1964 - 6 ans. Rouge. Orange. Jaune. Vert. Bleu. Violet. Mauve. Toutes les teintes de l’arc-en-ciel passaient par la chevelure de la fillette, alors que ses rires résonnaient dans la pièce, brisant le silence qui s’était installé. Plantée devant un miroir, elle regardait ses cheveux changer simplement sous l’influence de ses pensées, n'ayant pas conscience qu’il ne s’agissait que d’une infime partie de son pouvoir et que si elle faisait un peu plus d’effort, elle pourrait accomplir bien plus. A vrai dire, il s’agissait du premier et seul signe de magie dont elle s’était aperçue, bien que cette capacité ait toujours été là, d’aussi loin qu’elle s’en souvenait. Au départ, ses cheveux se teintaient différemment en fonction de son humeur. Puis, elle s’était rendue compte qu’elle pouvait changer comme elle le souhaitait, simplement en se concentrant suffisamment. Sa mère accourut vers elle, l’air préoccupé, coupant court à son jeu en lui attrapant fermement le bras. « Je t’ai déjà dit de ne pas faire ça, Athanasia ! » La petite fille leva les yeux vers sa mère, sans comprendre. « Mais tu m’as dit que j’avais pas le droit dehors, là y’a personne… » Depuis toute petite, sa mère avait taché de lui faire comprendre qu’elle devait contrôler autant que possible ce qu’elle pouvait faire, du moins en public. Lorsqu’elle lui avait demandé pourquoi, sa mère lui avait répondu que ce n’était pas quelque chose que tout le monde pouvait faire. La fillette n’avait pas vraiment compris en quoi cela était mauvais mais elle avait fait de son mieux jusqu’à présent. « Je ne veux plus que tu le fasses. Du tout. Même ici, » répondit sa mère en raffermissant sa prise sur son bras. « Mais… » laissa échapper la fillette tout bas. « Pas de mais ! » Sa poigne se resserra encore pour appuyer ses paroles, alors que la fillette éclatait en sanglots. Au même moment, le miroir devant lequel elle se tenait se brisa. Elle sursauta, pleurant de plus belle, sans comprendre ce qu’il se passait. Sa mère la lâcha, pointant finalement un doigt sévère vers elle. « Et pas de ça non plus ! » Athanasia hocha la tête, sans comprendre de quoi elle parlait, sans comprendre que c’était elle qui venait de casser la glace.

1965 - 7 ans. « Athanasia, mets tes deux mains sur la table. » La blonde s’exécuta à la remarque de sa mère, n’étant pourtant pas confortable dans cette position, la table trop haute comparée à sa taille d’enfant. Elle jeta un coup d’œil à ses cousins, qui eux se tenaient parfaitement droits. Même Reagan, qui n’avait que deux ans, semblait être plus gracieuse et bien élevée qu’elle. Il n’y avait que Conor, un an à peine, qui pleurait à pleins poumons et venait troubler la quiétude du diner familial. La fillette soupira. Elle détestait ces réunions de famille, particulièrement depuis qu’elle avait comprit pourquoi elle se sentait autant à l’écart, avec sa mère. Cela ne faisait que quelques mois que cette dernière lui avait avoué l’existence du monde sorcier, même si Athanasia était au courant depuis qu’elle était née. Elle avait toujours vu ses oncles et tantes jeter des sorts, si bien que la magie ne lui était pas inconnue. Elle l’avait reconnue lorsque les premiers signes s’étaient manifestés, pourtant, sa mère avait refusé de répondre à ses questions et était même allée jusqu’à prétendre que cela passerait.  Que cela ne voulait rien dire, qu’elle n’était pas sorcière – bien que ce mot n’ait jamais fait partie de son vocabulaire jusqu’à maintenant. Et finalement, elle lui avait expliqué. Elle lui avait expliqué qu’elle avait eu peur, qu’elle aurait préféré qu’Athanasia soit comme elle, sans pouvoir. Car sa mère n’avait pas de magie et elle était la seule de sa famille à n’en être pas dotée. La fillette ne lui en avait pas voulu. Elle s’était dit qu’après tout, sa mère devait avoir de bonnes raisons de lui cacher tout cela. Et à présent qu’elle était au courant, elle savait qu’elle irait à Poudlard, tout comme ses cousins, qui eux aussi commençaient à montrer des signes de magie, pour les plus vieux. Athanasia retourna ses petits pois dans son assiette, pas convaincue à l’idée de les manger. Elle se sentait étrangère, à cette table. Pourtant, c’était la seule famille qu’elle avait. Pourtant, elle était une Rhodes, tout comme eux. Mais sa mère semblait à part, mise à l’écart. Et Athanasia avait exactement la même impression.

1967 - 9 ans. Athanasia commençait à avoir mal, sa main compressée dans celle de sa mère, mais elle se retint de dire quoi que ce soit, continuant à la suivre alors qu’elle marchait bien trop vite pour qu’elle puisse la suivre convenablement. Elle savait à présent que toute remarque ne pouvait que l’énerver d’avantage et sa joue encore cuisante sous la gifle qu’elle venait de recevoir lui servait de piqûre de rappel. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et parfois, c’était pire, sa mère lui lançant presque des objets à la figure. Elle n’aimait pas lorsque cela arrivait. Elle n’aimait pas les moments où sa mère semblait différente, où elle rentrait tard, où elle était irritable. Elle n’aimait pas lorsqu’elle lui faisait mal, même si elle savait à présent que s’en plaindre était probablement ce qu’il y avait de pire à faire. Alors elle se taisait. Elle serrait les dents. Et elle suivait sa mère, alors que celle-ci marchait vite, bien trop vite. C’était la première fois qu’Athanasia mettait les pieds en Angleterre, pourtant, elle n’avait le temps de rien voir. Elle aurait voulu s’arrêter, observer ce qu’il y avait autour d’elle mais elle ne voyait rien à cette allure, sa vision embuée par des larmes. Rapidement elle les essuya et ce ne fut que quelques minutes plus tard que sa mère ralentit enfin, sortant un papier de sa poche. Enfin, elle stoppa devant la porte d’un énorme manoir, montant les marches pour sonner. Elle resserra sa prise sur la main de sa fille et lui fit un sourire, ce qui fut loin de rassurer Athanasia. Elle allait rencontrer son père pour la première fois, d’après ce que sa mère lui avait dit et elle était terrifiée. La porte s’ouvrit sur un elfe de maison, la fillette reconnaissant cette créature pour en avoir déjà vu dans sa propre famille. « Je viens voir Graham Lestrange, » déclara sa mère d’un ton sec. L’elfe la toisa et ouvrit d’avantage la porte, les laissant entrer. Il les guida vers un petit salon où elles purent s’installer. « Qui doit-je annoncer ? » demanda l’elfe. Sa mère sembla hésiter, avant de finalement répondre. « Eileen Rhodes. » L’attente lui parut interminable et sa mère dû la reprendre plusieurs fois afin qu’elle se tienne tranquille. Finalement, alors qu’elle était en train de se lever du canapé pour la énième fois, un homme pénétra dans la pièce. Athanasia se stoppa net dans son mouvement et se réinstalla correctement. L’homme s’avança mais ne s’assit pas avec elles. « Qu’est-ce que tu penses être en train de faire, Eileen ? » « Je pensais qu’il était temps que tu rencontres ta fille, » déclara cette dernière après s’être éclaircie la gorge, visiblement mal à l’aise. Athanasia releva les yeux vers l’homme. Elle avait posé beaucoup de questions sur lui. Et elle n’avait jamais eu de véritables réponses, alors l’avoir sous les yeux lui semblait irréel. La fillette fit un effort pour s’asseoir encore plus droit, se doutant qu’elle se devait de faire bonne impression. Le manoir de son père était luxueux et n’avait rien à voir avec l’appartement trois pièces dans lequel elle vivait avec sa mère, à Belfast. « Est-ce que tu as une idée de l’erreur que tu es en train de commettre en l’amenant ici ? Dans ma maison? A l’endroit où ma femme et mon fils s’assoient tous les jours ? » Son ton était monté soudainement, faisant sursauter Athanasia et bien qu’elle ne comprenne pas tout à fait d’où venait le problème, elle savait que quelque chose clochait. Qu’il n’était pas aussi intrigué à l’idée de la rencontrer qu’elle. Elle sentit une boule se former dans sa gorge mais ne dit pas un mot, sa mère se levant, visiblement énervée. « C’est ton enfant aussi, tu devrais avoir envie d’être dans sa vie, » dit-elle, haussant le ton également. « Tu m’as déjà menti par le passé, qui me dit que c’est vraiment mon enfant ? » Athanasia déglutit, blessée à l’idée que son père n’était pas tout ce qu’elle avait pu imaginer. « Rentre chez toi, Eileen. Je ne veux pas te voir. Je ne veux pas la voir. Que je sois son père ou non, elle n’est rien pour moi, » ajouta-t-il d’un ton sec. Doucement, les cheveux d’Athanasia commencèrent à foncer, jusqu’à devenir totalement noirs et elle eut du mal à contenir ses larmes plus longtemps, les laissant couler sur ses joues aussi silencieusement qu’elle le put. Ce fut la première fois que son père daigna poser les yeux sur elle, la dévisageant à présent. Il n’eut pas le temps de dire quoique ce soit, sa mère lui prenait déjà la main pour l’aider à se relever. « Viens, Athanasia. On ne veut pas de nous ici. » Elle suivit sa mère sans un mot et sortit du manoir de son père, persuadée qu’elle ne le reverrait jamais.

1967 - 9 ans. Elle n’arrivait à arrêter le flot de larmes qui coulaient sur ses joues, ses yeux fixés sur le cercueil qui était mis en terre. Elle sentit qu’on lui pressait le bras mais elle fut incapable de déterminer si c’était son oncle ou sa tante, tous deux debout à ses côtés. Elle avait neuf ans et elle venait de perdre sa mère. Elle avait neuf ans et elle venait de perdre la personne la plus importante de sa vie, de son point de vue de petite fille. Elle avait neuf ans et elle connaissait déjà le chagrin. La perte. La douleur. C’était sans doute le sentiment le plus intense qu’elle ait connu jusqu’à présent. Aucun des Rhodes ne pleurait véritablement, ayant trop de fierté pour cela mais elle pouvait voir qu'ils étaient tous peinés. Athanasia, elle, n’avait pas l’impression que cela allait s’arrêter un jour. Elle n’avait pas l’impression qu’elle allait pouvoir arrêter de pleurer. Pourtant, il y avait une part d’elle qui la terrifiait, une part d’elle qui était soulagée. Cela faisait un moment, à présent, que sa mère n’était plus la même. Cela faisait un moment, à présent, qu’elle lui faisait régulièrement mal lorsqu’elle était énervée. Cela faisait un moment, à présent, que la blonde avait peur d’elle. Et réaliser que cela était terminé la soulageait, quelque part. Plus tard, elle osa demander pourquoi sa mère ne reviendrait pas, pourquoi elle était partie. Son oncle Cináed, qui était celui chez qui elle restait pour un temps indéterminé, lui expliqua qu’il s’agissait d’un accident de voiture. Plus tard, elle en conclu que sa mère était ivre au volant mais à cet instant, cette seule explication lui suffisait.
Ce ne fut que plusieurs jours plus tard qu’il eut un coup à la porte de son oncle. Athanasia étant dans le salon, elle tendit l’oreille afin d’écouter alors qu’il ouvrait la porte. La voix de la personne à la porte lui parvint étouffée mais elle finit par la reconnaître et faire quelques pas dans l’entrée, essayant de rester dissimulée. Cináed l’entendit et se retourna, la laissait apercevoir son père, qui se tenait sur le perron de leur maison. Cela faisait quelques mois qu’elle l’avait vu, à présent et elle avait été persuadée qu’elle ne le reverrait plus jamais. Elle sourit, s’avançant un petit peu mais fut coupée net par le rappel à l’ordre de son oncle. « Athanasia, va dans ta chambre, s’il-te-plait. » Elle obéit, à contre cœur, rejoignant la chambre qu’elle partageait avec sa cousine, déçue de ne pas pouvoir savoir pourquoi il était là. Ce ne fut que quelques semaines plus tard qu’elle eut enfin une réponse claire, alors que son père était souvent revenu les voir. Elle déménageait chez lui et allait s’y installer définitivement.