Les yeux de l'enfant ne semblait pouvoir se décoller de cette boite, carrée, noire, dans laquelle des personnes ne cessaient de défiler. Ils parlaient. Entre eux, inlassablement. Et le décors changeait, tout le temps. Elle les regardait et ne comprenait pas. Ne comprenait pas pourquoi, ou plutôt comment il pouvait y avoir autant de personnes en un seul cadre. « Maman. » Laissait-elle alors échapper, fébrilement, sans même détourner le regard. La petite voix pourtant aiguë de l'enfant d'à peine deux ans se fondait dans la masse, était inaudible, ne faisait pas le poids face aux conversations des autres. Tout le monde était attablé et chacun y allait de sa phrase. Maintes conversations différentes fusaient dans la grande salle à manger de la demeure des Borthwick, mais aucune n'intéressaient l'enfant. Aucune, rien même. Rien, sauf cette boite mystérieuse qu'elle continuait à fixer. Intensément. « Maman. » répétait-elle, cette fois en saisissant la manche de celle dont elle trônait sur les genoux. « Oui, chérie ? » L'écoutant qu'à moitié, sa mère daignait toutefois lui porter attention, tout en saisissant son verre sur la table et en faisait osciller son regard entre sa progéniture et sa soeur, qui devait raconter une histoire si intéressante qu'elle ne pouvait être mise en suspend rien qu'un instant. « Ils sont combien, dans le tableau ? » Pointant du doigt l'objet de sa fascination, la petite ne pouvait voir le regard dubitatif de sa mère, ni même son sourcil haussé. Petulia Fletcher buvait alors une gorgée de son vin, tout en faisant signe à son interlocutrice de stopper son débit de parole le temps de comprendre pourquoi elle avait été interpellée. « De quoi parles-tu, Kay ? » « Là, regardes, le monsieur habillé bizarrement ! » Répondait Kaylee, toujours le doigt levé. Elle se lançait alors dans une description des scènes. Description dont elle n'arrivait à tenir le rythme, tant les personnages défilaient à grande vitesse. « Ce n'est pas un tableau ma puce, ça s'appelle une télévision. D'ailleurs papa, es-tu vraiment obligé de laisser ça en route toute la journée ? » Petulia s'adressait alors à son père, Leight Borthwick, le patriarche de la famille, faisant totalement abstraction du reste du discours de sa fille. Fille qui ne tardait pas à quitter les bras de sa mère pour se faufiler jusqu'au grand-père, qui a son tour la saisissait et se lançait, à l'attention de tous, dans un nouveau discours à propos de la technologie moldu. Celle-là même qu'il appréciait tant. Celle-là même avec laquelle il vivait constamment et surtout, celle-là même dont la petite, ainsi que le reste des membres de la famille, entendraient parler durant tous les repas qui suivraient, chaque année.



La queue de cheval de la petite fille de six ans virevoltait dans le vent. Et elle courait, follement, après Charline et Connor, deux de ses cousins. Elle courait, essayait de les attraper, en vain. Mais elle ne courrait pas seulement après eux. Non, en réalité son regard était davantage fixé sur Hugo, Alsan, Lawrence et Ezra, quatre de ses aînés qui quant-à eux ne touchaient plus terre, perchés sur leurs balais. Ou plutôt, les balais du grand-père Borthwick, puisque l'une de ses cabanes de jardin en regorgeait. Ils volaient, viraient, toujours plus vite. Et ils semblaient si haut de là où était la petite. Elle s'arrêtait alors, levait les mains au ciel comme pour espérer les toucher, les atteindre. Elle les regardait et souriait, puis tournait sur elle-même, sûrement trop de fois, puisqu'elle terminait par terre, déséquilibrée, mais guillerette. « Ça va, Kay ? » Colin, son frère le plus âgé, lui tendait une main secouriste. La petite, aveuglée par les rayons d'un soleil qu'elle avait bien trop longtemps fixé contre son gré ne répondait pas, mais sûrement le sourire qu'elle avait toujours sur le visage indiquait-il que tout allait bien. Mais de loin, personne n'apercevait cela, ainsi elle attendait finalement que Charline se penche au-dessus d'elle, le regard inquiet, pour se relever étrangement rapidement et lui toucher l'épaule de ses doigts si fins. Tellement fins, qu'elle avait dû s'y reprendre à deux fois. « C'est toi le loup ! » Avait-elle finalement crié, avant de reprendre sa course folle dans l'herbe fraîchement coupée du jardin.



Le goût âpre d'un médicament servi par l'infirmière de Poudlard lui arrachait une grimasse. « C'est psychologique. » Elle déglutissait non pas sans efforts, puis ouvrait vaguement la bouche comme pour montrer qu'elle avait bien tout bu, avant de lancer un regard douteux à son frère. « Le goût. C'est psychologique. La prochaine fois fermes les yeux et dis-toi que c'est du jus de citrouille. » Elle aurait certainement froncé les sourcils, puis soupiré si elle en avait eu la force, agacée par la voix de Demetrius qui ne cessait de lui compter les merveilles du système nerveux, mais là elle n'était pas en état. « D'ailleurs, tu m'as entendu ces derniers jours ? » Pas en état, non, puisqu'elle venait de passer trois jours dans le comas après avoir reçu un cognard en pleine tête. Du moins c'est ce que lui disait son entourage, puisqu'aucun souvenirs ne semblaient vouloir lui revenir. Sûrement peinait-elle même à se rappeler qu'elle avait joué un match il y avait seulement quelques jours. Tout était flou. Et malgré qu'une bonne poignée d'heures s'étaient écoulées depuis son réveil et entre ses heures de somnolences, elle ne parvenait toujours pas à assembler les pièces d'un puzzle dont elle n'avait au final pas même le modèle. Et elle détestait cela. Elle détestait devoir compter sur les autres, ou en l'occurrence être totalement dépendante d'eux. Tout comme elle détestait l'idée de se sentir faible en cet instant. D'avoir été la proie d'une tiers personne, ou finalement peut-être simplement la cible d'un cognard hasardeux. Ca non plus, elle ne le savait pas. La seule chose qu'elle devait accepter, c'était de s'être blessée. Gravement. Et pour la première fois. La première fois en trois ans. Elle était en quatrième année et faisait parti de l'équipe depuis trois. Trois années durant lesquelles elle s'était sentie presque invincible, malgré les nombreuses blessures dont ses coéquipier avaient été victimes, les uns après les autres. Mais sûrement cette invincibilité psychologique avait-elle été la clef de sa réussite, puisqu'elle n'avait pas peur. Jamais. Ni avant, ni après être descendu de son balai. Jusqu'aujourd'hui. Jusqu'à présent. Jusqu'à ce jour, ou pour la première fois, un semblant d'angoisse lui tiraillait les entrailles. « Je ne sais pas. » Sa voix était à peine audible, presque cassée. Et quand bien même aurait-elle voulu être sourde au moment où Demetrius se lançait à nouveau dans un argumentaire pour lui prouver qu'elle devait l'avoir entendu, que cela était scientifiquement prouvé, étrangement elle n'avait pas envie de l'étrangler. Non, elle était simplement heureuse qu'il soit là. Heureuse de sentir la pression qu'exerçait sa main sur la sienne. « Alors la guerrière, t'es remise ? Ah, salut Dem, ça va ? » Une nouvelle voix venait briser le silence pesant de l'infirmerie, celle de Thomas, un cousin du même âge. « T'inquiète pas, il n'y a pas que le quidditch dans la vie, tu t'en remettras. Bon, grand-père risque de ne pas apprécier, mais y'a bien Connor qui n'a jamais même réussi à intégrer l'équipe et aux dernières nouvelles, il n'est pas encore déshérité. » Il riait, comme toujours. Ce garçon était toujours de bonne humeur. Une bonne humeur communicative, qui arrachait un léger rire aux deux frères et soeurs. Un rire suivi d'une méchante quinte de toux pour Kaylee, qui rameutait immédiatement l'infirmière.  « Laissez-là se reposer, vous repasserez plus tard. » Laissait échapper cette dernière, toujours à bonne distance d'eux.  « Je ne compte pas arrêter. Dès que je sors d'ici je reprends ma place. »  « On verra. » Lançait alors Thomas, visiblement surpris, qui se tournait rapidement vers Demetrius qui lui n'avait qu'un haussement d'épaule à offrir.  « C'est tout vu. » Les yeux de la brune ne semblaient plus pouvoir rester ouvert, elle se laissait alors happer par le sommeil, bercée par la voix d'une infirmière agacée qui tentait toujours de faire déguerpir ces visiteurs agités.



L'esprit faussement plongé dans un ouvrage, Kaylee ne pouvait s'empêcher d'essayer de déchiffrer les paroles qui parvenaient à ses oreilles. Celles de ses parents. Son père, absent depuis des semaines en raison de son travail, était revenu au matin et visiblement, n'était toujours pas enclin à simplement passer un bon moment en famille. « Ils parlent de quoi ? » Colin, son frère aîné, était quant-à lui véritablement en train d'étudier, ou du moins le parchemin qu'il avait sous les yeux semblait l'obnubiler. A tel point, qu'elle devait répéter sa phrase une seconde fois. « De ce que fait maman, quand il n'est pas là. » « C'est-à-dire ? » Il ne prenait pas même pas peine de la regarder, signe que cette conversation ne l'intéressait pas. Pas plus que la mauvaise ambiance qui régnait chaque fois que leur paternel regagnait la demeure. « De son travail, si tu vois ce que je veux dire. » Et elle voyait, voyait même très bien. « Je ne comprends pas pourquoi il n'est pas d'accord avec ça, c'est quand même.. » Colin lui coupait la parole, sans ménagement, levant finalement les yeux vers elle en soupirant. « Arrête, j'ai vraiment pas envie de t'entendre parler de ça. » « T'es bien son fils. » Calqué sur le même modèle, avec la même nonchalance face aux choses si importantes. Elle ne comprenait pas. Non, elle ne comprenait pas comment l'ont pouvait rester si insensible aux problèmes de ce monde. Comme elle ne comprenait pourquoi son père ne soutenait pas sa mère dans sa lutte au sein de l'ordre du phénix. Engagement dont Kaylee était si fière. Acte qui indifférait le reste de sa famille. De sa famille entière. Mais auquel elle comptait bien prendre par un jour, dès qu'elle le pourrait, contre l'avis de tous s'il le fallait. D'ailleurs, sûrement bon nombre des siens devaient s'en douter, quand bien même personne ne semblait oser en parler. Pas même elle. Du moins pas pour l'instant, malgré cette ambition démesurée.