Mars 1963. Assise sur le rebord de la baignoire, elle tremblait de tout son corps. La lettre qu'elle tenait entre ses mains fébriles était imprégnée des larmes qu'elle laissait couler sans les retenir. Ce n'était pas une lettre de rupture. Son mari se tenait de l'autre côté de la cloison qui les séparait et lisait probablement le journal. Et elle, elle était là, avec cette fichue lettre entre les mains. Il y avait des chiffres partout, des mots compliqués qu'elle ne chercherait pas dans le dictionnaire. Et il y avait cette note, en bas de page, rajoutée à la main par quelqu'un. Et ces mots qui lui étaient tombés dessus, sans qu'elle s'y attende vraiment. Ses yeux humides parcouraient la feuille, une nouvelle fois. Ils glissèrent sur ces mots ajoutés à la hâte, comme ceux que l'on griffonne avant de partir comme un voleur, au lever du jour. Dans sa tête, « ...troisième mois de gestation... », « ...convenir d'un rendez-vous... » et « ...afin de suivre l'évolution du fœtus et détecter d'éventuelles malformations. » s'imprimaient dans sa tête. Elle ne s'était pas préparée à l'éventualité d'être mère. C'était trop tôt. Elle était encore jeune et venait à peine d'entamer des études approfondies pour devenir médicomage. Finalement, au bout de longues minutes, où la faïence de la salle de bain lui renvoyait ses propres sanglots, elle se mit debout et déverrouilla la porte. Son mari leva son regard vert doré sur sa femme et haussa un sourcil en voyant son visage dévasté par des torrents salés. D'un pas décidé, elle s'était dirigée vers lui et avait posé la feuille à plat devant lui. « Que fait-on ? », lui avait-elle demandé d'une voix tremblotante. La réponse, vous la connaissez probablement. Le 27 août 1963, une petite âme vint s'ajouter à celle de Kathelyn et William Westwood.
Cette petite âme portait les doux noms d'Acantha Helen. Seul le premier était utilisé par tous. Acantha, ça vient du grec ancien, et ça signifie « épine », « piquant ». Petite déjà, elle avait l'habitude de faire des caprices à ses parents. Il faut comprendre, elle a été un moment à être la fille unique du couple, à être considérée comme leur petite princesse, à être gâtée et chouchoutée bien plus que de raison. Ainsi, elle n'avait qu'à ouvrir sa bouche et avoir des larmes de crocodiles pour qu'elle puisse avoir ce qu'elle voulait. Ainsi, on lui avait offert, pour son quatrième anniversaire, un poney, qu'elle avait affectueusement appelé Réglisse. Mais c'est aussi cette année là où sa petite sœur vint au monde. L'originalité se faisant, Kathelyn et William avaient décidé d'appeler cette nouvelle petite fille Helen Acantha Westwood. Seul le premier était utilisé par tous. Au début, Acantha boudait sa petite sœur. Elle osait la perturber dans son havre de paix et de bonheur, elle osait s'accaparer sa mère et son père. Et ça, elle l'avait plutôt mal pris au début. Il lui avait fallu maintes explications pour qu'enfin, elle accepte Helen comme elle était.
Deux années plus tard environ, on diagnostiqua à Acantha un somnambulisme qui la suit encore. Un jour, elle s'était couchée dans son lit et ses parents l'avaient retrouvée le lendemain matin debout, au milieu du salon, complètement assoupie. Elle a mal vécu le fait qu'on la réveille pour la renvoyer dormir dans sa chambre. Mais ce n'était pas le cas le plus grave que l'on put noter lors de ses crises de somnambulisme. Le cas le plus marquant reste quand même le jour où, elle s'est échappée en pleine nuit de la maison et avait marqué quinze petites minutes pour arriver à la gare de proximité. Elle était descendue sur les rails. Les phares jaunes des trains l'éblouissaient, mais elle n'avait pas réagit. Le klaxon du train ne la faisait pas plus bouger. Ce n'est que lorsqu'elle sentit soudainement le sol dur sous elle, qu'une douleur sourde lui vrilla les tempes et qu'on lui hurlait dans les oreilles qu'elle sortit de son profond sommeil. Elle avait alors huit ans et avait implicitement mis sa vie en péril. Pourtant, grâce à un homme, sa vie a pu se prolonger.
Et vint le jour où ces mots, fatals, ont commencé à éclater dans la maison, où les deux adultes jouaient à la loi du qui-gueulera-le-plus-fort. Acantha était effrayée ; Helen était horrifiée. Les crises de somnambulisme de la jeune fillette s'accélérèrent. Elle dormait peu, et quand seulement elle réussissait à s'endormir, elle était prise de terreurs nocturnes. Et souvent, elle reproduisait lors de ses crises, en pleine nuit, ce qu'elle faisait lorsque tout allait bien entre ses parents. Ces disputes parentales influencèrent son comportement. Elle commença à décrocher à l'école et à devenir irritable avec ses camarades. Elle commençait aussi à délaisser sa nourriture. Monsieur et Madame Westwood étaient alors en plein divorce. Et plus les journées passèrent, plus la fillette tournait mal. Et plus cela se répercutait sur Helen. Les parents, constatant que leurs deux petites filles étaient au plus mal avaient décidé de tout interrompre. Si cela permettait à leur descendance de remonter la pente... Pourquoi pas après tout ? La petite Helen, âgée de quatre ans, ne croyait déjà plus aux contes de fées, encore moins au Prince Charmant. Acantha n'avait jamais cessé d'y croire.
Le jour de ses neuf ans, la petite blondinette découvrit ce qu'elle était vraiment ; elle avait hérité du trait le plus prédominant chez sa mère. C'était cette bizarrerie étrange qui l'amenait à agiter un bâton et à prononcer des mots spéciaux pour faire un truc spécial. Comme dans les contes de fées. Ce jour où elle découvrit qu'elle était spéciale, elle prenait neuf ans. Neuf petites années où elle s'était parfois demandée ce qui la rendrait extraordinaire. Elle était passée devant l'évier de la cuisine en coup de vent, pressée d'aller ouvrir ses cadeaux qui patientaient sagement dans le salon annexe. Et le robinet avait explosé sur son passage, arrosant tout ce qui se trouvait autour. La fillette s'était mise à hurler sous l'explosion soudaine de ce robinet, tandis que sa mère, qui avait accouru dans la pièce, rigolait et avait un grand sourire plaqué sur son visage. D'un simple coup de baguette, elle avait tout réparé.
Un mois avant son onzième anniversaire, elle reçut cette fameuse lettre. En fait, la première chose qu'elle vit, c'était l'effroyable hibou qui cognait avec force contre la vitre de sa chambre. Elle se souvient être tombée de son lit en hurlant de tout son corps. Elle se souvient de sa mère qui est entrée dans la chambre, avait vu le hibou et lui avait pris la lettre qui pendouillait à sa patte. Elle se souvient aussi d'être allée au Chemin de Traverse pour tout acheter avant d'aller à Poudlard. Elle se souvient d'Helen qui insistait pour avoir elle aussi tout ce que sa sœur avait. Elle se souvient de son visage embrumé lorsqu'elle partit mettre sa valise dans le train, de la fierté qui émanait de sa mère. Elle se souvient des petites larmes de cristal qui avaient coulé sur le visage d'Helen lorsque le train s'était ébranlé, l'emmenant vers un monde de découverte.