« Eeeeeeeeeden ! La finale va commencer ! »
Eden passa sa tête à travers l'encadrure de la porte de la cuisine. Droit devant, dans le salon, sa famille était installée autour d'un petit poste de radio qui diffusait au volume maximum la radio sorcière. Noah, son père, enlaçant sa mère Scarlett sur le canapé. Et puis les petits, assis par terre devant le poste. Il y avait Forrest, 13 ans, moldu comme sa mère et, accessoirement, meilleur ami d'Eden. À coté de lui se trouvait Bluebell, 10 ans, une jolie petite tête brune qui, en grandissant, ressemblerait fortement à sa grande soeur. Ensuite il y avait les jumeaux, Rudy et Lindell, 7 ans, aussi blonds l'un que l'autre, avec des sourires troués et de grands coeurs. Il ne manquait plus que Tim, un an, qui était confortablement installé sur la hanche gauche de l'aînée de toute cette fratrie: Lyra Eden, qui était toujours dans la cuisine et s'occupait de préparer 8 chocolats chauds avec une seule main, puisque l'autre tenait un bébé. Tim était parfaitement calme pour une fois, et se contentait d'observer la surface brune et mousseuse des chocolats chauds.  Eden sortit sa baguette de sa poche et fit léviter le plateau à côté d'elle jusqu'au salon.
« Ils vont vraiment jouer dans la tempête ? » s'inquiéta-t-elle en déposant le plateau au milieu de sa famille. « Ouais, bien sûr ! » s'exclama Forrest. « C'est des battants. » Elle se saisit d'une tasse, reportant enfin son attention sur la radio. Une tempête de neige faisait effectivement rage, mais il en fallait plus pour reporter la finale de la coupe de Quidditch. Eden n'arrivait toujours pas à croire que les Canons de Chudley soient arrivés en finale ! Elle avait beau être l'une de leurs plus grandes fans, il fallait admettre que la plupart du temps, ils étaient plus des boulets que des canons. Mais cette année, elle était fière d'eux. Restait à voir si ils pourraient battre les Frelons.
Eden adorait le Quidditch. Son père avait réussi dans le commerce de matériel de Quidditch, alors elle recevait à chacun de ses anniversaires un balai flambant neuf, toujours plus performant. Elle s'était entraînée avec son père durant toute son enfance, et c'était devenu quelque chose qu'ils pouvaient partager, juste tous les deux. Du haut de ses 14 ans, elle était devenue l'attrapeuse de l'équipe de sa maison, et il fallait avouer qu'elle avait du talent (c'était d'ailleurs sa plus grande fierté). Elle aimait ça. L'adrénaline, la vitesse, le vent. C'était son truc.
Lindell rampa jusqu'à sa grande soeur et s'installa sans un mot sur ses genoux. Celle-ci l'entoura de ses bras.
« ALLEZ LES CANONS ! »
La neige tombait à gros flocons au dehors, mais dans le salon de la famille Singer, il faisait bon vivre.


« Edy ?... »
Eden ouvrit les yeux un par un. Dans la pénombre de sa chambre, elle distingua une silhouette menue, portant une chemise de nuit blanche, un ours en peluche sous le bras. Elle se frotta les yeux et, se relevant sur les coudes, elle put distinguer tout à fait sa petite soeur Bluebell. « Blue ? Qu'est-ce que tu fais debout ? Il est... » Elle jeta un coup d'oeil aux aiguilles phosphorescentes de sa montre. « 3 heures du mat'. » La petite haussa les épaules. « J'arrivais pas à dormir. » Eden soupira et tira sa couverture pour inviter la petite à s'y réfugier. Les deux soeurs, si semblables malgré leurs 4 années de différence, se blottirent l'une contre l'autre dans le froid mordant de ce soir de décembre. Le chauffage avait tendance à jouer des tours à leur vieille maison de campagne, et à cette époque de l'année, chacun des membres de la famille Singer se terrait sous plusieurs couches de couvertures pour ne pas crever de froid. Eden dessina de petits cercles du bout des doigts sur l'épaule de sa petite soeur en espérant calmer ainsi le rythme de son coeur. Bluebell était insomniaque depuis quelques années, et il n'était pas rare ces temps-ci qu'elle grimpe dans le lit de sa grande soeur. Il n'y avait que blottie contre elle qu'elle trouvait le sommeil. Eden s'y pliait volontiers, et d'ordinaire elle ne posait aucune question.
Dire que Blue irait à Poudlard dans un an seulement...Elle n'avait encore pas montré de signe de magie, mais Eden en était convaincue. Cela dit, elle avait pensé la même chose de Forrest. Forrest, si charmant, si généreux, si vif. Un moldu...Son frère, son jumeau quasiment. Condamné à la vie grise et sans attrait d'un moldu. Ou du moins, c'était ainsi qu'Eden voyait les choses. Y penser lui faisait mal au coeur.
Elle caressa les cheveux soyeux de Bluebell, encore et encore, jusqu'à-ce-que leurs deux souffles ralentissent pour se laisser aller au sommeil.


« Ho, c'était mon tour d'aller devant ! »
La voiture démarra, et Eden se retourna vers Forrest, un sourire malicieux plaqué sur les lèvres. « Dommage, frérot. » L'intéressé s'enfonça dans son siège d'un air bougon. C'était l'été 1978, et Scarlett Singer accompagnait ses enfants chez leurs grands-parents, dans Londres. La nuit venait de tomber, mais il leur restait une bonne heure de route, étant donné que les Singer avaient élu domicile dans la campagne. Eden aimait bien voyager en voiture, à la moldue. Oh bien sûr, c'était moins rapide et moins pratique que le transplanage ou la poudre de cheminette, mais en l'absence de son père, elle aimait le calme de ces voyages tranquilles. « Chienne. » marmonna Forrest. Scarlett se retourna vers son fils, juste une seconde, avec les gros yeux qui disent que ça va mal aller, et Rudy en profita pour hurler « UN GROS MOT, UNE NOISE ! » Forrest s'indigna aussitôt. « Chienne c'est pas un gros mot ! C'est juste la femelle du chien. T'es con, Rudy. » Le petit blond aurait sauté de son siège si sa ceinture ne l'avait pas rappelé à l'ordre. Il exhiba encore une fois son sourire, auquel il manquait deux dents de devant. Triomphal, il tendit sa paume ouverte d'un air autoritaire.  « AHA ! Et con alors, c'est pas un gros mot peut-être ? Allez, une noise ! » Forrest se détourna de son frère pour observer le paysage baigné dans la lumière des réverbères qui défilait derrière la vitre. « On en parlera quand tu auras des dents. » conclut-il en souriant. Lyra appuya son front contre sa vitre et ferma bientôt les yeux.

Peut-être que si elle les avait gardés ouverts, elle aurait pu voir le camion qui arrivait à toute vitesse au tournant d'une rue. Peut-être qu'elle aurait pu crier, alerter sa mère à temps. Mais non. La voiture entra en collision avec le camion, si brutalement qu'aucun des passagers ne cria. Tous furent retenus par leur ceinture de sécurité. Mais la vitre de la voiture s'était fracassée, une pluie de verre brisé avait arrosé les deux passagers assis à l'avant et la tête de Lyra avait heurté le parre-brise. Un mince filet de sang se fraya un chemin du haut de son front à la commissure de ses lèvres. Chaque goutte de sang emportait avec elle un souvenir jusqu'à la laisser vide, perdue. Un corps dépouillé, volé, sans vie, gisait à présent à sa place.
Ses yeux étaient fermés. Ils le resteraient pour 8 jours encore.


Un grognement s'échappa des draps immaculés du lit numéro 227. Un second suivit rapidement. Mais elle ne pouvait pas ouvrir ses paupières, pas encore. Où suis-je ? Elle remua légèrement et sa tête la lança aussitôt. Elle s'immobilisa. Faudrait peut-être ouvrir les yeux. Bientôt, bientôt. Rien ne pressait. Elle tendit l'oreille, plutôt. Des voix lui parvinrent peu à peu. « ...je crois bien qu'elle se réveille. » Cette voix, si proche, lui fit ouvrir les yeux, lentement, centimètre par centimètre.
Et soudain: du blanc. Du blanc si lumineux, partout. Elle ouvrit les yeux tout à fait. Son coeur se mit à battre très fort, trop fort. Ses yeux se posèrent sur le flot des draps autour d'elle, puis sur son propre poignet. Un petit tube en plastique y était planté. Elle suivit le cours du tube. Il était relié à un trépied, auquel était relié une poche remplie d'un liquide doré, sans doute une potion censée la soulager. A cet instant, elle n'était pas sûre que cela fasse de l'effet. Elle réalisa soudain qu'elle avait oublié de respirer et inspira brutalement. Enfin, son regard trouva les gens qui se tenaient tout autour de son lit. Elle ne leur sourit pas. Une seule parole franchit le seuil de ses lèvres parcheminées. « Papa ? » L'homme poussa un soupir de soulagement et lui sourit. « Tu es de retour... » Elle ne lui sourit pas. Car, étrangement, elle sentait que quelque chose n'allait pas. Elle allait se noyer dans le flot de ses draps et son coeur battait trop fort. Elle vit sa mère, à côté de son père. Leurs doigts étaient entrelacés. Et puis à côté, il y avait Forrest, son ami de toujours, qui lui souriait. Et puis Bluebell, avec ses jolis yeux bleus. A côté d'elle, il y avait les jumeaux, Rudy et Lindell, avec leurs indomptables tignasses blondes. Elle avait beau ne rien comprendre à la situation, la présence de sa famille était réconfortante. Alors elle leur sourit, enfin. Avec ce sourire tout le monde se détendit. Forrest s'approcha un peu plus de son lit. « Tu vois, Edy, si tu m'avais laissé m'assoir devant...T'es vraiment débile, c'était mon tour en plus. » Elle avait bien envie de rire, mais malheureusement elle ne comprenait pas à quoi il faisait référence. Et puis il avait l'air si vieux tout d'un coup...Elle se sentit suffoquer de l'intérieur. Ils avaient tous l'air vieux. C'était dérangeant. Perturbant. En fait, plus elle y pensait, plus tout cela n'avait aucun sens. Ah, elle avait compris: c'était un rêve. Bon. Tout allait bien, alors. Soudain Rudy se jeta sur elle, comme un lion sur sa proie, et elle gémit sous la pression du câlin pourtant parfaitement innocent de son petit frère. Ses blessures étaient toujours douloureuses, mais après un instant de suspens elle consentit à entourer le petit de ses bras maigres. Il sourit, le menton posé sur l'épaule de cette grande soeur qui lui avait manqué pendant cette semaine d'inconscience. Ce n'est qu'au moment où elle se détacha de Rudy qu'elle remarqua le bébé que sa mère portait dans ses bras. Elle fronça les sourcils. Elle chercha une explication quelconque en croisant le regard de Forrest, et celui de son père, mais ils semblaient tout simplement heureux de la revoir et ne jugeaient pas essentiel de lui expliquer qui était cette petite créature que sa propre mère tenait si tendrement. Elle se remonta sur les coudes, cherchant visiblement à comprendre, et les regards de sa famille se firent progressivement inquiets. D'abord Forrest. Puis son père, sa mère, Bluebell et enfin les jumeaux. Les visages vieillis...Le bébé...Soit tout cela était un rêve, soit elle avait fait un bond dans le futur. Et ça lui faisait terriblement peur. Et puis, que faisait-elle ici ? Cela ressemblait fortement à Sainte-Mangouste. Elle n'y comprenait rien, et elle avait mal à la tête. Son regard voguait de l'infirmière à chacun des membres de sa famille. Soudain ses pupilles se dilatèrent et les battements de son coeur s'emballèrent. Que faisait-elle ici ? Qu'était-il en train de se passer ? L'infirmière lui tendit un miroir. Elle y découvrit son visage et s'évanouit une seconde plus tard.


Son second réveil en enfer se fit deux heures plus tard. Elle avait froid. Et son coeur menaçait toujours de bondir hors de sa poitrine. Elle ouvrit les yeux en espérant que tout serait normal, qu'elle se trouverait dans son lit, chez elle. Mais non. Tout était toujours aussi blanc et ses yeux coururent dans leurs orbites, paniqués. Il n'y avait plus que ses parents dans la chambre. Ils discutaient avec un médicomage d'une quarantaine d'années, et ne remarquèrent pas son réveil. Ils parlaient à voix basse, trop basse pour qu'elle entende, mais un mot lui parvint, sournoisement. Amnésie. Ces sept lettres dansèrent devant ces yeux, agressives, brûlantes, pendant quelques secondes. Elle ferma les yeux de nouveau. Il valait mieux se rendormir. Avec un peu de chance, elle ne se réveillerait plus jamais.


« Hé, Eden. Réveille toi.  »
La jeune fille garda obstinément les yeux fermés, mais les légers soubresauts qui secouaient ses paupières la trahirent aux yeux indulgents de son frère Forrest.
« Allez, fais pas l'enfant. C'est moi. Forrest.  »
Elle daigna enfin ouvrir les yeux. En fait, elle avait simplement fait semblant de dormir toute la journée pour ignorer les médicomages qui se pressaient autour de sa carcasse. Mais elle n'avait jamais rien caché à Forrest auparavant, et il lui semblait inconcevable de l'ignorer au même titre que les autres.
« Qu'est-ce qui m'arrive ? » demanda-t-elle d'un air inquisiteur. Elle savait qu'il n'allait pas lui mentir. Il poussa un soupir et tendit le bras vers le bout du lit devant le regard curieux de sa soeur. Il tira un dossier médical de la pochette collée là et fit mine de le lire.
« Traumatisme crânien de niveau sérieux. Possible trouble de la mémoire. Non coopération du patient. » Il posa le dossier sur les draps et sourit. « Voilà ce qui t'arrives. » Eden haussa les sourcils. « Wow. Effectivement. » Forrest hocha la tête. « Tu sais je ne crois pas qu'ils aient tort au sujet de la mémoire. J'ai entendu le médicomage parler d'amnésie à Papa tout à l'heure. Alors j'ai essayé de trouver la dernière chose dont je me rappelle. Je crois que c'est le 25 décembre 1975. Le matin de Noël. » Elle baissa les yeux. Elle avait déjà compris à peu près ce qui lui arrivait. « Dis moi Forrest, on est en quelle année ? » Il lui prit la main à ce moment, et elle fut surprise par la froideur de ses doigts contre la chaleur moite des siens. « On est le 26 juillet 1978. » Elle se mit à rire, alors. Un petit rire un peu rauque. Forrest sourit, un peu gêné. « On allait voir Grandpa et Grandma il y a 8 jours. On a eu un accident de voiture et...tu étais devant. Tu as pris un sacré coup sur la tête. » Eden hocha la tête. Elle n'était pas du genre à faire de grosses effusions. « Ca veut dire qu'en ce moment, j'ai 16 ans ! Enfin je vais entrer en 6ème année ! C'est dingue. » Elle souleva la couverture et fut surprise de découvrir une poitrine plutôt bien développée. Elle la rabaissa aussitôt. Bon, déjà, elle était sûre que tout cela n'était pas une blague. En attendant, maintenant qu'elle savait à peu près ce qui lui prenait, elle n'avait pas envie de rester une seconde de plus dans cet hôpital. Elle chercha le regard fuyant de Forrest. « Bon. Les docteurs ont dit quand je pourrais rentrer à la maison ? » Forrest hocha la tête d'un air incertain. « Ils vont te garder un mois ici, à peu près. Et puis après tu pourras rentrer. Pour la rentrée, normalement. Mais Papa a dit que si ton amnésie se révélait conséquente, alors ils te feraient sûrement redoubler. » Eden se mordit l'intérieur de la joue. Redoubler ? Elle qui avait toujours réussi à obtenir de bons résultats ? Elle qui avait toujours réussi tout court ? C'était humiliant. Sa tête se remit à lui faire mal. Elle pressa brièvement la main de Forrest dans la sienne. « Merci, Forrest. Merci beaucoup. » Il hocha la tête et elle le suivit des yeux pendant qu'il sortait de la chambre.


« Vous vouliez me voir, professeur ? »
Eden observa un instant ses lunettes en demi-lune, sa barbe aux reflets argentés, son regard pétillant et profondément bienveillant. Elle caressa distraitement la tête de Fumseck, le phénix qui se tenait sagement sur son perchoir. Le professeur Dumbledore leva la tête de sa paperasse et invita la jeune fille à approcher d'un geste de la main. « Oui, oui, bonjour Eden. » Elle resta debout devant le bureau sans trop savoir quoi dire. « Je voulais simplement m'assurer que tu es sur la bonne voie. » Elle haussa un sourcil. C'était la deuxième fois depuis l'accident que le Directeur l'avait demandée dans son bureau. Ca l'avait étonnée: il lui semblait étrange que le directeur de Poudlard s'intéresse à une pauvre petite amnésique. Il devait avoir d'autres chats à fouetter, non ? La première fois, c'était pour contempler l'étendue des dégâts. En effet, son amnésie était un sérieux problème pour ses études: elle avait oublié absolument tout ce qu'elle avait appris pendant ses 3 dernières années à Poudlard. On l'avait faite redoubler - elle qui avait passé ses BUSEs avec brio ! Tout était à refaire. Alors, bravement, elle s'était mise au travail pour tout ré-apprendre. C'était plutôt une bonne chose: c'était une excuse pour avoir un peu de temps seule, loin de tous ces gens qui voyaient en elle quelqu'un qu'elle n'était plus. Elle voyait les regards peinés, curieux. Ceux qui croyaient qu'elle pourrait retrouver un jour la mémoire et qui s'épuisaient à lui montrer mille et uns détails de sa vie d'avant. Parfois elle voyait des coeurs brisés par sa faute et elle avait envie de mourir, mais c'était ainsi. Au moins, quand elle avait la tête plongée dans ses livres, elle ne pensait à rien d'autre. Elle avait quitté l'équipe de Quidditch de sa maison pour ne pas être un fardeau. Elle ne se souvenait même pas l'avoir intégré. En revanche, elle se rappelait d'en avoir rêvé. On lui avait donné un film de son meilleur match, celui où elle avait attrapé le vif d'or dans la pluie et le vent. Mais ça, c'était avant. Elle avait trouvé son album photo, un immense livre dans lequel elle aimait bien coller des photos de tout et de rien. Les 3 dernières années illustrées par l'album avait été fauchées par un camion imprudent, un certain soir d'été. Il y avait des photos de gens de son âge, de garçons, de filles souriants. Des photos de Quidditch aussi. Un jour, prise de rage, elle avait été sur le point de jeter l'album dans la cheminée, mais elle en avait décidé autrement et avait à la place commencé une sorte de puzzle. Elle s'était mit à coller des petits post-it sur les photos, des sortes d'antisèches lui rappelant les noms des gens qui constituaient autrefois son monde, et qui ils étaient pour elle. Assise par terre dans son dortoir, elle tentait de reconstituer sa vie. Mais tous ces gens sur les photos restaient des inconnus. Et chaque visage lui faisait ressentir plus amèrement la morsure de ce vide qui faisait à présent partie d'elle.
« J'ai déjà rattrapé la plupart des cours de 3ème année. » Le professeur Dumbledore hocha la tête, mais ses yeux cherchèrent les siens par dessus les demi-lunes. « Je m'en doute, Eden, je m'en doute...Ce que je voudrais savoir moi, c'est comment tu vis tout cela. » Oh, non. Elle n'aimait pas en parler. Si il croyait qu'elle allait lui expliquer à quel point elle se sentait seule...Et humiliée. Et perdue. Elle haussa les épaules. « Bien. Je vis ça bien. Mes amis sont là pour me soutenir. » La vérité, c'était qu'elle n'avait plus d'amis. Elle avait à la place de parfaits inconnus qui étaient toujours sur son dos pour l'aider à traverser son amnésie. Elle ne voulait pas d'eux, ou du moins elle voulait qu'ils cessent de lui rappeler l'avant. Les amis qui lui restaient de ses deux premières années à Poudlard se comptaient sur les doigts d'une main. Elle voulait recommencer à zéro, c'était tout ce qu'elle voulait. « Bien, très bien... » marmonna Albus Dumbledore d'un air absent. « Mais si un jour vous vous sentez seule, vous pouvez toujours venir parler au vieux schnock que je suis. Je me sens un peu seul moi aussi alors, entre fous, il faut bien s'entraider. » Cela lui arracha un sourire. « Merci, professeur. J'y penserai. » Elle tourna les talons, et, après un dernier regard vers Fumseck, elle sortit du bureau l'air confiant. Un petit loup fait de brume bleutée la suivait fidèlement. Il se frotta contre sa jambe dans l'escalier tournant, car il savait exactement ce qu'elle était en train de penser. Amnésie ou pas, elle allait tout reconstruire. Il lui fallait juste un peu de courage.