D'aucuns n'ignorent que la famille Blasckstone se targue d'être la plus pure et la plus noble de la vieille Angleterre. Adepte des moeurs les plus scélérates puisque connue pour son affiliation aux Mangemorts par le passé, on les craint pour leurs idéaux comme pour leur influence. Nobles de sang et de titre mais impurs d'esprit, nul ne saurait dire si les Blackstone ont pour eux toute leur tête à défaut d'avoir toute la considération du peuple sorcier ; réfractaires aux moldus, sang-mêlés et autre sang de bourbe, ils rechignent à entacher l'arbre familial d'une branche pourrie pouvant souiller leur prestige. Aussi font-ils partie de ces intégristes allergiques à la vermine, s'enfermant dans leur somptueux manoir du Nord de l'Angleterre, lequel est régi par le 'patriarche' qui embrigade et contrôle sa famille d'une main de fer. Desmond Blackstone s'érige en effet comme le maître des lieux, manipulateur de cerveaux et autocrate de génie : les siens lui obéissent sans même broncher, de crainte de représailles cruelles.

C'est dans ce contexte que naquit Ezechiel, petit-fils de Desmond qui à l'instar de la descendance du patriarche fut d'abord profondément haï par ce dernier. L'endoctrinement du garçon se fit dès le plus jeune âge, néanmoins quelques obstacles jalonnèrent la course à la refonte des cerveaux : le jeune garçon n'était pas seul, et grandit notamment en compagnie de son faux jumeau Raphaël. Ainsi les enfants purent se soutenir et tenter de gommer la terreur instaurée par leur grand-père grâce à une complicité tenace et immuable. Les jumeaux, bien que différents dans leurs personnalités respectives, tissèrent ainsi un lien fraternel fort qui leur permit de garder une certaine hygiène d'esprit face à l'ombre effrayante du patriarche... Ou presque. Dans le cas des frères Blackstone, hygiène de l'assassin serait un terme plus convenable.

Car qui peut s'enorgueillir de préserver sa lucidité dans un contexte où la folie règne en despote ?

Desmond avait modelé ses oeuvres d'une main de maître, quoique avec quelques failles. Oubliant que le lien fraternel pouvait fissurer ses plans, il ne prit pas en compte la complicité des jumeaux dans ses desseins d'embrigadement. La machine se retrouvait avec un grain de sable dans ses rouages, un dysfonctionnement qui prendrait de l'ampleur et ferait sauter les plombs. Car tiraillé entre le bourrage de crâne de son grand-père et sa volonté propre qu'il cultiva avec et grâce à Raphaël, Ezechiel ne pouvait demeurer un jeune homme tout à fait normal. Entre la raison et la folie, il n'y a qu'un pas.

Là où Raphaël se renferma sur lui-même au fil du temps, son jumeau prit le chemin inverse dans une volonté inconsciente de le protéger. Face à la muraille qu'était devenu son frère, mieux valait se faire l'ambassadeur, le messager, le charismatique rhétoricien convaincant les béliers de bois et de ferraille de ne pas forcer la grande porte. Aussi Raphaël devint un jeune homme expansif et sociable aux premiers abords, traînant dans son sillage une popularité grandissante attirant les regards et les amitiés de ses comparses. On le quémandait, demandait sa présence et son attention, chacune de ses apparitions ne laissant pas indifférent. Car il avait ce charme irradiant par tous les pores de la peau, le parfum qui chamboule et fait tourner les têtes, l'incarnat de ses lèvres souvent taquines s'imbibant d'une sympathie, d'une tentation, d'une envie qu'on ne sut déjouer. Populaire, fêtard et a priori chaleureux, Ezechiel était devenu le séducteur de la famille. Et il demeurait si fascinant, que même le patriarche vint gommer peu à peu son mépris envers son petit-fils : le jeune homme devint le préféré des Blackstone, celui en qui on vint placer tous les espoirs, celui pour qui la réussite était faite. Ezechiel fut donc le premier à voir les gestes et les paroles de Desmond s'adoucir à son encontre, le tyran le dardant de ses yeux fiers et non plus condescendants. Malheureusement, il n'en fut pas de même pour Raphaël qui continuait de s'isoler dans ses rêvasseries permanentes. Aussi pour préserver son jumeau, Ezechiel n'hésitait pas à jouer de sa prestance charismatique auprès de son grand-père pour en atténuer sa haine et assouplir les châtiments, bien que ce stratagème ne fut pas récurrent afin de ne pas éveiller les soupçons.

Las ! Ezechiel demeurait un Blackstone et cachait pour lui une facette des plus sombres. Derrière ce charisme inébranlable se dissimulait la vipère prête à mordre, un soupçon d'hypocrisie derrière ses sourires, une pincée de moquerie dissimulée sous l'arceau de ses pseudos compliments. Le garçon populaire était aussi craint ; pour la cruauté de ses paroles contrebalançant avec l'élégance de ses mots par moment, pour son influence au sein du château, pour ses fins justifiant ses moyens.

Car en effet en butte aux goûts les plus barbares, offrant le vice triomphant derrière le masque de vertu en sacrifice, il étourdit de sophismes les plus sceptiques, assomme ses ennemis de coups et de maximes les plus effrayantes, charme les âmes pures à en arracher les larmes de leurs yeux pour mieux déterminer son triomphe. La jouissance le flatte, elle est en lui, le crime ne l'affecte pas.

Néanmoins le jeune homme fut bien vite en proie à des délires psychotiques, savamment dissimulés derrière la figure de gendre idéal. Il lui arriva bien souvent de libérer sa violence et sa brutalité, par les mots ou par les gestes, sans qu'on n'en comprenne pourquoi. Mieux vaut donc ne pas le provoquer, sous peine de tâter de sa férocité ; vous exploser les rotules ou le crâne à coup de batte de Quidditch est pour lui un moyen d'expression comme un autre. Fait qui n'est heureusement pas régulier, mais suffisamment inquiétant pour qu'on en souligne le caractère incontrôlé. En lui sommeille une bête prête à dépecer ses victimes, ne vous fiez pas à son minois d'ange.

La famille entière s'était réunie dans le bureau du Patriarche, inquiète quant aux événements annoncés qui promirent à la population sorcière une mesure de sécurité. L'oppression ambiante vint plomber intérieurement Ezechiel qui néanmoins se drapait de son charisme légendaire, soucieux de ce qui eut pu se produire sans véritablement savoir pourquoi. Après tout, ce qui les attendait n'était que mesure de protection aussi il était bien stupide que d'en craindre l'issue... Oui mais l'embrigadement était en marche ; ce qui eut pu menacer de contrebalancer la magie noire était pour les Blackstone une menace plus qu'une bonne nouvelle. Il déglutit difficilement malgré son port de tête princier et ses mains jointes, jeune homme en tous points de vue impeccable, parfait petit soldat impassible malgré le coup d'oeil inquiet lancé discrètement à Raphaël. Ses yeux dardèrent de nouveau l'écran, glissant de temps à autres sur leur grand-père à la mine presque blafarde, évitant de toiser les silhouettes des autres membres de crainte qu'on ne lise dans l'arceau de ses pupilles toute l'inquiétude qui y ronronnait.

Le décompte commença, les palpitants se figèrent jusqu'au chiffre fatidique de zéro et puis... rien. De longues secondes trépassèrent avant que Ezechiel ne daigne s'accorder un souffle de soulagement, libérant ses poumons opprimés, avant qu'il ne croise le regard sceptique de son faux jumeau. « Ces sang-mêlés ne valent pas mieux que les moldus et cracmols. A quoi nous attendions-nous ? » Tous se turent quoique approuvèrent dans leur mutisme. Les visages se détendirent quelque peu, persuadés que tout ce remue-ménage raté n'était qu'un signe parmi tant d'autres : rien ne pouvait contrer le Lord, même disparu, sa puissance était imparable. L'une des femmes de la famille incarna à elle seule cette euphorie cachée, puisque ce fut dans un sourire radieux qu'elle invita les jeunes garçons à aller se coucher avant de proposer un thé à l'assemblée. Silencieux et dociles, les petits derniers des Blackstone rejoignirent leurs chambres, et ce fut sans un mot échangé avec Raphaël que Ezechiel vint investir la sienne.

Yeux fixés au plafond, il se laissa aller à la léthargie, incapable de trouver le sommeil suite à cette opération ratée. Car persuadé que les faits ne s'arrêteraient pas là, le jeune homme s'inquiétait réellement de ce qui pourrait se produire plus tard sinon ce soir ; le Ministère n'abandonnerait pas si aisément, ou bien peut-être que quelque chose s'était réellement passé sans que personne ne s'en rende compte ? Ezechiel se retourna dans son lit plusieurs fois, nerveux et agité, et finit par taper quelques coups contre le mur le séparant de la chambrée de son jumeau. « Raphael ? » Pas de réponses, il lui faudrait spéculer seul.

Les minutes, les heures, passèrent sans qu'il ne parvienne à s'endormir, quand soudain une lumière vive investit les lieux. D'un bond, Ezechiel se releva et observa la sphère lumineuse qui commença à prendre forme, esquissant les traits d'un lycaon le fixant avec curiosité. Redressé sur le bord du lit, le jeune homme assista circonspect à la scène et dans un élan d'insouciance servant sa curiosité vint tendre la main à l'animal qui s'approcha pour en récolter ses caresses. Un fier sourire en coin ourla ses lèvres lorsque soudain, la porte de chambre s'ouvrit à la volée, faisant apparaître la silhouette digne et droite de son grand-père. « Toi aussi... » pesta-t-il face au patronus, un trémolo grinçant dans sa voix.