de bêtises. C'était ma spécialité, de noyer le poisson dans tout un tas d'informations inutiles pour ne pas avoir à m'expliquer sur quelque chose dont je n'avais absolument pas envie de parler. Mon alcoolisme récent faisait partie de ces sujets brûlants sur lesquels je ne voulais pas m'étendre. Elle devrait le savoir pourtant, j'étais quelqu'un de très secret, je n'aimais pas parler de moi. C'était un sujet qui touchait directement à mon intimité, à ces démons que je n'arrivais pas à combattre malgré le combat acharné que je menais contre eux depuis toujours. Je me sentais mis au pied du mur, et je détestais ça. À mon grand soulagement, elle n'insista pas davantage. Elle préféra me demander si je comptais bientôt revenir travailler. Je passai une main nerveuse sur ma nuque, gêné.
« Je ne suis pas sûr de vouloir revenir au Ministère après tout ce qui s'est passé. » Ne dit-on pas que chat échaudé craint l'eau froide ? « Du reste, tu as vu dans quel état je suis ? J'ai perdu beaucoup de mes capacités physiques. Si admettons tu me provoquais en duel là, maintenant, tout de suite, tu me mettrais une raclée dont je me souviendrai longtemps. J'ai…j'ai le corps couvert de blessures et j'ai un bras qui n'est plus vraiment opérationnel. Je t'assure que je serais plus un poids mort qu'autre chose. » Toujours ce même doute, ces mêmes angoisses qui revenaient. L'impression que ce n'était jamais assez. « Concrètement je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie maintenant que je suis obligé de rester ici. J'ai besoin de temps pour…réfléchir. »
Ne voyait-elle pas que je me sentais vieux, fatigué, comme si j'étais arrivé au bout du chemin et que j'avais le sentiment d'être dans une impasse ? La vérité, c'est que même s'il y avait cet incendie qui brûlait en moi, j'étais presque totalement éteint. Je voulais tant faire, mais avec si peu de moyens. Il fallait admettre que parfois, la niaque ne suffisait pas. j'avais certainement besoin d'avoir un nouveau but à poursuivre, une nouvelle cause à défendre.
Made by Neon Demon
Dernière édition par Micah D. Lawniczak le Mer 25 Juil - 23:43, édité 1 fois
✻✻✻ « C'est toujours inopportun, avec toi. Il faut toujours que tu maîtrises tout, tout le temps. » pesta Léon qui semblait s’impatienter. Il eut été trop simple que Micah les accueille à bras ouverts et Jill n’était pas assez naïve pour croire en cette idée. D’ailleurs elle ne voulait aucunement entendre ce qu’il avait pu faire ces deux dernières années et lui fit bien savoir. Non pas que la sorcière eu pitié, plutôt car ses aventures avec le gouvernement Rosier ne l’intéressait pas, et qu’elle avait compris que son retour en Pologne l’avait profondément ébranlé. Inutile de s’attarder sur des souvenirs toxiques, elle voulait lui parler de la suite. Ce pas en avant qu’il lui fallait franchir s’il ne voulait pas mourir étouffé dans ses volutes de fumée. « Je sais que j'aurais dû écrire , et je suis désolé de ne pas l'avoir fait. » lui asséna t-il de cet éternel ton aux résonances minérales. Parfois, il lui rappelait les menhirs de Stonhenge. Parce qu’il avait une manière néolithique de fonctionnement. Il avait probablement vécu tous les changements de son existence avec déchirement et violence. Rien ne pouvait expliquer autrement son attitude. A ne pas s’y méprendre, le sorcier était véritablement doué dans trop de domaines. Jill avait souvent songé, autrefois, que l’origine moldue d’un individu pouvait handicaper dans la vie quotidienne sorcière. Hors intrusion du Ministère, il n’en n’était finalement rien, bien au contraire. La jeune femme avait découvert cette vérité aux côtés d’Ezra et indubitablement, aux côtés de Greer. Micah ne faisait que renforcer cette idée. Pourtant, c’était aussi une double charge. Les affaires sorcières et moldues, une vie déchirée entre deux mondes inconciliables. Le Code International du Secret Magique, décrété en 1689, était toujours d’application et résolument appliqué. Jill avait toujours pensé que c’était un mal nécessaire, bien qu’elle ne se rende pas entièrement compte de toutes les répercussions. Elle l’avait découvert à travers sa belle famille qu’elle n’avait jamais rencontré. En vérité, elle avait rencontré la petite sœur d’Ezra, il y a plusieurs années lors d’une festivité sorcière et moldue. Si sa mémoire était bonne, c’était la première attaque de Ses serviteurs depuis le Bélize. Eliott avait été mise en sureté par Greer et Jill ne l’avait plus jamais revue. Qui plus est fille unique, la sorcière avait d’autant plus de mal à concevoir le concept de fratrie. Elle comprenait mieux aujourd’hui, même si elle n’en était pas affligée directement. Bien entendu elle avait envie de rencontrer la mère d’Ezra et revoir la frimousse de sa sœur, mais elles ne pouvaient lui manquer puisque Jill ne les connaissaient pas réellement. Pour Micah la situation était dramatiquement plus directe, surtout qu’il était investi dans les forces ministérielles sorcières britanniques et l’armée moldue. Deux gouvernements à servir, alors qu’un seul pouvait parfois s’avérer impossible.
Il semblait que son interlocuteur n’avait pas la moindre envie de s’épancher sur ses excuses et elle ne lui en tint pas rigueur. Merlin savait qu’elle même détestait ce genre d’effusions gênantes. « Tu savais que le terme vodka est le dérivé de voda, un mot russe qui signifie eau ? » Jill esquissa un sourire, l’écoutant sortir les rames. Elle lui signifia calmement qu’elle n’était pas là pour l’enfoncer et coupa droit au but. Le sorcier n’avait pas l’air emballé, mais puisque qu’il restait statique depuis deux minutes, sa seule main portant sa cigarette aux lèvres, il était difficile de juger. « Je ne suis pas sûr de vouloir revenir au Ministère après tout ce qui s'est passé. » Elle soutint son regard. « Personne ne t’as demandé de les aider. » Les accusations étaient légitimes, bien qu’elle sache parfaitement qu’il avait tenté d’agir autrement que son Ministre. Il avait tout de même choisi ce parcours aussi, Jill n’allait très certainement pas le plaindre sur ce sujet. De toute façon, il continuait sur autre chose et elle n'avait aucune envie de s'étendre. Simplement lui rappeler que chaque histoire personnelle était le fruit de ses choix propres, même si toutes les options semblaient mauvaises. « Du reste, tu as vu dans quel état je suis ? J'ai perdu beaucoup de mes capacités physiques. Si admettons tu me provoquais en duel là, maintenant, tout de suite, tu me mettrais une raclée dont je me souviendrai longtemps. J'ai…j'ai le corps couvert de blessures et j'ai un bras qui n'est plus vraiment opérationnel. Je t'assure que je serais plus un poids mort qu'autre chose. » Jill le scruta un instant avant de hausser des épaules d’un air neutre. « T’es toujours plus carré que moi. » Ca n’était pas très difficile, mais le voir s’apitoyer sur son sort la faisait s’impatienter. Peut-être Léon aussi en avait-il marre de ce comportement. Elle abandonna momentanément leur discussion pour agiter ses bras devant elle, tentant au mieux de chasser la fumée omniprésente dans la pièce. La sorcière se leva en soupirant sans la moindre élégance avant de se diriger vers la fenêtre la plus proche, prenant bien soin d’embarquer une cigarette et le briquet aligné au paquet. Elle se planta face à lui dos au mur, légèrement appuyée sur la fenêtre en écoutant les sons de la ville lui parvenir aux oreilles. « Concrètement je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie maintenant que je suis obligé de rester ici. J'ai besoin de temps pour…réfléchir. » De rester ici. Réfléchir. Malgré son envie de ne pas s’épandre il en disait beaucoup. Trop pour qu’elle ne creuse pas le sujet. Il était beaucoup plus simple de regarder les gens parler pour mieux analyser leurs propos. Et cette vue d’ensemble lui servait bien mieux.
« Il est bizarre… » commenta Falco qui se coucha nonchalamment au milieu des deux interlocuteurs, attendant que Léon refasse son apparition. « Encore plus que d’habitude, je sais. » renchérit Jill, pensive. Elle fuma quelques bouffées avant de reprendre. « Quelque chose a changé. Tu es différent. » Il était difficile de ne pas le voir tant c’était criant de vérité. Le félin grogna en bâillant. « Il n’a jamais vraiment été très net. » railla le patronus qui éprouvait pourtant un grand respect pour le sorcier. « Je ne t’ai ja-mais vu flancher. Jamais. Jamais ! » s’exclama t-elle pour finir sur son dernier mot, levant les paumes au ciel sans le quitter du regard. Son visage s’était métamorphosé et la concentration furtive faisait place à ce qui s'apparentait à de l'enthousiasme. « Donc si c’est bien vrai, et que tu me dis que je peux de battre en un claquement de doigt, alors dis moi franchement. Mais qu’est ce qu’on attend ? » La question était candide. Le patronus poussa un feulement plaintif. « T’es complètement folle ma pauvre fille. » Jill claqua de la langue en direction du félin qui se changea intensément oiseau et vint piailler autour de sa tête. Elle fit disparaître de sa vue en lui soufflant une bouffée au bec et s’attarda une seconde sur le cadre en face d’elle, baguette fermement tenue dans une main, cigarette dans l’autre. Morrigan ? Elle regarda plus attentivement la décoration et découvrit quelques cadres d’Ethan et de ses filles.« Est-ce que c’est vraiment ton appartement ? » le questionna t-elle en reportant ses yeux clairs sur lui. « C’est encore plus bizarre… » rajouta Falco d’une voix volontairement bizarre.
Confusion that never stops, the closing walls and the ticking clocks gonna come back and take you home. I could not stop, that you now know, singing. Come out upon my seas, cursed missed opportunities am I a part of the cure, or am I part of the disease, singing.
Retourner travailler…bien des fois j'y avais songé, depuis ma sortie de prison. L'idée, en soi, était séduisante. Cela me manquait, d'avoir une activité régulière, de bouger, de voir des choses, de voir du monde même si je n'étais pas intrinsèquement sociable. Je m'étais habitué à un certain train de vie. Pendant longtemps, j'ai été sur les routes, voguant d'une mission à une autre, ne rentrant chez moi qu'en de rares occasions. Même pendant mes journées de repos, je tournais comme un lion en cage, l'inactivité, l'oisiveté me rendaient fou. Aujourd'hui tout était différent. J'avais de plus en plus l'impression de m'enliser, de m'empâter. D'où le fait que je venais de déplorer la perte de ma condition physique d'antan. Je sentais que j'étais rouillé, que je me traînais. Mon bras blessé me faisait un mal de chien, le reste de mon corps s'était ankylosé au cours de ces longs mois de captivité. Si elle avait vu l'état dans lequel je me trouvais quand je suis sorti, elle ne dirait pas la même chose. « Jill a été captive elle aussi. » me fit remarquer Léon, qui était réapparu depuis. « Je suis sûr que cela vous aiderait, de parler de vos expériences respectives. Elle sait de quoi elle parle, elle aussi a dû se réhabituer à une vie normale. Seulement, tu n'étais pas là pour le voir puisque à ce moment-là, tu jouais déjà les courants d'air. » Pour toute réponse, j'adressai à Léon un grognement désapprobateur et je me renfrognai. Mon visage était tellement fermé, mes traits verrouillés, qu'il était difficile de deviner ce que je ressentais réellement. Moi-même je n'en savais rien, j'étais animé par plusieurs sentiments contradictoires et je tâchais de faire du tri, du mieux que je pouvais. Je posai finalement mes yeux vairon sur Jill, comme pour vérifier la théorie que Léon venait d'avancer. Cela faisait quoi…presque deux ans que les cobayes des Disciples de Shacklebolt ont été libérés ? Il me semblerait qu'en octobre prochain, ce soit le cas. La jeune Auror semblait s'être bien remise. Elle gardait des traces physiques des sévices qu'elle avait endurés, il y avait quelque chose dans son regard qui ne s'en ira jamais vraiment mais en apparence, elle semblait reprendre du poil de la bête et même si je n'avais joué aucun rôle dans sa rémission, je ne pouvais m'empêcher de me sentir fier d'elle.
Je devrais m'en inspirer, en prendre exemple car là, j'avais l'air de geindre sur mon sort. La vérité, c'est que je n'étais vraiment pas chaud pour retourner au Ministère. Je faisais encore moins confiance à ce gouvernement tripartite qu'à l'ancien, c'est dire. Des gouvernement corrompus jusqu'à l'os, j'ai eu l'occasion d'en connaître tout au long de ma carrière militaire puis ensuite en tant qu'Auror. Je savais que la nature humaine était telle que, quand il détenait une once de pouvoir, l'homme était tenté d'en abuser. Jill arguait que personne ne m'avait demandé de les aider mais pour moi, c'était un prérequis auquel on pouvait difficilement échapper. En tant qu'Aurors, nous étions, assurément, supposés servir le gouvernement qui nous employait. Je ne pensais pas être un larbin, ou quelqu'un destiné à la servitude. Servir n'était pas forcément un terme péjoratif. Encore une fois, c'était l'ancien soldat qui parlait. J'avais porté l'uniforme par devoir, par patriotisme. Aujourd'hui je ne ressentais pas un tel sentiment pour l'Angleterre, qui était pourtant devenu, par la force des choses, mon pays d'accueil. Je suppose que j'avais nourri une certaine rancune qui altérait mon jugement, et rancunier comme je l'étais, je savais qu'il me faudra du temps pour digérer tout ça.
Je jetai à Jill un regard interloqué lorsque je la vis faire des signes de sémaphore, comme si elle chassait une mouche ou un quelconque insecte invisible. Je compris que la fumée de ma cigarette l'incommodait quand elle se leva pour aller ouvrir la fenêtre et aérer la pièce enfumée. Sans surprise, elle se servit dans mon propre paquet et kidnappa mon briquet au passage. Autrement dit, si par le plus grand des hasards je voulais fumer une autre cigarette après celle-là, j'allais devoir quitter mon perchoir et le lui réclamer. Bien joué, fus-je tenté de lui répondre mais je m'en abstins. J'avais déjà trouvé une solution pour lui chiper mon briquet sans bouger de mon poste. La première clope finit écrasée dans le cendrier. Du bout des doigts, j'en attrapai une seconde puis je la coinçai entre mes lèvres. Je profitai que Jill ait le dos tourné et soit occupée avec sa propre cigarette pour attraper discrètement ma baguette posée sur la table.
Accio briquet, pensais-je très fort, me concentrant sur l'objet de ma convoitise. Un informulé. À l'époque j'étais plutôt bon pour les sortilèges et la métamorphose, et j'avais rapidement maîtrisé les informulés. Peut-être que mes capacités d'observation me permettaient de me représenter très exactement les effets escomptés. Cela était également valable pour la métamorphose, il était toujours plus facile de réussir la transfiguration quand on visualisait très clairement le résultat que l'on voulait obtenir. Je décochai à Jill un sourire en coin, mon fameux sourire de petit con lorsque le briquet quitta sa main pour regagner la mienne.
Tout fier de mon tour de passe-passe, j'allumai une autre clope et je repris tranquillement le fil de la discussion après ce bref interlude. Toujours attentif, je détaillais Jill, perchée sur le bord de la fenêtre. Elle m'accusait d'avoir changé, et vu le ton qu'elle employait, c'était visiblement une très mauvaise chose. Ça ne lui plaisait pas, de me voir flancher, avoir des doutes. J'en pris note. Je n'aimais pas savoir que je faisais quelque chose qui déplaisait à autrui. Qu'elle en soit convaincue ou non, l'opinion des autres et en particulier de ceux qui m'étaient chers m'importait beaucoup. Je pourrais me secouer un peu, faire un effort, mais je ne savais juste pas par où commencer tant le chantier me semblait surhumain. J'étais peut-être une épave, mais je savais encore réagir quand on m'attaquait. La susceptibilité, sans doute. Ma bouche se tordit en un drôle de rictus lorsqu'elle me provoqua en quelques sortes en duel. Mon poing se resserra autour de ma baguette, prêt à riposter en cas d'attaque…attaque qui ne vint pas pour autant.
« Qu'est-ce que tu attends ? » la provoquais-je à mon tour. « Ne serait-ce que de la gueule ? Tu sais, c'est vraiment moche de frapper quelqu'un à terre, ça manque cruellement de fair play. » Et elle le savait, que j'attachais une importance particulière à l'honneur, puisque j'obéissais à un code d'honneur très strict. « Mais si tu veux vraiment te mesurer à moi, je t'en prie. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée de faire ça ici et maintenant. »
Je faisais bien sûr allusion à l'appartement que je squattais. À l'évidence, un duel de sorciers ne ferait que le ravager et comme c'était un bien qu'on me prêtait, j'avais bien trop de scrupules à me lancer dans ce genre de combine. D'ailleurs, Jill sembla remarquer à son tour que je n'étais pas vraiment chez moi, puisqu'elle me posa directement la question. À cela, je répondis par un haussement d'épaules.
« Non, je ne suis pas chez moi. » répondis-je avec franchise. « Ethan m'a prêté son appartement en attendant que je sorte la tête de l'eau. Comme tu peux t'en douter, c'est compliqué. Je ne suis pas en mesure de subvenir à mes propres besoins, parce que je n'ai pas une tune, je suis fauché. Je n'ai pas encore totalement accès à mes comptes, et de toute manière la priorité était de mettre ma femme en sécurité et à l'abri du besoin. Le reste…importe peu. » Mon propre sort était inclus dans le reste. « Mais je m'en sors, tu sais. Je fais des petits boulots par ci par là, et c'est nettement mieux payé que quand j'étais à temps plein au Ministère. » Je tirai une latte sur ma cigarette. « J'ai vraiment du mal à m'y faire, à votre système. Le capitalisme… » Je soupirai d'un air ennuyé. « Je ne dis pas que c'était tout rose quand je vivais en Pologne, mais au moins les choses de première nécessité ne me coûtaient pas un bras. »
Elle devait le savoir également, que je détestais dépendre des autres. C'était ma fierté qui en prenait un coup. J'avais toujours eu à cœur de subvenir aux besoins de ma propre famille, qu'il s'agisse de ma mère ou de ma femme, que je vivais cette situation comme un échec.
✻✻✻ Léon rappelait à son sorcier la captivité de Jill, arguant que parler de leurs expériences respectives les aideraient à reprendre une vie normale. Sur le fond, la sorcière partageait son opinion mais sur la forme, il était hors de question d’aborder ce sujet avec Micah et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, car évoquer cette expérience lui faisait encore revivre son trauma. Le temps n’avait pas assez coulé pour effacer les profondes blessures causées par ces longues semaines de captivité, et même les blessures les plus récentes ne pouvaient en remplacer d’autres. Au contraire, elles s’entassaient les unes les autres, creusant toujours plus et toujours lus profond.
Deuxième, car Jill considérait toujours Micah comme un précepteur ; comme un collègue. Il pouvait lui apprendre tant de choses ! La sorcière l’appréciait beaucoup et remercierai toujours la Directrice Oswin de l’avoir placée sous son aile lors de son début de formation. A cet effet, Micah avait toujours été plus un collègue qu’un ami. Elle s’interdisait donc de se confier à lui, non pas par manque d’affinité mais par rigueur professionnelle. Chacun possède des blessures plus ou moins profondes, plus ou moins assumables, Micah le premier. S’en plaignait-il à longueur de temps ? Non. Bien sûr ils avaient parfois été amenés à parler de leur vie, cette vie que l’on nomme privée. Celle que l’on protège du regard et de l’emprise des autres. Ces autres qui n’intéressent ou ne plaisent pas. Ces autres en qui nous n’avons pas confiance. Tous ces autres à qui on refuse de livrer la moindre information personnelle, de peur de leur donner un peu trop de pouvoir sur notre personne. Car le savoir n’est-il pas le vrai pouvoir ? Une fois que le sorcier avait réussi à gagner la confiance de sa cadette, il lui arrivait de se livrer. Parfois, sans trop rentrer dans les détails les plus morbides. Elle se souvenait des yeux brillants du sorcier lorsqu’il évoquait sa femme et son pays. De sa colère lorsqu’il maugréait à propos de toutes ces inepties proposées aux sorciers britanniques. Le système est pervers. C’est trop compliqué ici. En Pologne c’est beaucoup mieux. Je ne comprends pas vos politiques Et la liste était longue… La jeune femme se souvenait lui avoir confié quelques petites choses sur elle-même, sans rentrer dans les détails. Ils possédaient assez d’informations pour se cerner, et c’est tout ce qui était nécessaire. L’acharnement mutuel qu’ils projetaient dans leur travail et leurs caractères résumaient, en somme, ce qui les avait réellement rapprochés au point qu’à ce jour, le manque de nouvelles de la part de Micah et l’inquiétude d’Ethan au sujet du jeune homme avaient fini par inquiéter la sorcière elle-même.
La troisième raison pour laquelle la jeune femme ne souhaitait pas aborder le sujet du Complexe était des plus simplistes ; elle n’était pas là pour suivre une thérapie ni pour donner à Micah une accolade amicale. Non, la sorcière était venue pour comprendre ce qui se passait chez le jeune homme, avec pour objectif assumé de le faire revenir au Ministère. Jill avait toujours eu dans l’idée que le sorcier ne pouvait s’épanouir sans son job et le Micah qu’elle voyait aujourd’hui ne faisait que
renforcer cette impression tenace. « Ca ressemble beaucoup à ce que tu ressentirais pour un ami quand même… » Mais Jill ne démordait pas. « Pas du tout. M. Williams s’est toujours montré gentil et aidant à mon égard. Ce n’est pas mon ami pour autant. C’est comme Micah, c’est plutôt un …» elle cherchait le mot adéquat jusqu’à ce que le duo s’exclame en chœur. « un mentor ! » Falco n’avait pas tord, Micah lui était cher. Pour autant, il lui était impossible de le considérer comme un ami, sûrement car elle nourrissait l’espoir qu’il réintègre ses fonctions au Ministère … et reprenne les rênes de son propre apprentissage. Un motif certes égoïste mais peu troublant lorsqu’on connaissait bien la demoiselle. Pour autant, son inquiétude envers le jeune homme restait authentique.
Lorsque Jill adopta une posture de duel, la baguette dans une main la cigarette dans l’autre, Micah ne fut pas long à la détente. La clope au bec, il la défia à son tour, prenant place avec cette prestance qui lui était propre. Rapide mais délicate, efficace et sans fioritures. Le choix de ses mots « Il ne fait aucun effort pour le cacher pourtant. » Jill scrutait Micah de ses yeux clairs, les lèvres parfaitement immobiles lorsqu’elle répondit à son patronus. « Non, je veux dire qu’il se cache à lui-même son mal-être. Il a vraiment l’air à bout tu sais, et je pense qu’il n’a pas conscience de ce qu’il s’inflige. » Comment pouvaient-ils l’aider ? « Mais si tu veux vraiment te mesurer à moi, je t'en prie. » Elle arbora un sourire carnassier. « Oh tu n’en as pas la moindre idée… » commença-t-elle avant d’être happée par une photo de Morrigan derrière le jeune homme. « Est-ce que c’est vraiment ton appartement ? » hasarda-t-elle avant de lancer le premier sort, comme pour s’assurer des dégâts qu’elle pouvait se permettre. Micah ne sourcilla pas devant la question et haussa simplement les épaules, agrémentant sa réponse de détails qui mirent Jill un brin mal à l’aise. Micah ne livrait que peu d’informations sur sa vie mais se montrait toujours d’une grande franchise. C’est l’un des traits qu’elle appréciait le plus chez lui, et se félicitait de noter que ce côté précis de sa personnalité ne semblait pas envolé malgré les soucis.
« Ethan m'a prêté son appartement en attendant que je sorte la tête de l'eau. […] parce que je n'ai pas une tune, je suis fauché. […] la priorité était de mettre ma femme en sécurité et à l'abri du besoin. Le reste…importe peu. » La sorcière avait écarquillé les yeux sous la surprise, laissant sa clope lui brûler les doigts avant de se rendre compte qu’elle n’était que cendres. D’un mouvement de doigts le mégot s’envola par la fenêtre. Les questions d’argent déstabilisaient toujours un peu Jill qui n’avait jamais vraiment connu ce genre de situation. Elle qui en avait par-dessus la tête, et se contentait d’une vie simple, aurait souhaité que les êtres qui comptaient le plus à ses yeux n’aient à souffrir de ce genre de situation. De nouveau, le choix des mots du sorcier allumèrent une nouvelle alarme dans son esprit têtu qui occulta complètement son envie de duel. « Si c’est de l’argent dont tu as besoin, je peux t’en donner. » La stupeur passée, la jeune femme était stoïque. Le ton calme. Elle connaissait cette tendance du jeune homme à ne compter que sur lui-même, mais s’il tendait un bras vers elle, elle se devait de saisir l’opportunité. Il sembla pourtant que ça n’était pas une demande, mais un simple constat de la part du sorcier qui continuait, inébranlable. « Mais je m'en sors, tu sais. Je fais des petits boulots par ci par là, et c'est nettement mieux payé que quand j'étais à temps plein au Ministère. » Jill ne daigna pas dissimuler son soupir de déception. « Mais enfin Jill, tu n’y penses pas ! Tu ne vas quand même pas lui proposer de le payer pour qu’il reprenne ta formation. » s’exclama le patronus outré par tant d’égoïsme. « Et pourquoi pas ? Si ça peut l’aider, c’est du gagnant-gagnant. » Elle écoutait Micah, silencieuse, l’esprit en ébullition. « J'ai vraiment du mal à m'y faire, à votre système. Le capitalisme… » Un sourire naquit sur les lèvres de la sorcière tandis qu’elle haussait un sourcil, visiblement perdue. Le capitalisme, uh ? Au moins, même dans l’adversité Micah restait fidèle à lui-même. Jill connaissait bien sûr la notion, savait que cela relevait globalement d’un certain système économique et financier mais cela n’allait pas plus loin. A vrai dire la Gryffondor dans l’âme avait beau s’intéresser au monde moldu depuis des années, elle s’étonnait encore devant des choses simples, en particulier la technologie. Jill s’était beaucoup intéressée à l’histoire européenne moldue et les coutumes de la société anglaise. Sûrement avait-elle rencontré la notion du capitalisme au cours de ses lectures, ou bien dans la bouche d’un Micah désabusé pendant sa formation. Sûrement avait-elle écouté d’une oreille trop distraite pour s’en souvenir, et peinait aujourd’hui à se remémorer la véritable définition du terme. « C’est vraiment si différent chez toi ? » Dans le fond, savoir si la vie en Pologne différait de leur train-train anglais ne l’intéressait guère, mais elle savait l’amour de Micah pour son pays. Si le faire parler pouvait le décoincer un peu, elle ne se priverai pas. Le jeune homme s’autorisa un soupir avant de continuer. « Je ne dis pas que c'était tout rose quand je vivais en Pologne, mais au moins les choses de première nécessité ne me coûtaient pas un bras. » Dans le fond cela semblait sympa, même si la notion de coût était très relative chez la jeune femme. Sympa sympa ... Dans ce cas pourquoi sa femme courait un danger ? « Pffff si ça se trouve tu n'as encore rien compris. » déplora le patronus pour l'intimer à se taire. Car si Jill voulait bien éviter une chose, c'est de se rendre ridicule. Pour autant, elle ne comptait mâcher ses mots. « Je ne te comprends pas. » lâcha t-elle sans plus de cérémonie en abaissant finalement sa baguette. « Si la Pologne est si agréable, pourquoi es-tu ici ? » Ses yeux si bleus s'étaient posés sur les siens, si étranges et pourtant captivants. Elle ne s'y arrêtait plus. « Nous n'avons pas eu de tes nouvelles pendant des mois. Es-tu retourné là-bas ? » Micah était libre de ses mouvements mais un jour, il devrait faire un choix elle en était persuadée. « Qu'attends-tu de l'Angleterre, Micah ? » Mais surtout, qu'attendait-il de la vie tout court ? Jill souhaitait plus que tout le faire réintégrer le Ministère, mais elle voyait bien que des choses lui échappaient. Comme à son habitude, le sorcier en disait trop ou pas assez. Juste ce qu'il fallait pour déchaîner la curiosité de sa cadette qui, plus que tout, aspirait à assembler les pièces du puzzle. Assez pour comprendre. Assez pour l'aider.
Confusion that never stops, the closing walls and the ticking clocks gonna come back and take you home. I could not stop, that you now know, singing. Come out upon my seas, cursed missed opportunities am I a part of the cure, or am I part of the disease, singing.
Baguette au poing, clope au bec, je défiais Jill du regard, non sans espérer que la jeune femme soit suffisamment raisonnable pour baisser les yeux. Je la savais téméraire, mais elle n'était tout de même pas stupide au point de me provoquer en duel, pas vrai ? De cela, je n'en étais même pas certain. Les choses avaient changé depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Elle avait changé. J'avais changé, et pour l'instant il était impossible de dire si c'était en mal ou en bien. Je n'étais que trop bien placé pour savoir à quel point l'incarcération, quelle qu'elle soit, détruisait bien des hommes, les transformait en monstres. Qu'il s'agisse du Complexe sorti tout droit de l'imagination de ces tordus de Disciples ou une prison d'état russe, c'était du pareil au même. Je ne la lâchais pas des yeux, je lui adressai même un regard torve, un de ces regards qui signifiait fais gaffe. Jill l'effrontée ne se démonta pas pour autant, son sourire en disait d'ailleurs très long. Elle ne lâchera pas l'affaire. Cela ne devrait pas me surprendre, je savais que nous étions faits du même bois, nous étions aussi cabochards l'un que l'autre, et quand nous avions une idée derrière la tête, nous ne l'avions pas ailleurs. Nous étions animés de cette même fougue et de cette même impétuosité, nous étions également très rigides sur de nombreux points. La Peverell ne pouvait s'empêcher de fanfaronner, tout en me tenant en joue. Mes lèvres se tordirent en un rictus carnassier – chacun son tour – lorsqu'elle coula un regard vers le cadre accroché au mur et me posa sa question, à savoir, si cet appartement était réellement le mien. La réponse que je lui apportai ensuite ne semblait pas lui plaire. Il fallait dire que je ne lésinais pas sur les détails, dont certains étaient très privés. L'ancienne Gryffondor n'avait visiblement pas retenu la leçon que j'étais en train de lui inculquer.
Ne pose pas de questions et tu n'auras pas de mensonges.
Du coin de l'oeil, je vis Jill jeter son mégot de cigarette par la fenêtre. Mon visage demeura inexpressif tandis que je me disais qu'au pire, il y avait un cendrier sur la table derrière moi, mais cela impliquait de faire quelques pas vers moi. Ce n'était donc pas la meilleure option, si on considérait que Jill voulait rester postée sur le bord de la fenêtre. Jill fléchit en premier, et, jouant le jeu, je baissai ma propre baguette pour la poser sur la table, juste à côté de moi. Je n'avais pas réellement l'intention d'attaquer Jill mais on ne savait jamais ce qui pouvait se passer. Heureusement que je l'avais posée, d'ailleurs, car les prochains mots de Jill me firent tiquer.
« Je ne veux pas de ton fric. » coupai-je âprement, faisant claquer ma langue contre mon palais en signe d'agacement.
Je ne voulais pas de son fric, pas plus que je voulais de la charité ou de la pitié de qui que ce soit. J'avais beau ne pas avoir de chez-moi, être fauché-de-chez-fauché, je ne voulais pas sombrer dans le misérabilisme. Même s'il m'arrivait de me plaindre très souvent de ce système si différent de celui que je connaissais, je restais digne et fier, surtout fier en fait. « Dis plutôt que ça t'arrache la gueule de demander de l'aide. » intervint Léon qui, non content d'avoir fait rouler la bouteille de vodka vide du dessous du canapé, trahissant ainsi mon secret, se permettait par dessus le marché de critiquer la façon dont je gérais mes problèmes – c'est à dire pas du tout, mais ce n'était qu'une question de point de vue. Je tiquai une nouvelle fois lorsque la sorcière poussa un soupir teinté de déception. Qu'espérait-elle, au juste ? Que je lui dise que tout allait bien dans le meilleur du monde, que j'allais revenir au boulot d'ici peu comme s'il ne s'était jamais rien passé ? Avait-elle conscience que si, et je dis bien si je revenais au Ministère, que je reprenais mes fonctions d'Auror, elle ne sera pas forcément en binôme avec moi ? Toutes ces questions ne semblaient pas avoir effleuré l'esprit de l'ancienne Gryffondor puisqu'elle se permit d'esquisser un sourire. D'habitude, j'étais plutôt bon pour deviner les intentions de mes interlocuteurs, mais là, j'étais tombé sur un os. Je ne comprenais vraiment pas les réactions de la Peverell et j'avais la ferme intention de connaître le fin mot de l'histoire. Plus les minutes passaient et plus j'étais convaincu que Jill avait une idée derrière la tête. Elle me demanda ensuite si c'était vraiment si différent chez moi, et sa question ne suffit pas à me distraire.
Jill Peverell lâcha finalement qu'elle ne comprenait pas. Elle ne me comprenait pas serait plus juste.
La jeune Auror s'empressa de me poser des questions pour le moins épineuses. La vérité, c'est que quitte à choisir, j'aurais aimé ne pas quitter mon pays, mais on ne pouvait pas toujours avoir ce que l'on voulait, n'est-ce pas ? C'était déjà une chance que je sois toujours en vie. Vint finalement la question qui tue, à savoir qu'attends-tu de l'Angleterre ? Qu'est-ce que j'en savais, putain ?
« Je n'attends rien de l'Angleterre, tout comme je n'attends rien du Brésil ou du Liechtenstein. » répondis-je enfin, toujours avec cette même honnêteté, cette même franchise. « Et si je te cite ces deux pays qui n'ont a priori rien à voir l'un avec l'autre, c'est probablement parce ma situation serait la même, ici ou ailleurs. »
Après tout, une terre d'exil en était toujours une, peu importe sa localisation, pas vrai ? Que mes chaînes soient en or ou bien en plomb, ça n'avait pas la moindre importance, car dans le fond, il s'agissait toujours de chaînes.
« Je ne peux pas retourner en Pologne, Jill. » C'était dit. « Du reste, dans mon pays, la situation n'est pas aussi idyllique que tu pourrais le croire. » C'était peu de le dire. « Oui, j'y suis retourné, mais de toute évidence ce n'était pas le bon moment. Au printemps de l'année 1983, j'ai reçu une lettre de mon ex femme qui m'annonçait que l'état de santé de ma mère s'était détérioré, et je n'ai pas pu retourner là bas avant le mois de septembre. »
Ce n'était pas qu'une question d'argent, car en réalité, je ne supportais plus la situation en Angleterre.
« Pendant l'été, la situation politique en Pologne a changé. Les moldus ont appliqué la loi martiale, et pendant cette période, de nombreux opposants politiques et ennemis du régime ont été internés dans des asiles psychiatriques, ou emprisonnés. » Je ne savais pas si c'était mieux d'avoir échappé à l'internement psychiatrique pour aller en prison. Encore une fois, c'était kif-kif. « Une véritable purge a touché toutes les strates de la société, sans exception. Certes, en septembre, quand je suis rentré, la loi martiale a été levée, mais il y avait toujours des retombées, notamment chez les sorciers. »
Je gardais les bras croisés sur mon torse, et mon visage était fermé, impénétrable. Verrouiller toutes mes émotions avait été la seule option pour m'éviter de m'effondrer. Une fois encore, je compartimentais.
« Tu es au courant que je suis un né-moldu. Par conséquent, je suis obligé de respecter les lois magiques comme non-magiques. » Et ce, parce que j'appartenais aux deux mondes, même si l'on estimait qu'un jour, j'allais devoir faire un choix et m'assimiler complètement. « Tu sais également que je suis juif, et malgré l'élection d'un pape polonais qui lutte farouchement contre le régime communiste et essaie de rapprocher les communautés, l'antisémitisme ne s'est jamais atténué, bien au contraire. » Silence. « La plupart des personnes que j'ai connues pendant mon enfance et mon adolescence ont migré soit vers les Etats-Unis, soit vers Israël. Pour des raisons évidentes, je ne pouvais pas aller aux Etats-Unis, parce que je suis un communiste, ayant vécu en union soviétique, en pleine guerre froide. » J'eus un rire jaune. « Je ne suis même pas certain que j'aurais obtenu un visa si j'en avais fait la demande. »
Je connaissais bien les rouages de l'union soviétique pour avoir été au cœur de celle-ci. Mes accointances avec le service de renseignements russe n'était un secret pour personne, et en tant qu'ancien militaire, j'étais tenu au secret. Je n'avais jamais brisé cette règle, de quelque façon que ce soit.
« D'un autre côté, j'ai vécu plusieurs années sur le territoire britannique, un pays occidental, capitaliste. » Ce que je voulais dire par là, c'est qu'un séjour aussi long sur un territoire donné laissait des traces. « Les autorités russes ont estimé que je n'étais plus assez communiste, alors même que beaucoup me trouvent trop extrême dans mes positions, trop...fanatique. Ils ont craint que je les trahisse un jour ou l'autre. C'est pour cela que je n'ai pas donné de nouvelles pendant plusieurs mois. Ils se sont arrangés pour me faire disparaître. »
C'était le sort de nombreuses personnes qui servaient Moscou. Ils se méfiaient d'autant plus que je venais d'un pays satellite à l'union soviétique et dès le départ, ils se sont assurés que ma loyauté serait sans faille.
« Je te passe les détails sordides, mais je suis officiellement un réfugié politique, protégé par le gouvernement anglais » Elle la voyait, l'ironie de la situation ? « Je ne peux plus rentrer en Pologne ou mettre les pieds en Russie, parce que j'ai été interdit de séjour. Si j'y retourne, je m'expose à de lourdes peines de prison, ou pire encore. »
C'était le sort que l'on réservait aux traîtres, et j'étais considéré comme l'un d'entre eux.