« Sommes-nous encore obligés d'en parler ? J'ai l'impression que nous avons ce sujet sur la langue à toute heure de la journée, c'est épuisant. » Le manoir Beaumarais, dans la charmante ville de Paris, est encore secoué de désespoir, quelques décennies après le tragique incident qui salit le sang si pur de cette de haute-noblesse française. Gérald de Beaumarais s'aventura dans le monde moldu et y trouva l'amour en la charmante personne de Sophie Lacourt. On hurla à la traîtrise, à la trahison, maudissant cet homme qui avait tâché le sang si bleu des Beaumarais, leur donnant le statut de sang mêlé. Il fut banni, détesté, ploya sous les injures. Effacé sur la tapisserie familiale, au même titre que les marginaux de la famille Black. Et depuis ce jour, on ne cesse de pleurer sur cette histoire, ne faisant jamais complètement le deuil de ce sang vierge et si réputé, qui permettait tant de privilèges dans la société française. Mais ne pensez pas que cette famille est exclue des autres sorciers français, elle reste toujours invitée dans les réceptions, on demande toujours des nouvelles des enfants, d'oncle Jacques, de tante Albertine. Ils ont beau avoir perdu leur statut si précieux, ils n'en restent pas moins des nobles, qui ont conservé leurs valeurs, leur étiquette, leur savoir-vivre. Bien des gens vivent au crochet des Beaumarais, ayant emprunté de l'argent dans les banques patronymes et ne réussissant pas à rendre, ils acceptent de régler quelques petites faveurs, de trouver quelques astuces, ils se débrouillent comme ils le peuvent pour rembourser leur dette. Le tout dans l'ombre, bien évidemment, pour ne pas ternier l'éclat déjà doucement rouillé de la famille.

« Chut, Adélaïde. Tu entends ces cris ? » Ils tendent alors l'oreille, écoutant distraitement les échos qui résonnent dans les larges couloirs, s'attendant à quelques remontrances de la part des portraits enchantés. Un rire sonne, comme un carillon, léger et frais, pétillant. Ils sourient, distraitement, profitant de ce son si rare, dans l'immense et austère maison familiale. Puis ils froncent les sourcils, faisant quelques pas, ouvrant la porte de bois sombre, s'apprêtant à attraper sur le fait, celle qui dérange le calme de la maison. La glaciale atmosphère de cet endroit, selon mon avis, mais je n'en dirai pas plus. « Je veux aller attraper les boursoufflets dans le jardin ! Aloïs, dépêche toi, ils vont nous entendre ! » Un toussotement et l'enfant s'arrête, rougissant à vue d'œil. Deux tresses d'un blond champagne nuancé qui scintillent sous la lueur des lampes, un regard bleu-vert étonnant, une peau pâle rehaussée de rose sur les joues. Elle tortille ses petits doigts les uns contre les autres, la gêne la gagnant au fur et à mesure des minutes qui passent. « Qui va entendre quoi, Orphée Adélaïde de Beaumarais ? » Le petit garçon à ses côtés ne pipe mot, laissant les membres de la famille s'entendre entre eux. C'est Madame, qui a donné son deuxième nom à la petite blondinette, qui vient de prendre la parole, bras croisés. Elle ne semble pas vouloir réprimander son enfant, mais elle aime s'amuser en voyant le malaise de sa progéniture. « JevoulaisjouerdehorsavecAlois,désoléMère. » Une phrase inintelligible, prononcée avec beaucoup trop de vitesse, les mots s'emmêlent, se mangent et se disputent la place. La mère sourit, de nouveau, avant de passer une main sur la tête de sa fille. Cela fait bien longtemps qu'elle a remarqué le caractère prononcé de son enfant, sa joie de vivre, son envie d'aventure et de liberté. C'est un rayon de soleil qui entre dans le manoir, qui rend ses couleurs à l'intérieur de la maison, qui dépoussière un peu, qui égaye et remplace la frigidité de l'endroit. Adélaïde est fière de la petite, elle espère simplement que personne ne viendra lui enlever ce qui fait d'elle une sorcière si spéciale, si...pleine de vie. Qu'elle restera comme elle est, toujours, sans jamais se soucier de que le monde autour d'elle pourra lui dire. On change beaucoup pour rentrer dans la foule, pour se faire accepter, on fait beaucoup de choses pour être bien regardé. « Vous pouvez y aller, mais faîtes moins de bruit, vous savez qu'il y a des portraits qui dorment. Vous êtes dans le salon avant la tombée de la nuit, nous sommes bien d'accord ? » Un sourire large, blanc, éclatant. Des pas qui se font plus doux, plus aspirés et ils s'envolent comme deux papillons, allant s'amuser dans le jardin. La vie au manoir des Beaumarais n'est pas si hostile et féroce qu'on le croit, il suffit de savoir amadouer les cœurs, il suffit de rester soi-même, de ne pas s'incliner devant les autres, de rester brave et digne.

« Aloïs, j'ai une question à te poser...? » Ciel d'encre, parsemé de diamants scintillants dans l'espace gigantesque de la voute céleste. La chambre est zébrée d'éclats lumineux, en clair-obscur. Relevant la couverture qui surmontait sa frêle anatomie de jeune fille, elle retourne et retourne encore cette question dans sa tête. Elle est jeune encore, elle n'a que quatorze ans, mais elle est intriguée. Elle a cette fugace impression d'avoir loupé quelque chose dans sa vie, d'être anormale, de manquer un épisode. Orphée possède les réflexions de millions d'autres filles, tourmentées par les étapes de la vie. Sa tresse est presque défaite, mais son visage est tendu par l'appréhension. Un grognement se fait entendre et dans le lit voisin, aménagé pour l'occasion, un visage se découvre de la cachette où elle se trouvait, l'oreille, dans le cas présent. « Mmh ? » Une voix déjà remuée par les changements de l'adolescence, légèrement rocaille mais indubitablement masculine. Encore et toujours ce même chiffonnement de doigts, signe d'anxiété. « Ehm, bah est-ce que tu as déjà..enfin tu sais..? » Incompréhensible, digne d'une enfant. Elle hésite, avance, recule. L'autre est encore dans sa phase de réveil, son regard océan est interrogateur. « Tu sais, je peux pas te répondre si tu ne me dis pas clairement de quoi tu veux parler ? Il est trois heures du matin, Phée. » Elle se lève, agacée, mettant ses mains sur ses hanches, avançant férocement vers son interlocuteur mal luné. Il observe, silencieux, son amie de toujours arriver vers lui. Uniquement vêtue d'une chemise en soie mal-boutonnée et d'un pantalon assorti. Il sourit à peine, devant cet aspect comique de la jeune fille. « T'as déjà embrassé une fille ? Voilà, c'est dit. » Il passe son visage en revue, analysant les expressions, les ridules marquées par l'irritation. La blonde est tellement expressive, on lit la moindre émotion sur son visage. Un véritable livre-ouvert, qu'il connaît dans presque tous les aspects. Il rit. « J'ai déjà embrassé des filles, oui. T'es bien curieuse, dis-moi. Et toi alors ? » Sa voix est amusée, mais il ne voit pas le changement radical dans la posture de son amie. Elle devient raide, droite comme un i, blasée. C'est le silence significatif qui l'informe de la négativité de la réponse. « Sérieusement ? » Elle ronchonne, marmonne dans sa barbe, énonce des réponses inintelligibles. Il peut presque remarquer la rougeur sur ses pommettes, autre signe de son malaise. Il hésite, réfléchit, pèse le pour et le contre, se décide. Il avance, attrape Orphée par les épaules. Regard contre regard, battement de cœur sur la même fréquence, souffle dans le souffle. « Qu'est-ce que tu fais, Alo' ? » Elle ne comprends pas ce qu'il se passe, elle sent juste le sang bouillonner dans ses veines, son estomac danser la java, sa tête lui tourner légèrement. Elle n'a pas le temps de dire grand mot qu'elle sent quelque chose de doux contre ses lèvres. Elle ferme les yeux, se laissant aller à cette sensation, souriant contre la bouche qui s'est posée contre la sienne. Puis un courant d'air frais l'atteint et elle comprend que c'est terminé. Mais elle sait qu'il a fait un effort, pour elle, parce qu'ils sont amis. Elle s'approche, l'enlace, le remercie. Il sourit, se baisse, embrasse son front. Un cadeau, qu'elle n'oubliera pas, son premier baiser.