Here’s to never growing up

Heidelberg, avec son vieux château. Elle se souvient, Brun, comment les petites filles de sa classe en parlaient avec un ton rêveur, s’influençant mutuellement en fantasmant sur la possible vie de princesse qu’elles pourraient mener là-bas. D’un prince en bel armure sur sa splendide monture d’un blanc immaculé, cette pensée lui a effleuré l’esprit, à elle aussi. Seulement un instant. Et puis sa couronne s’est transformée d’or en métal disgracieux et son petit sceptre en « ratchet » comme son père a toujours dit. Son royaume de plaines se remplissaient de vieilles carcasses de voitures, aussi emplies de potentiel les unes que les autres, avec un peu d’amour et de patience.

Christoph, son père, a toujours été un maniaque –et c’est sa propre expression- de voitures. Depuis qu’il était petit, lui avait-il dit. Et comme son grand-frère avant elle, il essayait de lui communiquer la passion des moteurs. Succès ou pas, son petit frère y passerait également, lorsqu’il sera en âge. Brun, tant qu’à elle, était tout simplement contente de pouvoir passer du temps avec lui, aussi huileuse et crasseuse devenait-elle. Elle a toujours eu une préférence pour son père, si on peut dire. Elle n’aurait jamais osé le dire à voix haute, mais elle était certaine que sa mère s’en était rendu compte depuis longtemps. Selon elle, Brunhilde n’avait plus lâché les talons de son père depuis qu’elle savait marcher.

Et si cette histoire a affecté leur relation mère-fille, sa mère ne l’a jamais fait paraître. Elle s’est plutôt concentrée sur son petit dernier, le plus grand maintenant trop indépendant à son goût. C’était une situation bien normale, avec une famille tout aussi banale à vrai dire. Des tensions et des problèmes comme les autres. Un revenu plutôt moyen. Ils aimaient dire qu’ils profitaient de la vie avec leur enfant plutôt que de se tuer au travail. Et son père, lui, disait que vivre sa passion était loin d’être un devoir ardu.
Elle était loin d’avoir eu l’enfance d’une petite princesse, mais ça lui allait tout aussi bien.

I’ve got the magic in me

Parfois elle se dit que c’est de sa faute si les choses ont tourné comme ça. Si tout avait continué d’être banalement normal et prévisible, rien n’aurait changé pour le pire. Si elle n’avait pas essayé d’être aussi différente des autres petites filles en troquant ses robes pour des pantalons aussi tacheté qu’un dalmatien, ça ne serait pas arrivé. Elle a toujours aimé les contes, toujours aimé se faire raconter des histoires. Comme le festival du château, où le théâtre était maître. Elle s’était même quelques fois dit qu’elle aurait aimé être aussi extraordinaire que ces héros rocambolesques et ces mages enchanteurs.

Et la voilà qui avait enfin ce qu’elle voulait, en quelque sorte. Une idylle qu’elle considérait comme une fantaisie irréalisable. Et ils étaient partis. Sa mère n’avait jamais aimé l’inconnu, jamais apprécié le changement. Elle était quelqu’un de stable, qui se sentait en sécurité dans sa routine et son univers immuable. Alors quand c’est arrivé, elle était choquée, Brun le savait. S’en était presque un traumatisme. Elle avait essayé, à ce qu’elle lui a dit. Elle avait essayé très fort. Pendant un moment, elle était certaine de pouvoir passer par-dessus, de pouvoir ignorer ce détail. Mais il était trop gros et envahissant. Trop dangereux et imprévisible. Ça l’avait effrayé. Une autre chose qu’elle ne lui aurait sans doute jamais dit, mais Brun le savait. C’était comme une lueur dans le regard. Ses yeux n’avaient jamais été aussi vitreux.

Ils se sont déchirés, comme du papier. Il y a eu des disputes, ça se sentait. Ça se voyait, comme ses parents se protégeaient l’un de l’autre croisant les bras, raidissant les épaules quand l’autre entrait dans la pièce. Un la regardait avec pitié, l’autre comme si elle ne la connaissait tout simplement plus. À un moment, c’était trop pour eux, elle imagine. Alors sa mère est partie, avec son petit et son grand frère, comme si elle était un fléau qu’il fallait fuir, ou comme une maladie qu’il valait mieux éviter. À nouveau, il n’y avait plus qu’elle et son père, littéralement. Et ils sont partis eux aussi, histoire de recommencer et d’oublier. Ils ont quitté Heidelberg et son vieux château.

Can’t you see ? We’re all mad here

Elle comprenait pourquoi plusieurs disaient que Poudlard étaient comme  un second chez-soi. Non seulement on y passait plus de temps que dans notre vraie demeure, chose qu’elle mit un temps à s’y faire, n’étant pas jamais allé à un pensionnat ou quoique ce soit du genre, mais ici on se sentait moins seul. Les fous dans un asile se sentent toujours moins fous comparé à leur compatriote à son avis. La comparaison n’était peut-être pas la plus flatteuse, mais c’est comme ça qu’elle se sentait. Et c’était bien, soit-dit en passant.

Ici, elle pouvait vraiment dire qu’elle en voyait de toutes les couleurs et c’était tout simplement… magique. Évidemment. C’était comme un conte qu’elle ouvrait et dont tous les détails, les personnages, les créatures et monstres s’envolaient des pages pour prendre vie autour d’elle. Et même si son père lui manquait, horriblement les premières années, elle se dit que finalement, elle était aussi bien ici. Il n’avait jamais vraiment cessé de la regarder comme s’il ne comprenait pas ce qu’il s’était passé, mais qu’il devait tout de même faire avec. Comme une malade qui avait attrapé le cancer, la soutenant tout en ignorant. Il ne comprenait pas la moitié des choses dont elle lui parlait quand elle avait l’occasion, mais elle appréciait tout de même l’effort de son enthousiasme. Elle s’en tenait au positif, espérant soulager son mal.

Tout de même, Poudlard, ce n’est pas que du rose et du bonbon. Comme dans n’importe quel endroit, les gens se snobent, s’élèvent des autres avec des critères qu’ils jugent supérieurs. Comme les rois et les reines qui disaient avoir le sang bleu, ici la pureté était tout aussi importante. Elle se souvient de l’avoir demandé à un étudiant une fois. Elle n’a jamais eu de réponse. Dommage.