❧ Les bruits des coupes qu'on fait doucement cogner l'une contre l'autre, des conversations mondaines comme à toutes ses réceptions. On parle de la pluie et du beau temps, du prix des ingrédients de potions et du gouvernement corrompu. Les voix ricochent sur les murs de bois laqué, remontant pour se perdre dans les moulures du plafond et imprégner les pampilles en verre de Murano du majestueux lustre suspendu. Et au fond de la pièce, un petit attroupement de femmes, toutes parées de milles atours, soie et borderie, regroupée autour d'une très jolie brune. Ou plutôt, autour de ce qu'elle tient dans ses bras. Enveloppé dans un cocon vert bouteille, un tout petit bébé. Une toute petite fille, Dahut. Tous les yeux sont fixés vers les siens, bleu d'eau, qui ne distinguent encore que quelques formes flous et sans reliefs. Elle étire son poing ridiculement petit et ses lèvres forment un O parfait alors qu'elle s'étire comme elle peut. Personne ne s'extasie pourtant. Ici, on parle mariage, alliances, avenir. Seul la mère de l'enfant couve le nouveau-né d'un regard tendre.

❧ Ne pas mettre ses coudes sur la table. Ne pas croiser les jambes. Ne surtout pas couper sa salade. Dahut, le visage aussi inexpressif que possible, se répétait ces ordres comme un mantra. En face, son frère aîné ne semble pas avoir les mêmes problèmes. L’éthique fait déjà partit de sa vie. Mais à cinq ans, tout était beaucoup plus compliqué. L'enfant saisit sa fourchette et l'approcha de ses lèvres, en prenant garde à ne pas toucher le couvert avec ses dents au moment de prendre sa bouchée. Jusqu'à présent, elle se débrouillait très bien. Dahut tendit la main vers son verre, et but une gorgée, lentement. Malheureusement, l'appel d'air produit un bruit de succion qui résonna dans la salle, brisant le silence du repas. Elle se dépêcha de reposer le récipient, les yeux baissés vers son assiettes et les mains posées à plat de chaque coté de son assiette. Il fallait qu'ils n'aient rien entendu. Le dos du couteau, fermement tenu par la lame, frappa de plein fouet le dos de sa main, la faisant se raidir sous la douleur. Dahut releva ses yeux humides de larmes vers son patriarche qui la fixait d'un œil sévère, tout en frottant sa main endolorie. D'un signe de tête, il lui fit signe de monter dans sa chambre. Rapidement, aussi rapidement qu'elle pouvait sans paraître pressée, elle quitta la table, serrant le membre douloureux contre sa poitrine. Ce n'est qu'une fois dans l'intimité de sa chambre qu'elle éclata en sanglots. Son père avait visiblement eu une dure journée.

❧ Ollivander. Sa lettre pour Poudlard était arrivée dans la semaine au grand soulagement de son père, qu'un second Cracmol aurait achevé. Les étagères emplies de boites longilignes couvertes de velours rouge semblaient étouffer le visiteur des lieux. La première baguette, Orme et plume de phénix détruisit en lambeaux le livre de comptes du gérant. La seconde, Noisetier et ventricule de cœur de dragon fendit une bonne partie du plancher. Les six suivantes n'eurent aucun succès, elles non plus. Sans broncher, Dahut les essayait une à une, testant la fidélité de l'engin d'un moulinet du poignet. Ollivander s'était alors approché, un étui dans les mains. De cette boîte, une baguette magnifiquement sculptée, imitant le lierre grimpant. Sans hésitation, elle avait enroulé ses doigts autour du manche. Une douce chaleur l'avait doucement envahit. C'était la bonne. Ollivander avait plissé les yeux.

«  Bois de Sureau et cœur de Dragon. C'est une combinaison rare. Le possesseur d'une baguette de Sureau est appelé à faire de grandes choses, à un avenir remarqué, une destinée extraordinaire. Mais on dit aussi... « Baguette de sureau, toujours un fléau » »

Dahut s'était contenté d'un simple sourire visiblement très satisfait à son père, qui attendait à coté d'elle. Mais lorsqu'elle était rentrée chez elle, elle s'était dépêcher d'enfouir la boite de la baguette sous son lit. Elle ne voulait pas être un fléau, elle.

❧ «  Ma scolarité s'est parfaitement déroulée. J'étais très bien intégrée dans ma maison, sans pour autant faire partit des leaders. Juste assez pour qu'on me fiche la paix. Je n'étais pas non plus dans les têtes de classes. Pourtant, du peu que je me souviennes, je travaillais plutôt bien. Mais l'ennui, c'est que j'apprenais par cœur, sans chercher à comprendre. Mais j'avais autre chose en tête. A Poudlard, je respirais. Je n'étais pas forcément obligée de porter constamment mon masque d'enfant modèle. Je pouvais courir dans les couloirs. Patauger dans le Lac noir. C'était une période que je ne regrettes pas. Elle me manque d'ailleurs beaucoup. »

❧ «  Tu as raison. C'est terminé, River. C'est ce que tu voulais, non ? »
Elle fit glisser l'anneau qui enserrait son annulaire pour le déposer doucement devant le jeune homme, assit à la table de marbre. Les traits tirés de son fiancé lui indiquait qu'il n'avait sûrement pas besoin de ça. La vie semblait s'acharner sur lui, ces derniers temps. Mais pour une fois, une seule fois dans sa vie, il fallait qu'elle pense à sa propre personne et pas aux autres. La voix du petit diable dans sa tête lui susurra que c'était dommage, que son père avait été comblé de ces fiançailles avec une autre prestigieuse famille de sang-purs. Dahut avait secoué la tête. Elle ne faisait pas ça pour son paternel. C'était sa vie et elle ne pouvait pas, ne pouvait pas la passer au coté de quelqu'un aussi instable. Elle même avait besoin de vivre dans un milieu stable, et c'était quelque chose que River ne pouvait plus lui apporter désormais. Alors elle était partie, sans aucun regard en arrière. S'il lui avait ne serait-ce que demandé de rester, elle aurait réfléchit. Un simple mot, qu'elle avait attendu en vain.

❧ Enroulée d'un simple peignoir de soie, elle se tenait debout devant la porte fenêtre de son appartement. Un an qu'elle tournait en rond après s'être vu refusée le poste de professeur de Potions, sans trouver de quoi s'occuper. Son temps désepérément libre était seulement coupé par des réceptions, qu'elle déclinait en prétextant une mauvaise grippe, ou un empêchement. Voir même un bébé, pourvu qu'on lui foute la paix. Et pourtant dieu seul savait à quel point elle s'ennuyait. Elle avait lu, lu et relu les livres qui s'entassaient en piles vertigineuses dans les coins des pièces. Et il y avait cette lettre, là, posée sur le comptoir. Etude des Patronus, sérieusement ? Certes, l'enseignement était dans ses cordes... Mais a vrai dire, elle avait choisit cette filière sans idées en tête. La rentrée était dans moins de deux semaines et il fallait donner une réponse rapidement. Bon, pourquoi pas, après tout.

❧ Assise dans son bureau, sur ce fauteuil club en cuir défoncée qu'elle adorait tant. Ses pieds négligemment passés par dessus l'accoudoir battaient la mesure. Son violon était coincé sous son menton, et elle faisait courir l'archer avec simplicité, emplissant la salle d'une douce mélodie qui résonnait sur les pierres. Les yeux fermés, elle se laissait aller, simplement. Elle faisait tout tomber, se noyant dans les notes qu'elle produisait. C'était doux, un peu mélancolique. Elle adorait ça. Son violon était sa vie.