Enfant de guerrier, enfant de survivant, enfant de traumatisé. Personne ne choisit sa famille et, pourtant, celle-ci ponctue une existence toute entière. Malédiction, sacrifice. Honneur, chance. Tant de mots, tant de significations, parce qu’au fond rien n’est pareil pour tout le monde. Personne ne choisit sa famille et personne ne pourra le faire, au fond. Personne ne choisit sa famille et chaque expérience est différente parce que personne n’hérite de la même chose. Un père et une mère. Des frères et des soeurs. Des branches plus ou moins éloignées de l’arbre généalogique et des ancêtres dont on a oublié les noms. Ils sont là. Personne ne les choisit mais ils sont là quand même. Ils font partie d’une ADN, d’une identité culturelle. Ils sont là et sans eux, personne ne serait là. Mais, à quel point est-ce qu’une généalogie influe sur ce que l’on est ? A quel point celle-ci nous définit-elle ? Enfant de guerrier, enfant de survivant, enfant de traumatisé. Toutes ces choses faisaient partie de lui. Elles étaient là mais ce n’était pas lui.
Alors, il aimait croire qu’il était un guerrier. Un survivant. Un traumatisé. Pendant longtemps, il a essayé de s’attribuer ces mots sans que cela ne soit réel. Sans que cela ait du sens. Oui. Il aurait voulu être comme sa généalogie, il aurait voulu être un guerrier, il aurait voulu être un survivant, il aurait voulu être un traumatisé. Il aurait voulu être comme son père, ce père qu’il admirait tant. Mais cela n’a jamais été le cas.
Et lorsqu’il a fini par devenir toutes ces choses, il a fini par se rendre compte que cela n’avait rien avoir avec la biologie, avec l’ADN. Il était un guerrier, un survivant, un traumatisé, non pas grâce à ses ancêtres mais à cause des autres.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1955—Qu’est donc la mort, pour un bambin ? Qu’est donc une absence, dans le coeur d’un nourrisson ? Hunter Fitzroy Wolfe junior n’avait que quelques mois lorsque sa mère avait reçu une lettre de l’armée américaine lui adressant toutes leurs condoléances. Il n’avait pas compris pourquoi le cours du monde avait semblé s’arrêter autour de lui pendant quelques jours alors que sa famille avait arrangé les obsèques. Il avait observé, silencieux, les soldats porter le cercueil de son père recouvert d’un drapeau des Etats-Unis, dans les bras de sa mère qui avait pleuré en silence. Ses soeurs, âges respectivement de quatre et six ans, avaient été étrangement calmes.
Qu’est donc la mort, pour un bambin ? Qu’est donc une absence, dans le coeur d’un nourrisson ? Cela n’a pas réellement d’importance parce que le présent remplace bien vite les souvenirs, parce que le passé n’a pas de portée réelle dans leur esprit puérile. Lorsque son père fut enterré, Fitz ne se souvenait déjà plus de lui à cause de son absence. Il était partie combattre au Vietnam en laissant sa famille derrière lui. Alors, s’il avait laissé derrière lui sa femme et ses filles marquées à jamais par leurs souvenirs, son fils, lui, n’avait rien à quoi se raccrocher.
Quelques mois plus tard, au cours de l’été 1955, Maighread MacQueen rentra au pays avec ses enfants, laissant derrière elle l’existence qu’elle avait construit aux Etats-Unis avec son mari à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Elle retourna dans sa famille, en Ecosse, pour ne pas élever sa progéniture seule et, aussi, parce qu’elle ne supportait pas les souvenirs. Fitz était le seul de la famille à ne pas se souvenir de cette période-là, dans la belle et grande Amérique ; il était le seul à n’avoir absolument aucun souvenir de la Red Scare, le seul à ne pas être marqué par la peur du communiste, le seul à ne pas avoir souffert à cause de la Guerre du Vietnam. Non, il était le seul, parce que ses souvenirs s’étaient évaporé à cause de son plus jeune âge. Non, il était le seul, parce qu’il avait été trop jeune pour se rappeler. Se rappeler de sa vie dans son pays d’origine. Se rappeler de son père. Se rappeler d’avoir mal.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1960—
« Moi aussi je serais un super-soldat plus tard ! » Il tira sur la manche de sa mère pour qu’elle baisse les yeux dans sa direction. Il avait revêtu la veste de son père, celle que Maighread n’avait pas réussi à jeter lors du déménagement, sa petite main était posée sur son front dans un signe salutaire. Celle-ci lui adressa un sourire et passa sa main dans les boucles rousses du jeune garçon.
« Bien sûr mon chéri. Un super-soldat comme ton père. » Fitz lui adressa un sourire édenté avant de tourner les talons et chercher ses soeurs pour leur montrer sa trouvaille ; sa mère, quand à elle, l’observa filer en se promettant qu’elle ne laisserait pas son fils risquer sa vie pour les causes d’un pays. D’un pays quel qu’il soit.
Fitz courrait. Il courrait après son père, il courrait après son souvenir, ce souvenir qu’il n’avait pas de lui. Il affectionnait tout ce qui avait un jour appartenu à cette figure parentale qu’il n’avait jamais réellement eu ; il adorait entendre les récits des belles actions qu’il avait accompli lors de la Seconde Guerre Mondiale, il passait son temps à parler de lui comme s’il était encore là, comme s’il l’avait connu. Si Fitz ne se rappelait pas, il cherchait tout de même désespérément à se sentir proche de lui. Si Fitz ne se rappelait pas, il avait ce besoin d’être à la hauteur, d’être au niveau de ce héros de guerre qu’il admirait tant.
Seul garçon de sa famille et benjamin de sa fratrie, on lui donnait tout ce qu’il demandait ; c’était presque étrange de voir à quel point il pouvait être dorloté par sa mère, à quel point ses soeurs lui donnaient tout leur attention. A l’école, il faisait partie des têtes pensantes ; ces enfants qui allaient trop vite pour le rythme scolaire mais qu’on ne voulait pas faire sauter de classe de peur qu’il soit trop immature pour s’adapter au niveau supérieur. Mais, par-dessus tout, résultats de l’attention qu’on lui donnait ou de sa vocation à rendre fier son père qui n’était plus de ce monde, Fitz savait ce qu’il voulait. Fitz savait presque où il allait.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1965—C’est un sentiment étrange, celui de savoir que notre vie est sur le point de changer du tout au tout. C’est un sentiment étrange, celui de se rendre compte que rien ne serait plus comme avant. Fitz n’avait jamais ressenti celui jusqu’au jour où il avait reçu sa lettre pour l’école de sorcellerie Poudlard ; jusqu’au jour où un professeur de cet endroit était venu expliquer ce qu’il était réellement à lui et à sa famille. Il avait accepté cette réalité parce qu’elle signifiait qu’il était différent. Il avait accepté cette réalité parce qu’elle signifiait qu’il pouvait briller, lui aussi, dans un domaine qui n’était pas celui de son père mais qui avait ses propres mérites. Et, finalement, le 1er septembre 1965, il se passa deux moments clefs de son existence.
Il y avait finalement pris le Poudlard Express, il avait finalement passé le seuil du chateau pour la première fois. Il avait finalement mis le Choixpeau Magique sur sa tête toute bouclée, il avait finalement été envoyé à la maison de Serpentard. On lui avait demandé à plusieurs reprises si son nom de famille était Weasley et cela l’avait laissé dubitatif ; il avait fini par comprendre qu’il s’agissait d’une famille de sorciers qui avaient pour particularité d’être roux. Mais, bien au-delà de cet évènement décisif, bien au-delà d’être enfin arrivé à l’école de sorcellerie, il s’était assis aux côté d’une élève, âgée de onze ans, tout comme lui. Il lui avait adressé un sourire nerveux. Il s’était émerveillé de voir la nourriture apparaître devant eux lorsque le directeur avait frappé dans ses mains. Puis, lorsqu’ils s’étaient mis à converser, il avait su que cela ne serait pas la dernière fois qu’ils se parleraient.
C’était un sentiment étrange, celui de savoir que notre vie est sur le point de changer du tout au tout. C’était d’autant plus étrange d’avoir l’impression d’avoir enfin trouvé sa place dans le monde, une place qui ne faisait pas de lui le
fils de mais qui ne voulait pas non plus dire qu’il tournait le dos à sa famille. Mais, au-delà de ça, c’était encore plus étrange d’être assis à côté d’une fille qui s'appelait Octavia et qu’il ne connaissait pas et qui, pourtant, allait devenir sa meilleure amie en l’espace de quelques semaines.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1970—
« Tu devrais lui enfoncer la langue encore plus profondément dans la gorge. » Il releva les yeux de l’édition de la Gazette des Sorciers qu’il était en train de lire ; malgré lui, un sourire apparut sur ses lèvres et il ne parvint pas à s’en débarrasser. Il secoua la tête. Octavia l’avait surpris, un peu plus tôt, en train d’embrasser sa petite-amie ; il savait parfaitement qu’elle faisait référence à cet instant-là.
« Ne sois pas jalouse, je sais qu’Arthur n’embrasse pas aussi bien que moi. A moins que ça serait David ? Je ne me souviens jamais de son prénom, » répondit-il en reprenant sa lecture. Il tourna la page de son journal. Au fond, il savait qu’elle n’appréciait pas beaucoup sa petite-amie, qu’elle trouvait superficielle, un brin pimbêche. Il ne savait pas exactement ce qu’il s’était passé entre elles-deux parce qu’Octavia ne lui avait rien raconté mais il se doutait bien qu’elles avaient sans doute dû avoir une intercalation dans son dos en espérant qu’il ne se doute de rien. Malheureusement pour sa meilleure amie, il la connaissait si bien qu’il s’en était doutée dès qu’il avait croisé son regard, quelques semaines auparavant.
« Abruti, » répondit-elle et son sourire s’agrandit. Il ne la contredit pas parce qu’il voulait bien admettre qu’il en était un.
Mais, au fond, il savait. Il savait qu’il avait juste en disant qu’il embrassait mieux que la personne qu’elle fréquentait. Il savait qu’il avait juste parce qu’il suffisait qu’il la regarde pour se rendre compte qu’elle pensait exactement la même chose. Ils avaient appris ensemble, après tout. Ils n’avaient pas été très grands mais ils s’étaient entraîné à embrasser ensemble, en confiance, avec les ratures et les erreurs qu’engendraient les premières fois sans honte aucune. Parce que c’était ce qu’ils savaient faire de mieux ; grandir main dans la main, apprendre en compagnie de l’autre. Cela paraissait presque naturel. C’était naturel.
Alors, oui, il était un abruti de lui rappeler cela. Il était un abruti malgré son parcours scolaire sans un seul faux pas. Mais il avait raison. Il embrassait mieux que son petit-ami à elle. Tout comme elle embrassait mieux que sa petite-amie à lui.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1975—Il y a des choses que l’on est et des choses que l’on est pas. Si l’être humain est une créature complexe et étrange, certains traits de caractère faisaient partie de leurs identités. Du moins, c’était ce qu’il avait pensé. C’était ce dont il avait été persuadé. Fitz était ambitieux. Fitz se savait manipulateur et prêt à tout pour atteindre ses objectifs. Fitz était travailleur et obsessionnel. Fitz avait un nombre incalculable de défauts rattrapés par quelques qualités. Cependant, Fitz n’était pas quelqu’un de violent. Il n’aimait pas particulièrement se battre avec ses poings, préférant les mots tranchants ; pourtant, lorsqu’il se retrouva en retenue, plusieurs fois, pour avoir eu recours à la violence, il finit par se rendre compte qu’une personnalité n’était pas forcément gravée dans le marbre.
Cela avait commencé simplement par des murmures. Une foule de murmures sur le passage d’Octavia. Puis un rire, un rire rauque. Il avait tout ignoré, il avait continué de marcher, il avait eu l’habitude d’encaisser certaines moqueries à propos du statut de son sang jusqu’à ce qu’il finisse par prouver au chateau tout entier qu’il valait sans doute mieux qu’eux, tous réunis. Puis, lorsqu’il s’était tourné vers sa meilleure amie et qu’il avait vu son expression, lorsqu’il avait constaté qu’elle, elle les entendait, il n’avait plus su répondre de son corps.
Alors, il s’était dirigé sur le Serpentard qui s’était esclaffé, le dominant de son mètre quatre-vingt-dix, posant ses deux mains sur ses épaules pour le pousser en arrière, jusqu’au mur du couloir. Sans qu’il n’ait réellement réfléchi, ses doigts s’étaient enroulés autour de son cou et ses mots avaient été déformés par la colère.
« La prochaine fois que tu la regardes je te crève les yeux. » Et cela n’avait été que la première fois d’une longue succession d’écarts de conduite. Il n’avait malheureusement pas mis ses menaces à exécution ; on l’avait menacé d’être renvoyé à plusieurs reprises mais il ne parvenait jamais à se contrôler.
Il y a des choses que l’on est et des choses que l’on est pas. Avec le temps, Fitz avait compris que cette frontière n’était pas étanche ; il y avait ce qu’il était capable de faire pour lui-même. Endurer. Comploter. Et il y avait ce qu’il était capable de faire pour ceux qui lui était proches. Se battre. Se venger.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1980—Si Hunter Fitzroy Wolfe junior se sentait bien plus à sa place dans le monde sorcier, où il évoluait sans encombre, il aimait rentrer chez lui. Il aimait retrouver ses soeurs, il aimait retrouver sa mère, il aimait retrouver cette maison d’Ullapool qu’il avait habité durant toute son enfance. Il aimait retrouver le monde moldu, également ; il laissait sans aucun soucis sa baguette de côté le temps des vacances et écumait les bars avec les amis de la famille. Tous le croyaient en train de faire des études de médecine aux Etats-Unis ; au fond, ce n’était pas tout à fait faux, ni tout à fait vrai, mais Fitz était particulièrement doué pour bricoler des vérités. Cependant, l’année 1980 lui posa plus de soucis à cause de son patronus, apparu au cours de l’hiver précédant. S’il s’arrangeait pour le dissimuler dans ses poches ou dans un sac sous forme de brume, il se rendait compte, peu à peu, qu’il n’avait pas réellement sa place dans le monde moldu. Qu’il avait beau prétexté naviguer entre les deux univers, il n’était pas comme le reste de sa famille.
Et, Fitz ne sut pas si cela le peinait ou le soulageait.
Octavia venait parfois en Ecosse, chez lui, pendant les vacances. Il lui avait appris à conduire même s’il avait manqué de faire un infractus à plusieurs reprises. Il l’avait sorti dans des soirées moldus, lui avait fait rencontrer les amis de ses soeurs. Il l’avait soupçonné d’avoir trouvé refuge dans ce monde où personne n’avait entendu parler du scandale à propos de sa famille, alors que, lui, éprouvait le contraire ; il n’avait plus de réconfort à être ici, parmi les siens, parce qu’il ressentait cette distance qui les séparait depuis des années. Il n’avait rien dit. Il avait préféré laisser les choses faire jusqu’à ce qu’elle éprouve des sentiments pour l’un de ses meilleurs amis moldus. Et il l’avait accepté parce qu’il n’avait pas d’autre choix. Après tout, il avait bien vu à quel point elle avait été malheureuse à Belize, même avant les incidents qui s’étaient produits fin août. Il aurait tout donné pour qu’elle n’ait pas ce comportement résigné mais il savait que cela n’aurait sans doute pas été suffisant.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] 1982—Est-ce que l’on peut réellement faire confiance aux souvenirs ? Ils ne sont que les fantômes d’un passé biaisé, l’ombre d’une réalité qui a cessé d’exister. Le temps ronge la mémoire, les évènements l’altère ; au fond, on ne peut ni se fier à ce que l’on est, ni se fier à ce que l’on a en tête. Fitz avait fini par s’en rendre compte et, pourtant, il s’acharnait.
Il se souvenait de la brocante. Il se souvenait de s’être moqué gentiment du fiancé d’Octavia. Il se souvenait avoir bu bien plus de bierraubeurre qu’il ne faudrait.
Puis il ne se souvenait plus de rien.
On lui avait dit qu’il s’agissait d’un choc émotionnel, que cela lui reviendrait par bribes. On lui avait dit qu’il avait souffert, que son corps était décharné. Sa coupe de cheveux propres avait laissé place à ses boucles rousses qui avaient repris leur droit et il n’était plus sûr de vouloir les couper. Sa peau était marquée par des cicatrices dont il ne se rappelait pas des blessures. Le pire était sans doute sa tête ; cette tête confuse, ces idées emmêlées. Il se noyait dans un océan d’incertitudes et de questions. Pire encore, il avait l’impression de se perdre, de se perdre lui-même, de ne plus être complètement en possession de ce qu’il était;
Il se souvenait de la brocante. Il se souvenait avoir râlé avant de s’y rendre. Il se souvenait avoir manqué de sommeil la veille à cause d’un tour de garde en trop à Ste-Mangouste.
Puis il ne se souvenait plus de rien.
Il avait parlé à des aurors, ces aurors qui avait enquêté sur sa lui. Il n’avait pas été seul à avoir disparu le jour de la brocante. Cependant, les autres n’étaient pas revenus.
Est-ce que l’on peut réellement faire confiance aux souvenirs ? Sans doute que non, puisqu’ils vont et viennent, parce qu’ils peuvent être façonnés pour convenir à une vérité et pas une autre. Fitz avait fini par s’en rendre compte et, pourtant, il s’acharnait. Il s’acharnait parce qu’il savait que, désormais, il n’était plus lui-même. Il s’acharnait parce qu’il savait que, désormais, il ne contrôlait plus une partie de son esprit.
Est-ce que l’on peut réellement faire confiance aux souvenirs ? Non, parce qu’ils se basaient sur des faits réels.
Et l’on ne pouvait pas croire aux faits réels. Ils n’étaient qu’un écran de fumée masquant des vérités bien pires encore.
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A quel instant cesse-t-on d’être la personne que l’on était ? A quel moment doit-on faire le deuil de cet individu que l’on a laissé mourir au creux de notre propre corps ? Au fond, ce n’est pas tant la personnalité que l’on a abandonné derrière nous que nous venons à manquer ; non, parce qu’au fond, les souvenirs de l’on a de nous-mêmes ne sont pas dignes de confiance. Ce sont nos relations avec les autres que l’on vient à regretter. Ce sont nos façons de voir le monde qui nous manquent. Changer es t toujours difficile lorsque l’on a aucune prise sur la réalité. Changer est un fardeau lorsque l’on est les seuls à évoluer dans un monde qui tourne à contre-sens.
Enfant de guerrier, enfant de survivant, enfant de traumatisé. Il ne s’était jamais rendu compte qu’il ne pouvait pas être comme eux tout en restant leur descendance. Il ne pouvait pas être le fils de son père et être aussi endommagé que lui. Il ne pouvait pas être Hunter Wolfe junior s’il ne se rappelait même plus de la manière dont il pouvait idolâtrer son paternel.
A quel instant cesse-t-on d’être la personne que l’on était ? A quel moment doit-on faire le deuil de cet individu que l’on a laissé mourir au creux de notre propre corps ? Il n’existe pas de limites tangibles, il n’y a pas de réelle réponse à ces interrogations. Parce que, la vérité, c’est que c’est seulement après avoir franchi le point de non-retour que l’on se rend compte qu’il est trop tard. C’est seulement lorsque l’on regarde les photos de famille sans ressentir quoi que ce soit qu’on sait que rien ne sera plus comme avant. C’est seulement lorsque l’on regarde sa meilleure amie dans les yeux sans savoir quoi lui dire, quoi lui répondre, quoi faire, qu’on constate qu’on a tué la personne qui lui était chère.
Parce qu’au fond, en étant un guerrier, en étant un survivant, en étant un traumatisé, on est aussi un assassin. L’assassin de celui qui vivait dans notre corps auparavant et qui comptait tant pour ces proches que l’on ne comprend plus. L’assassin de celui qu’on avait laissé mourir.