L'école, c'est la jungle.

C'est ce qu'Âankthi apprit très tôt, à ses dépends.
Fille d'une famille égyptienne, fille aux idées trop tranchées, fille hyperactive, fille à problèmes, elle devint rapidement la cible des enfants qui partagaient sa classe. Trop différente pour attirer la sympathie, la fille unique de la famille Maât ouvrait trop souvent sa bouche face aux autres, et ça, ça ne plaisait jamais.

"Eh regarde, voila Enkti !"
"C'est Âankthi !"
"Enkti, Enkti ! T'as un nom tout pourri !"
"C'est toi qu'est trop nul pour le dire !"
"Enktiiii ! Eh, pourquoi tes parents y t'ont donné un nom pourri ? Y t'aiment pas ?"

La jeune fille serre les poings. Ses parents lui ont toujours appris à être sage. Il parait que la violence, c'est pour les méchants enfants. Alors elle se tait, même si en elle, tout bouillonne.

"Eh ! C'est mon stylo ! Tu pourrais me demander !"
"Pourquoi faire ? On s'en fout de ton avis, non ?"

Il parait que les jolies filles, elle se tiennent toujours bien. Elles ne sont pas vulgaires, elles s'habillent avec décence, et surtout elles gardent les mains dans les poches. Les jolies filles, il y en a beaucoup dans sa classe : des enfants au sourire d'ange, aux cheveux blonds qui semblent rejoindre le ciel quand elles se mettent à courir et aux yeux qui scintillent. Mais Âankthi, elle, elle n'en fait pas partie. Ses cheveux à elle sont noir de jaie et raides comme la paille. Son regard fuit celui des autres et ne brille plus que pour elle. Son sourire n'éclot que dans les heures les plus avancées, au creux de la nuit, lorsque plus personne ne la voit. Elle aimerait être jolie, elle aussi. Mais il parait que ce n'est pas pour elle. Alors elle ravale ses paroles, elle ravale ses larmes.

"Qu'est-ce qu'elle est moche..."
"Elle fait peur !"
"Elle me fout la gerbe, ouaih !"
"Elle va nous entendre..."
"Et alors ? He, machine ! Pourquoi tu t'habilles en noir comme ça, t'aimes la mort ou quoi ?"
"Fais gaffe elle va te piquer avec ses clous, hahaha !"

Il parait que les vêtements noirs, ça aide à se fondre dans la masse. Que les gothiques, ça fait peur. Que ça éloigne les gens. Visiblement, ça ne marche pas vraiment. Âankthi ne cherche pas à attirer le regard : elle voudrait juste qu'on lui foutte la paix. Etrangement, ça n'a pas l'air de rentrer dans la tête de ses petits camarades. Elle atteindra bientôt sa première dizaine d'années, mais déjà, la jeune fille s'est couverte de noir et de piques pour repousser les gens, pour tenter de les faire fuir. Elle n'a plus le courage d'affronter les autres, d'affronter l'extérieur, ce monde qui ne pense qu'à la presser et la tordre jusqu'à ce qu'elle perde tout. Âankthi a toujours été une gentille fille, aux yeux de ses parents. Même quand elle a commencé à demander d'autres vêtements et des bijoux connôtés. Elle leur a expliqué l'origine du mouvement : la poésie, la réflexion, la communion avec soi, et ce n'était pas tout à fait faux. Mais elle espérait surtout qu'elle y trouverait la force de se battre. Qu'à travers cette identité qu'elle se créait, elle parviendrait à se relever pour de bon. Sur son écran, elle visionnait des concerts, s'imprégnait de la force de ceux qui avaient pris leur destin en main. Ils semblaient si fiers. La jeune fille rêvait de devenir comme eux. Mais le malaise la bouffait, ses pleurs et ses prières l'étouffaient. Elle passait ses nuits à espérer une autre vie et ses journées à raser les murs. Âankthi ne comprenait pourquoi les autres étaient normaux. Pourquoi elle avait tant de mal à se fondre avec eux. Elle ne demandait pourtant que ça. Anonyme. Invisible. Avec le temps, la jeune égyptienne avait appris à fermer sa bouche, à acquiescer, à se laisser faire, tout ce qu'on attendait d'elle. Ca n'avait pas suffit, pourtant. Ils en attendaient toujours plus. Mais quoi ? Elle ne savait plus. Elle était à bout.

"Tu ne voudrais pas essayer de porter des couleurs, parfois, ma chérie ?"
"Non."
"Pourtant ca t'irait tellement bien. Tu es si jolie !"
Mensonges.
"C'est dommage de te cacher là-dedans."
Sa mère la désigne, elle et ses fringues, comme s'ils dérangeaient.
"Je me sens bien comme ça."
"Mais pourquoi ? C'est tellement triste..."

Peut-être parce qu'elle l'était. C'était son exutoire. Elle versaient ses sentiments sur ses pulls, ses vestes, son sac, ses baskets, avec l'espoir qu'elle finirait par se purger entièrement. Mais ça ne finissait jamais. Elle aussi, elle aurait voulu sourire. Faire plaisir à sa mère.

"On va former deux équipes. Joan, Marco, vous serez les capitaines d'équipe."

Le sport, elle déteste ça. Elle a toujours l'impression de se trainer, de mal faire. Ce n'est pas qu'une impression d'ailleurs. Tout le monde sait qu'elle est nulle. Mais au moins, en classe, elle peut se cacher sur sa table, près de la fenêtre, et observer le ciel pendant que le cours se passe. Là, elle ne peut fuir nulle part.

"Putain, il reste que elle ! Nan c'est bon, je la prends pas !"
"Ouaih, elle va encore nous faire perdre !"

Le professeur se met à hurler et finalement, ils la prennent à regret. Âankthi aurait bien voulu dire à son professeur que ce n'était pas grave, qu'elle préférait les regarder jouer. Elle aurait pu s'asseoir sur le banc et continuer à écrire, à cracher de l'encre sur ses pages, là où elle était encore complètement libre. Un monde à inventer. Une autre vie, là où elle ne serait pas celle que l'on déteste. Les autres lui semblaient si loin d'elle... Depuis quand n'avait-elle pas eu une vrai conversation ?

"Mais c'est pas vrai, tu le fais exprès ou quoi ?!"
"Non..."
"La balle était à ça de tes mains putain ! Faut vraiment être conne pour pas la rattraper !"

Il presse son doigt contre son front à plusieurs reprises, comme pour lui montrer qu'elle n'avait rien dans le crâne. Âankthi presse ses mains sur son pull et le tire vers le bas. C'est un tic, chez elle, pour se rassurer. Elle aurait voulu s'enterrer six pieds sous terre. Il lui fait peur, mais elle ne peut pas reculer.

"T'es capable de la voir au moins ? T'es bigleuse ?"
"Non !"
"Alors quoi ?! T'es handicapée ? Tu veux nous faire perdre ? Ca te fait kiffer c'est ça !"
"Mais non je te dis !!"

Son sang se met à bouillonner, comme avant. Il parait que les gentilles filles, elles restent sages, pas vrai ? Il la pousse, la fait trébucher.

"Tu sers vraiment à rien ! Ce serait tellement mieux si t'existais pas !"

Sa bouche se ferme. C'est vrai. C'est ce qu'elle pense, elle aussi. Mais quelque part au fond d'elle-même, son coeur se révolte. Et puis dans une explosion de lumière, Âankthi se jette sur lui. Elle frappe, elle mord, elle déchire tout ce qu'elle trouve. Elle rattrape enfin toutes ces années passées à se taire. Elle rend au centuple tout ce qu'on lui a offert. Son corps semble clignoter, comme si elle disparaissait et réapparaissait à chacun de ses coups. Elle ne le sait pas encore, mais c'est la première fois que la sorcière fait usage de ses pouvoirs, quelques mois avant sa rentrée à Poudlard.
Elle fut renvoyée de son école primaire le lendemain de l'accident. Le garçon était à l'hôpital, dans un état visiblement critique. Les médecins parlaient d'un déchirement de la gorge et de quelques membres brisés. Jamais une enfant de cet âge n'aurait pu faire de tels dégâts... Du moins, c'est ce qu'ils se chuchotaient entre eux.
Âankthi, elle, souriait. Elle aurait bien voulu retourner à l'école. Pour une fois, elle aurait gagné le respect, et la peur. Les autres se seraient tenu à l'écart. Personne ne veut se faire mal.

Il parait que les gentilles filles, elles ne gagnent jamais.

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Âankthi a beaucoup grandi depuis sa première année à Poudlard. La jeune fille a laissé derrière elle son enfance et ses mauvais souvenirs, gonflée d'énergie par la découverte de cette nouvelle force qui bouillonnait en elle. Ses parents, des moldus, furent bien plus choqués qu'elle de découvrir qu'elle était sorcière - mais étrangement, cela sonna comme un soulagement pour eux. Elle avait eu l'étrange impression qu'ils venaient enfin de trouver la réponse à leurs questions, dieu seul sait de quoi elles retournaient. Mais la jeune fille ne s'en souciait guère. Elle se sentait... Libre, pour la première fois de sa vie.

Ses années passées à Poudlard sonnèrent comme une révélation. Ici, tout le monde était déjà un peu fou, un peu bizarre, un peu différent, alors elle s'intégra comme un poisson dans l'eau. Elle n'avait pourtant pas tellement changé. Malgré sa nouvelle force de caractère, la jeune fille avait plus ou moins gardé son ancien style vestimentaire, jouissant secrètement de pouvoir enfin prendre sa revanche sur ses petits camarades de primaire. Mais c'était surtout une façon de se rassurer, un peu comme son doudou : ses fringues, ses accessoires, avaient constitués la majeure partie de son bouclier lorsque la jeune sorcière était plus jeune, et elle appréciait de les garder toujours auprès d'elle. Ils lui rappelaient sans cesse sa victoire et sa nouvelle promesse : celle de ne plus jamais abandonner. De répondre, même si elle devait se battre pour ça. Elle ne serait plus cette gentille fille que l'on espérait tant. Elle serait elle-même, voila tout. Et c'était déjà beaucoup.

Avide de savoirs et de s'intégrer dans cette nouvelle communauté qui lui avait sauvé la peau, Âankthi se montra une élève appliquée, intéressée et douée. Oh, bien sur, malgré sa bonne volonté, elle dénotait toujours dans cette atmosphère où tout était régit par l'uniforme scolaire, les manches bien retroussées et les cheveux noués en queue de cheval. Elle attirait encore les regards, parfois les murmures, mais elle ne laissait rien passer d'autres. Plusieurs fois, la jeune femme dû de nouveau user de ses poings, parfois de sa baguette. Elle était connu pour être violente, agressive et sans coeur. Quel drôle de portrait ! Ils étaient si loin de la vérité... Mais elle ne leur en voulait plus. Ils l'aidaient à se construire, à devenir plus forte. Âankthi était devenue une femme appréciée de ceux qui la connaissaient bien, une sorcière de talent, et la fierté de sa famille. Une jeune égyptienne qu'il ne fallait pas trop chercher, certes, mais qui possédait une sensibilité et une émotivité à fleur de peau. Une jeune femme brisée, qui s'était reconstruire, et qui tâtonnait encore aujourd'hui pour trouver le bon chemin dans sa vie.