Le souffle est court lorsqu'il s'échappe des lèvres pâles de cette femme au cœur serré. Son visage est contrit par l'inquiétude, teinté d'une colère égoïste, cette peur battante qui se déverse sur son corps chétif mais si tendu. Cette femme blonde et au regard brillant de lueurs inquiétantes, inspire profondément avant de changer brusquement de pièce. « Non mais je n'y crois pas… » Elle s'agite, sa main passant dans ses mèches une énième fois, nerveuse au point d'en trembler. « Ce n'est pas possible… » Son souffle est chaotique tandis que ses pieds foulent avec fracas les marches de cet escalier en colimaçon, ramassis de luxe dans ce monde bercé d'illusion et de préceptes étiré par ces sourires si faux. Mais la poupée sage n'est plus là, elle est ravagée par le ravisseur de son propre cœur : la peur l'étouffe et elle sombre dans une folie autodestructrice. Mais elle sursaute lorsque la porte claque, elle accélère le pas et s'arrête lorsqu'elle voit le visage de cet homme avec qui elle partage sa vie depuis trop d'années. « Où est-ce qu'elle est ? » La voix claque, la question abrupte, les nerfs s'agitent mais elle s'avance encore lentement… Face au silence, elle demande encore, plus insistante, plus agressive : « Où est Lily ? » Un sanglot s'étouffe dans sa gorge et brusquement elle pose ses paumes sur le torse de l'homme qui bronche à peine. Cette voix aigue qui s'élève : « OU EST MA FILLE ?! », ponctué par ce léger déraillement… Mais Tristan de Breteuil parait triste lorsqu'il glisse ses doigts autour des poignets de sa femme, lorsqu'il l'attire contre son torse et vient à prendre son visage en coupe entre ses mains : « Ma puce, calme-toi… Lily est avec ma mère… »  Mais elle se refuse à ces mains, un signe négatif agite son crâne tandis qu'elle se défait de l'étreinte de l'être aimé. Elle n'arrive pas à y croire… « Pourquoi… ? Pourquoi tu as fais ça… ? Tu n'as plus confiance en moi ?  » L'accusation tonne, si douloureuse et désespère l'homme qui ne sait plus gérer les crises de cette femme dont il est profondément tombé amoureux depuis toujours. Elle ne comprends pas, elle ne cherche pas à comprendre c'est aussi simple que cela. Il n'y a plus que cet égocentrisme égoïste, sa douleur et sa vie, sa fille et son monde. Mais comment pourrait-il rester de marbre face aux larmes de son épouse, la mère de sa chair et son sang ? Il ne le peut, alors ses traits se tordent dans une douleur silencieuse : « Astrid… Tu sais bien que cela n'a aucun rapport avec la confiance que je te porte… Elle ne comprends pas ce qui se passe… Tu lui as fais peur. » Elle s'offusque la petite femme, fronçant les sourcils. Ses dents se serrent et elle siffle dans une colère pathétique : « Ma sœur… Jumelle… Est MORTE ! Tu… Tu n'as pas le DROIT ! … C'est MA fille ! NOTRE FILLE ! Tu n'as pas à décider seul, tu…! » Mais elle se brise la petite poupée, morte d'inquiétude de ne plus revoir sa propre fille, seulement partie pour quelques jours chez sa grand-mère le temps que tout se calme… Mais la douleur ne se calmera jamais, indomptable. Cela ne fait pas même un mois que la sœur jumelle de notre blonde a été enterré. La tristesse est infinie dans le cœur de cette femme qui perd sa véritable moitié, une partie de son âme… L'amour de son époux est trop fade pour combler le trou béant de sa poitrine.. Alors elle s'accrochait à sa fille, cet être si fragile qu'elle gardait dans ses bras, ne la lâchant jamais… Une véritable drogue, substitue au manque. C'est son seul rayon de soleil, la seule chose après son mari qui arrive à la faire sourire sans raison. Une bouffée d'oxygène, son petit ange à elle et qu'elle ne veut plus partager, plus laisser. Bien trop peureuse qui lui arrive quelque chose, elle ne veut pas qu'on lui arrache aussi. Elle tombe dans les bras de Tristan de Breteuil, en larmes, s'excusant lamentablement, répétant sans cesse la même litanie qui ne changera rien. Prisonnière d'un chagrin sans issu, elle s'en veut de faire de la peine à sa propre fille, à son propre amour. Consciente qu'elle doit se reprendre, que tout doit changer si elle ne veut pas tout perdre… Alors elle souffle, elle essaie, elle s'accroche à cette chemise et souffle tout bas : « Partons… Je t'en prie. Ailleurs. En France. Quittons ma famille pour la tienne. »  Et elle se refuse d'être plus longtemps encore loin de sa fille, de vivre si proche du fruit des entailles de Liz, sa jumelle.



Astrid souriait souvent, pensant avoir tourné une page. Hélas, ce n'était pas la fin de l'histoire. Elle pensait pouvoir se passer des sourires de sa jumelle seulement en tournant le dos à leur vie. Ne plus voir toutes ces choses qui l'unissaient à un souvenir d'elle n'a fait qu'accroitre le vide… Et pourtant, malgré des débuts difficiles tout allait bien. Elle souriait pour sourire et se forçait à vivre, aller de l'avant et impulser cette sensation de bien être dans son esprit. Son petit amour, sa petite Lily était là pour égayer ses journées. Elle lui cédait tout d'un amour cadré, n'oubliant pas de lui inculquer des valeurs fortes que son mari portait. Tout allait bien lorsqu'elle en mouvement, en action. Lorsqu'elle ne se retrouvait pas assise à simplement observer son petit ange jouer seule… Elle aurait pu jouer avec Eszter sa cousine. Elle aurait pu grandir avec une petite fille, une véritable sœur. Tout allait bien tant qu'elle n'était pas seule à la maison, à arpenter les couloirs et les étages comme un fantôme errant à la recherche d'une chose oubliée. Tout allait bien, l'amour de son mari dégoulinait sur elle, elle s'abreuvait de ce breuvage telle une droguée… Elle n'était pourtant pas avare en tendresse et affection, bien au contraire. Elle en serait presque folle et accro, inquiète lorsque ses petites habitudes sont brisées, lorsque sa petite fille ne vient pas l'embrasser à un moment spécifique… Des crises d'angoisses lorsque Lily grandit, s'émancipe des bras de sa mère. Elle ne devrait pas faire cela elle sait qu'elle devrait simplement la laisser vivre et ne lui poser des règles que bien plus tard, mais c'est improbable…

L'on se prépare bientôt, les notes du violoncelles ne cessent de résonner dans le château français. Astrid épie sa fille un léger sourire aux lèvres, incapable de réellement se déconnecter. Mais alors qu'elle s'en va parfaire la tenue de sa fille, elle gobe quelques mots qui traînent, surprends une conversation qu'elle n'aurait probablement jamais du entendre… « Laisse-lui sa chance, maman… »  Astrid fronce les sourcils. Elle devrait partir, quelque chose lui dit qu'elle devrait le faire, urgemment, sans détour, sans même se poser de questions… Mais son cœur se glace un peu plus lorsqu'elle entend la voix d'Alice de Breteuil, sa belle-mère, trancher l'air de ses mots si vifs. « Cela fait sept ans, Tristan. Sept longues années. Je ne suis guère certaine que de l'aide pourrait lui être utile aujourd'hui tant elle se complait dans sa douleur. » Ses sourcils se froncent et elle pose sa main contre la pierre, s'y appuie probablement. Elle inspire lentement. Elle a presque envie de se dévorer la langue, de tuer ce qui s'agite lentement aux tréfonds de son âme. « Elle est là pour Lily, tu sais bien qu'elle l'adore… » Le soupire de la femme lui glace le sang. La blonde est figée dans un autre monde. Chaque battement cardiaque n'est qu'un coup supplémentaire contre cet organe qui se démets de sa forteresse de pierre. Tout tombe en poussière, la prends brutalement à la gorge, lui retourne les tripes. Elle se sent faible et pourtant brutalement happée par les paroles de cette famille qu'elle aime. « Oh, je t'en prie Tristan ! Cesse de te voiler la face… Ta fille cherche sans cesse l'approbation d'une personne qui n'est plus capable d'être une femme… Alors comment pourrait-elle être une véritable mère… Ou ton épouse… ? » C'est dur, tranchant, avec un coulis de douleur dans cette voix maternelle. Ses doigts se serrent contre ses vêtements trop grands, ses cheveux trop mornes. Non, elle ne sort plus, reste enfermée dans ce château, véritable prison protectrice d'un autre monde. Inconsciente d'être bien trop souvent déconnectée, ailleurs plongée dans un autre monde. Inconsciente qu'elle ignore souvent ses proches, sa fille qui lui parle, qu'elle ne fait que la regarder sans la voir, ou même la ressentir. Et lorsqu'elle s'éveille tout est parfait… Son petit rayon de soleil l'agite et elle s'occupe d'elle et de tout. De la cuisine, au ménage, des activités et de son mari. Avant de sombrer de nouveau dans ce mutisme paralysé. Pendant quelques minutes, quelques heures, quelques jours. C'est un cercle infernal sans solution, elle n'est qu'une poupée de porcelaine incapable de se mouvoir, le monde lui tournant autour. Une partie d'elle est morte sans même qu'elle ne le veuille.

Astrid disparaît. Quelques affaires qui finiront probablement abandonnées en court de route. Mais elle s'en va. Possédée d'un égoïsme sans nom probablement, elle s'en va, le visage ruisselant de ses larmes silencieuses. Elle s'en va le cœur trainant derrière elle, elle agit enfin pour sa famille probablement. Incapable de vouloir rendre sa famille plus malheureuse encore, incapable de faire du mal à sa fille… Non, non, ce n'est pas ce qu'elle leur souhaite, elle voulait… Elle désirait tellement de chose, s'imaginait toute une vie probablement. Mais elle était dans le faux, une pauvre hallucinée. Elle était une mauvaise mère qui se refusait de l'admettre. Une mauvaise épouse bien trop cristallisée dans ses états d'âmes d'enfant capricieuse.










L'eau s'écoule sous mes pieds en cet instant. Les frissons de l'océan s'écrasent contre la coque du bateau. Mon regard est perdu sur l'immuable étendue d'eau. Elle était ici hier et moi pas. Elle sera là demain et moi pas. Mon regard est dans le vague, caressant la vague. Mais la seule chose qui s'éveille en moi, c'est ce goût amer. J'ai accepté la perte de mon aimée, la moitié de mon âme, celle contre qui j'étais bien trop lié. J'ai accepté à vivre avec. Mais aujourd'hui, c'est le poids d'un autre remord qui me hante… Hier j'étais marraine d'une petite fille. Avant-hier, j'étais mère. Comment pourrais-je accepter être marraine alors que j'ai abandonné ma propre famille pour…. Son propre bien ? Le mien ? J'ai fuis. Cela s'arrête là. Je ne cherche aucune excuse dès à présent. C'est le coeur serré que j'observe l'océan. Je me sens étouffée alors qu'il n'y a que le poids du ciel au dessus de moi. J'ai presque envie de me noyer dans ces forces divines, j'en frémis tant je me sens infime dans l'infinité de l'univers. Je veux pouvoir chasser les mauvaises ondes, ces particules néfastes à mon esprit. Je veux pouvoir me gorger du pardon des miens. Ils auraient tout à fait raison de m'ignorer, comme j'ai pu le faire il y a des années. Mais je vogue vers la rédemption, je l'espère. Je serre la lettre de mon meilleur ami contre ma poitrine et j'espère… J'espère de tout cœur pouvoir… Ne serait-ce les retrouver. Je déglutis et ferme les yeux. Je serai morte à l'instant même où mon amour de toujours posera son regard sur moi. Je me transformerai en flaque de honte pour avoir abandonné l'homme de ma vie et ma petite fleur… Ne pas avoir su surmonter cette perte pour eux. J'en suis nerveuse, mes ongles lacérant mon poignet tandis que j'inspire profondément. Je dois rester calme…. La colère n'est qu'une passion assassine que n'apporte jamais rien de bon. Je dois lui prouver que je mérite une place aussi mince soit-elle dans leurs vies…



Pensez-vous pouvoir mettre un mot sur l'euphorie qui m'habite ? Il y a de ca des années l'on m'a appris à ne plus penser à cette famille, à abandonner tous biens matériels au nom d'une plénitude intérieure. Mais aujourd'hui, je crois que je donnerais tout pour pouvoir ressentir cela encore et toujours. J'ai vu Tristan. Plusieurs fois. J'ai eu mal au coeur, bien des fois. Mais il est parti un léger sourire aux lèvres. Il a rit ce soir. Il a déposé un baiser sur ma tempe. Des preuves qu'il va y réfléchir. Preuve qu'il a déjà accepté silencieusement. Seulement il faut trouver les mots pour convaincre notre fille. Sa fille. Il y aura de la colère, des cris, des larmes. Mais je me plierai en mille pour me racheter auprès de cette jeune femme. Je ne saurai probablement rien de sa vie, mais il le faut. Je suis mariée. Je suis mère. Aujourd'hui je suis prête. Ils pourront toujours m'en vouloir et je ne pourrai leur reprocher. Mais je pourrais panser leurs plaies et leurs maux de ma tendresse et mon amour.

Pensez-vous que les forces supérieurs existent ? Des dieux suprêmes qui veillent à l'équilibre sur ce monde ? Je crois sincèrement qu'après tout le mal que j'ai pu faire, que Tristan accepte ne pouvait être contre-balancer. Je suis coupable de sa mort… J'ai cru ne jamais pouvoir me calmer. A peine retrouver et voilà que l'on m'arrache ce souvenir du passé qui s'agitait. Cette seconde chance. Je m'en veux. Je me suis moi-même voler toutes ses années à ses côtés. Je l'aime mais je ne pourrais lui dire. Je ne peux pas y croire… Il ne peut pas être mort… Non… Absolument pas…  La seule chose qui me reste c'est Lily. J'en caresse les cheveux, elle qui figée dans un autre monde. Evidemment que j'accepte de donner mon sang pour elle. Encore et encore, tant qu'il le faudra. Je veux qu'elle vive… Elle ne peut pas partir elle aussi. Je suis la reine des égoïstes mais je veux la voir vivre. Je veux la voir heureuse si je ne peux être actrice de sa vie. J'embrasse son front et je panique…. Lily ne m'acceptera jamais sans Tristan.