Tout commença à l’hôpital général de Londres. Ce qui, on l’admettra, est loin d’être un début original. Toutes les sages-femmes s’accorderaient d’ailleurs pour dire que la naissance de Madge Halliwell n’avait rien d’original. Elle sortit de sa mère petit paquet de chair sale et braillant, comme sont tous les enfants à la naissance, et elle n’avait d’amour que pour le sein de sa mère jusqu’à sa satiété. La petite-enfance de Madge ne fût pas moins banale. Des grenouillères roses et des couches, un doudou à carreaux rouges et des pleurs en pleine nuit. Elle marcha tôt, parla tard, et son premier mot fut, de manière amusante mais non surprenante, le nom du chat familial, qui était très régulièrement crié à travers la maison sur divers tons.

Non, l’origine de la singularité de Madge est à chercher ailleurs.

Sa mère dira qu’elle vient de son père. Après tout, c’est lui le « sorcier », c’est lui qui a transmis à sa fille le pouvoir de changer la couleur du pelage du chat et de faire sonner le vieux piano droit désaccordé au rythme de ses rires.

Son père sortira des études pour contrer cet argument facile, exposant que le fait de donner des noms à chaque meuble de la maison et de sourire à des choses invisibles n’a rien à voir avec la sorcellerie, et que la sorcellerie n’a rien à voir avec une maladie mentale, et qu’elle veut bien le lâcher avec ça, il n’a jamais demandé à être un sorcier et il ne veut pas être impliqué dans leur monde bizarre et dangereux.

D’ailleurs, malgré l’évidence des pouvoirs magiques de sa progéniture, son père n’avait jamais envisagé d’envoyer Madge à Poudlard, où il avait lui-même étudié sept ans pour en conclure que, non merci, il allait devenir employé du métro de Londres, c’était plus sage. Sa femme l’avait toujours approuvé. Sa petite fille ? Dans cette école de fous furieux ? Pas même quand elle serait morte.

En tout cas, jusqu’à l’apparition de Vkrsakt. Vkarstquoi ? vous demandez-vous ? Vkrsakt, le tatou. Qui peut se transformer en cet oiseau bizarre, là… Le kiwi ? Mais non, le kiwi c’est un fruit, ne raconte pas de bêtises. Avec cet animal exotique qui suivait Madge à la trace, il devenait bien moins pratique de l’envoyer à l’école publique du quartier, de lui promettre un avenir bien sage, et non chérie, le four s’appelle « four », pas « Janice ».

Ainsi, la lettre d’inscription à Poudlard vint comme un soulagement pour les Halliwell. Madge, elle, n’a jamais vraiment compris quel était l’origine de ce foin. Pourquoi Vkrsakt poserait plus de problème que Lativadade, Al Débarran ou Rovi ? Elle a l’habitude de gérer ses amis imaginaires. Elle sait que les autres ne peuvent pas les voir, et elle s’est depuis longtemps rendu compte qu’ils s’atténuent quand elle ne leur accorde pas son attention. C’est ce qu’elle fait à l’école, où elle a des amies avec qui elle joue à la marelle et à la balle aux prisonniers, ainsi qu’une attitude travailleuse et des bonnes notes lui attirant la sympathie des professeurs. Certes, Vkrsakt ne se dissipe pas comme les autres, ce qui étrange, mais ça ne veut rien dire.

Mais même si Sküll, le piano à queue, a fait sonner ses touches les plus graves en avertissement, Lativadade et Rovi étaient ravis de découvrir le monde magique. Madge est donc montée avec enthousiasme et toute sa clique dans le Poudlard Express, après avoir longuement embrassé ses parents. Vkrsakt lui rappelle de leur écrire une fois par semaine, pour leur assurer qu’elle est toujours en un seul morceau.

Elle a dû découvrir un nouveau monde bien différent, mais la différence n’a jamais fait peur à Madge. Rovi et sa nuée de flux ont consciencieusement pris notes des cours comme de toutes les nouveautés quotidiennes, Lativadade a élargi l’horizon de ses possibilités, les becs de Ctula ont grincé quand Madge voulait reculer et Al Débarran a continué à chanter. Vkrsakt n’a jamais quitté ses côtés, l’ancrant dans ce monde comme dans l’autre. Madge a nommé chacun des couloirs de Poudlard et sa baguette s’est ajoutée à son bestiaire mental, et tout cela n’est rien de plus que normal, somme toute.