L’enveloppe noire s’éleva dans les airs, presque menaçante… En tout cas, c’était ainsi que le jeune homme qui lui faisait face la voyait. Comme quelque chose d’effrayant, inquiétant, qui n’apporterait rien de bon, jamais. Elle se décacheta seule et il n’arrivait toujours pas à bouger, le regard fixé sur les premières lignes qui se dévoilaient à ses yeux, se détachant en lettres noires sur le parchemin éclatant. Monsieur Prince, nous sommes au regret… Il tressaillit et leva enfin sa baguette au bois aussi noire que cette enveloppe dont la simple vue lui tordait les entrailles. le décès de votre sœur, Cassiopée Alhena Prince « Ridikkulus. » Et si sa voix avait quelque peu tremblée sur la fin, il ne l’avouerait jamais. Dans tous les cas, cela fonctionna et l’enveloppe explosa en une série de feux d’artifices multicolores, avant qu’il ne repousse la créature dans l’armoire d’où elle avait surgit, la bloquant d’un simple sort de verrouillage. « Haaa ! Merci bien jeune homme ! Vous n’imaginez pas le service que vous venez de me rendre. » Un sourire un peu crispé étira les lèvres fines de l’interpelé et il se retourna vers la vieille femme qui l’observait d’un air presqu’admiratif. Il n’osa pas signaler que c’était la simplement la démonstration d’un sort de troisième année tout au plus, sachant qu’au vue de sa condition, cela serait au mieux vexant. « Vous n’imaginez pas à quel point c’est ennuyeux ce genre de chose pour une cracmolle… Ne pas pouvoir accéder à une partie de sa propre maison à cause d’un épouvantard qui bloque le couloir, vraiment ! » « Je vous en pries, ça n’était pas grand-chose. Il faudra faire appel à quelqu’un de plus expérimenté pour la déloger définitivement ceci dit. » » Souffla-t-il seulement. Il l’avait fait parce qu’elle proposait de l’héberger pour un tarif relativement bas s’il acceptait de la débarrasser même temporairement de la créature. L’offre était intéressante pour tout un tas de raison : Ne pas loger dans un hôtel ou une auberge sorcière qui laissaient des traces faciles à suivre le mettait hors de la vue de son père – qui se faisait un peu plus pressant ces derniers temps – au moins pour un petit moment et c’était là l’avantage principal. Pour le reste… La cracmolle – partie en exile de l’Angleterre à cause de son statut – était la seule à parler anglais ici, alors elle lui serait sûrement utile pour avoir quelques renseignements.


Une enveloppe noire, encore. Une de celle qu’il ne peut faire disparaître en une explosion de couleurs chatoyantes, une de celle qu’il ne peut qu’observer du haut de ses quelques années seulement. Il sait ce qu’elle contient, il a déjà vu cette scène plus de fois qu’il n’en faut. Eileen Prince, décédée. Sous les coups d’un mari trop violent. Trop fière pour venir réclamer de l’aide à cette famille qui l’a chassée pour son mauvais mariage, qui l’a bannie, effacée. Morte. Disparu cette tante qu’il adorait, qui prenait toujours du temps pour les jumeaux, qui les considérait seulement comme des enfants et leur apprenait à vivre, à jouer et à s’amuser avant toute chose. Morte. Trop tôt, bien trop tôt. Et ce fossé qui se créé entre lui et son père, qui ne fait que s’agrandir de jours en jours. Il n’aime pas les moldus, il pourrait dire qu’il les déteste. Mais il déteste aussi son père d’avoir fermé sa porte, de ne lui avoir laissé aucune chance.
La scène change, il est plus vieux maintenant. Il est à Poudlard et il arbore fièrement l’écusson des verts et argents, sa maison qu’il a toujours fait en sorte d’honorer de son mieux. Mais là, pas d’honneur. Pas de fierté. Juste des moqueries, des regards de dégout, des bousculades dans les couloirs, des menaces sifflées à voix basse. Une année en enfer, la pire année de sa vie. Le regard clair d’une rousse vexée qui a gâché la vie de son ami d’enfance pour un simple rejet, pour quelque chose qu’il ne contrôlait pas. Qu’il n’a jamais contrôlé. Qu’il n’a jamais souhaité, en premier lieu. Et puis le ras le bol, l’envie d’en finir, d’arrêter tout. Il revoit les toilettes abandonnées, se revoit lui en train de lever sa baguette sur ses bras fins et jeter le sortilège, il revoit le sang couler…
Sa respiration s’emballa brièvement alors que les brumes du sommeil s’échappaient et qu’il se réveillait, ses yeux se rouvrant brusquement pour se fixer sur le plafond de cette chambre qu’il ne connaissait encore que peu. Il déglutit difficilement, passant une main un peu tremblante entre ses mèches corbeaux. Un murmure apaisant vibra dans son esprit et il laissa son bras retomber sur le côté, ses doigts courant dans le pelage épais du chat des sables qui faisait reculer les cauchemars et les souvenirs désagréables. Il n’en n’avait pas besoin. Il avait les cicatrices pour lui permettre de se rappeler de cette période. Pour qu’il se rappelle de ce qu’il considérait comme une faiblesse de sa part, à l’époque.


« Vraiment jeune homme, vous devriez dormir. »La voix était réprobatrice et il releva les yeux de la tasse de café fort qui lui avait été servi sans qu’il ne demande rien et qu’il observait jusque-là avec circonspection. Il sourit d’un air contrit en répondant, « Je suis insomniaque. » Pas la peine de parler des cauchemars qui jalonnaient parfois ses nuits, après tout. La vieille dame l’observa d’un air ennuyé, comme si c’était de sa faute et finit par secouer la tête en murmurant un Les jeunes qui fit sourire un peu plus l’héritier. Il l’aimait bien, elle avait du caractère, de la poigne. Elle n’hésitait pas non plus à le remettre à sa place lorsqu’il laissait trop parler son côté arrogant et hautain – il restait Sebastian Prince, avec tout le caractère que cela pouvait impliquer après tout. Il tenta de boire une gorgée du breuvage noir mais reposa bien vite la tasse, une grimace explicite déformant ses traits et attirant un rire de la part de Eïuvi et de son hôte. Son café était beaucoup trop fort, par contre.


Etonnement, ses songes et ses rêveries ne le portaient jamais vers cette histoire, vers la relation qu’il avait vécue et en laquelle il avait cru. Jamais. Même pas une allusion, même pas le visage de l’autre pendant une seconde. La colère et la haine, la blessure provoquée par l’abandon, tout ça, ça avait comme brûlé les bons moments. Détruits tout ce qui avait pu être bien pour ne laisser place qu’à la rancœur acide et violente puis, lentement, à l’indifférence. Cette histoire, il en avait fait le deuil, désormais. Ça n’était plus ce qui le faisait souffrir. Bien d’autre choses s’étaient déroulées cette année-là, suffisamment pour qu’il ne veuille plus s’y pencher, pour qu’il ne veuille plus y songer. Une lettre noire, encore. L’annonce de la mort de son meilleur ami, la déprime qui l’avait accablé durant de long mois et dont il ne sortait que pour certaines choses. Le Quidditch. Taquiner Mercer, de plus en plus. Se prendre la tête avec Blondie, se rapprocher aussi. Ses rencontres avec son parrain, parfois. Les sorties dans la forêt interdite, sous cette nouvelle forme qu’il apprenait à dompter, qu’il apprenait à aimer plus que tout… La disparition d’Alhena. Cette fuite, cette absence de nouvelles. Ce creux à l’intérieur de lui qu’il n’arrivait plus à remplir : Sa jumelle était une partie de lui, il avait l’impression d’être incomplet sans elle, de ne plus fonctionner correctement. Il dérivait, il n’arrivait plus à se raccrocher à rien. Il coulait, en vérité, à nouveau.
Il se recroquevilla entre les draps, son visage s’enfouissant dans l’oreille alors qu’il tentait de faire taire la douleur qui rongeait son cœur, la culpabilité qui le tiraillait de tous les côtés. « Laisse la partir. » Un sourire douloureux se forma sur ses lèvres, « Je n’y arrive pas. » Comment le pourrait-il ? C’était sa sœur.
Le sommeil fini par l’emporter et il fut béni d’un rêve bien plus agréable qui avait presque le gout du réel. Un rêve délicieusement acidulé, impliquant une personne qui semblait toujours roder quelque part dans son esprit, tel le loup à l’affut qu’il était une fois par mois. Un rêve qui le laissa une fois de plus songeur et le corps agité, au réveil.


« C’est tout de même bien triste, comme situation. » Ils marchaient d’un pas lent dans le village, au rythme de son hôte et il lui adressa un regard curieux. « En Angleterre… Cette guerre horrible. Il paraît qu’elle a tué de nombreux enfants, aussi. Vraiment horrible. » Il pinça doucement les lèvres et détourna les yeux, pas certain de vouloir s’engager dans cette discussion. Eïuvi, sous forme de loup, se pressa contre ses jambes et il soupira profondément. « La guerre est horrible, mais les convictions ne sont pas forcément fausses. Ça n’est juste… Pas le bon moyen de parvenir à son but. » Il ignora le regard posé sur lui, perdu dans ses pensées. Regrettait-il d’avoir participer au sabotage du train, l’année précédente ? Il se souvenait avoir eu peur, évidemment. Pour lui, pour ses proches. Mais une fois sûr et certain qu’ils allaient bien, il n’avait pas éprouvé de culpabilité réelle quant à ce qu’il avait fait. Le referait-il ? S’il le pouvait, non. Maintenant, il était loin d’être certain qu’il disposait encore du luxe d’avoir le choix. Tant qu’il n’était pas chez lui, il était hors de portée mais il ne resterait cependant pas parti pour toujours, et à partir de là, la lutte devra recommencer.


Le pire, dans tout ça, c’était sans doute ce qui s’était déroulé si peu de temps auparavant. Cette peste, cette horrible maladie qui lui avait arraché celui qui lui permettait de ne pas sombrer complètement. Cette dégradation qui s’était déroulée de manière tellement progressive, si lentement qu’il avait refusé d’y croire au début. Refuser d’accepter que lui aussi avait été touché. Il avait poussé jusqu’au bout de ses limites, creusé dans ses derniers retranchements, il s’était accroché avec l’énergie du désespoir jusqu’à s’écrouler finalement. Jusqu’à ne pas avoir d’autre choix que celui de se laisser trainer dans cette quarantaine, dans ce presque mouroir où le désespoir et la douleur ne faisait que grandir de plus en plus jour après jour. Il avait cru mourir, le seul soutien qu’il avait eu, qu’il avait accepté, avait été celui de sa rivale au moins aussi mal que lui. Il avait cru mourir quand le silence forcé dans lequel l’avait plongé la maladie avait laissé place au vide, purement et simplement. Le lien avait été brisé, ça avait eu comme un gout de définitif, comme s’il ne reviendrait jamais. Plus de boule de poils qui se perchait sur sa tête, plus de loup rouge qui courrait à ses côtés, à leur côté lors de ces nuits dans la forêt interdite. Plus de réprimandes sur son langage, plus rien du tout. Il ne se souvenait que de très peu de chose de cette période-là, juste de cris, de pleurs, de supplication pour qu’on lui rende. Juste d’un désespoir grandissant, d’une angoisse sourde qui l’empêchait de respirer.
« Seb’, réveille-toi… Réveille-toi par Merlin, c’est fini ! » Un gémissement s’échappa des lèvres tremblantes du sorcier alors qu’il se réveillait en sursaut, en sueur et plus mal que jamais. Son regard terrifié passait d’une ombre à l’autre dans la pièce jusqu’à se faire capturé par l’ambre inquiet qui le fixait. Dans la seconde, il tendit les bras et captura le félin, le rapprochant de lui du plus proche qu’il put. Presqu’a l’en étouffer, sans que le patronus ne trouve à y redire : Il avait revécu lui aussi l’horreur de cette période. « Me laisse plus… Me laisse plus, s’il te plait… » Il suppliait en boucle, s’imprégnant des promesses et des mots rassurant soufflés par celui qui lui était devenu indispensable. Celui sans qui il ne se voyait plus vivre. Il faisait partie de lui, et il ne pouvait pas imaginer que ça puisse changer un jour.


« Tu sais qu’on ne pouvait pas resté parti plus longtemps, n’est-ce pas ? » Un soupir lui répondit et Sebastian tourna une dernière fois entre ses doigts le parchemin qui venait de lui être remis par son hibou. « Je sais, Eïu’. » Et il ne se voyait de toute façon pas vivre définitivement hors de l’Angleterre, ça n’avait pas été le but. A aucun moment. Tout comme il n’était pas non plus prévu qu’il reste bien plus longtemps ici même s’il avait aimé son séjour dans ce village sorcier. L’ambiance était tellement éloignée de tout ce dont il avait l’habitude qu’il n’avait presqu’eut aucun mal à laisser ses cauchemars derrière lui, les uns après les autres. A s’apaiser et à tourner quelques pages, définitivement. Tout n’était pas réglé, loin de là, mais il se sentait bien mieux que lorsqu’il avait pris la décision de partir, de fuir. Mais il ne pouvait pas rester ici, ça n’était pas son monde. Il restait l’héritier d’un nom important, il restait un étudiant qui n’avait pas terminé son cursus… Et il restait bien trop de choses en suspend en Angleterre pour ça. « Et depuis qu’on est arrivé ici, tu n’as posé aucune question sur Alhena. » Il grimaça légèrement sans rien répondre. « Tu… Tu as abandonné l’idée de la retrouver ? » « … Non… Peut-être. Je ne sais pas, Eïuvi, je ne sais pas. J’ai juste l’impression de courir après du vent. J’ai rien trouvé, aucun indice, rien nulle part. Que ça soit en Angleterre, dans des pays proches et même plus éloignés. Alors… » Le silence régna quelques secondes entre eux alors qu’il relisait une dernière fois les mots de sa mère lui demandant de rentrer. Gentiment, mais fermement. En gros, elle ne lui laissait pas le choix. Ça ne le surprenait même pas au fond qu’elle ait réussi à le trouver malgré ses précautions. « Il est temps d’aller faire nos bagages. »
Et qui sait, la réelle tranquillité qu'il n'avait pas trouvé en voyageant, peut-être la découvrirait-il caché quelque part dans son pays natal.