Vingt-huit novembre mil-neuf-cent-soixante - Exeter, Devon, Angleterre.
« Entre Edern, approche-toi. »
Edern s’exécuta et s’approcha du lit, au milieu de la pièce. Sa maman, cette femme magnifique à la crinière rousse et aux yeux vert émeraude, le regardait avec bienveillance et douceur. Elle tenait dans ses bras un nourrisson, enveloppé dans un drap de coton blanc. On ne lui apercevait que son petit minois tout rosé, et quelques cheveux que l’on discernait déjà rouquins. Edern se pencha sur le lit pour regarder d’encore plus près ce nouveau-né qui n’était autre que son petit frère.
« Il s’appelle Fenrir-Amos, et c’est ton frère Edern. »
Âgé de tout juste cinq ans, Edern comprenait tous les tenants et les aboutissants de la venue de cette chose dans sa vie d’enfant unique. Tout allait parfaitement bien avant, sa maman, son papa, et lui. Ils vivaient tous les trois, au Terrier - c’était leur maison, mais tout le monde l’appelait ainsi -, et ils étaient très heureux. Mais un petit frère est arrivé, et plus rien n’était pareil, l’attention de toute la famille n’était plus entièrement sienne, et il devait partager tout ce qu’il possédait avec cet intrus, qui portait le même nom de famille que lui et qui avait la même couleur de cheveux que lui. Il est beaucoup plus compliqué de renier une personne lorsqu’elle vous ressemble autant. Alors les premiers temps furent compliqués, Edern essayait de garder pour lui ses trésors et les secrets mystérieux dont le Terrier regorgeait, mais Fenouil était un enfant comme les autres, il cherchait à jouer avec son frère aîné, et le suivait partout. C’était un enfant attachant et drôle, et Edern s’est trouvé piégé par ce petit morveux et ses espiègleries en tout genre. Les deux frères devinrent même inséparables, et, ne lui dites pas, mais il a même fini par adorer son petit Fenouil.
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Quatorze avril mil-neuf-cent-soixante-six - Loutry Ste Chaspoule, Devon, Angleterre.
« Monsieur, Eric Jugesdore, voulez-vous prendre pour épouse, Mademoiselle Nehla Agathe Shacklebolt, ici présente ?
- Oui, je le veux.
- Mademoiselle Nehla Agathe Shacklebolt, voulez-vous prendre pour époux, Monsieur Eric Jugesdore, ici présent ?
- Oui, je le veux.
- Je vous unis donc par les liens du mariage. Vous pouvez embrasser la mariée. »
L’assemblée se mit à applaudir dans un brouhaha assourdissant lorsque les nouveaux amoureux firent se rencontrer leurs lèvres, ce bruit traduisait la félicité de cette journée si atypique. Tout le monde aimait Nelha, et voulait son bonheur. Ce jour, elle se remariait ; tout ceci était très perturbant pour Edern qui n’avait toujours pas fait le deuil du divorce de ses parents chéris, et bien que cet Eric soit un homme d’une très grande bonté, leurs rapports ne pourront jamais être aussi fusionnels que ceux qu’il entretenait avec son cher papa. Amos adorait Eric, et sa jeunesse jouait en sa faveur, il n’avait pas vécu la séparation comme avait pu la vivre son frère, et ceci était moins douloureux pour lui. Edern était garçon d’honneur, et portait les alliances. Sa maman lui déposa un baiser tendre sur le front lorsqu’elle s’empara de l’anneau de son nouvel époux, elle savait bien que cette journée était difficile pour ses deux fils qu’elle aimait tant.
Edern jeta un coup d’oeil dans la foule. Il aperçu son petit frère, qui applaudissait de la manière la plus adorable qui soit, et son père, à ses côtés, le visage bouffi par les pleurs et la mine triste. Il souffrait lui aussi.
Après la cérémonie, Edern avait décidé de trouver son papa dans la multitude d’invités qui avait fait le déplacement pour cette journée. Fenouil jouait avec les autres enfants, mais lui, n’avait pas la tête à ça. Il finit par trouver cet homme grand et fort qu’il respectait et admirait tant : il avait trouvé un banc de pierre à une centaine de mètres des festivités. Edern se hâta de le rejoindre et s’assit à ses côtés.
« Tu as été remarquable mon fils.
- Merci papa.
- Tu devrais rejoindre les autres.
- Mais je ne veux pas que tu restes tout seul…
- Je ne suis jamais seul mon garçon, tu es toujours dans mon coeur.
- Mais tu serais quand même seul. À qui parlerais-tu ?
- Tu sais mon grand, il arrivera certainement des moments où tu te sentiras seul, toi aussi. Mais n’oublie jamais que la seule chose importante, c’est d’écouter ton coeur. Bientôt, tu partiras à l’école des sorciers, et nous ne serons plus aussi proches tous les deux, mais saches que je serai toujours là pour toi ; un parchemin me parviendra toujours par hibou.
- … Je m’en souviendrai.
- Allez viens. Tu as raison, allons rejoindre les autres. »
Edern avait compris l’essentiel de cette conversation, exceptée une chose : pourquoi son père se sentait-il si délaissé, alors que lui-même avait refait sa vie avec une autre femme et leur avait déjà donné une petite soeur ? À dix ans et demi, ces choses de la vie, Edern ne les assimilait pas toutes, mais il était intelligent, et comprenait que son papa n’était pas foncièrement malheureux, mais plutôt nostalgique…
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Trente-et-un juillet mil-neuf-cent-soixante-six - Exeter, Devon, Angleterre.
« FENOUIL !! DESCENDS !! »
Edern hurla dans la maison. Fenrir-Amos jouait certainement dans sa chambre, et descendit sans broncher à toute vitesse jusqu’au rez-de-chaussée. Il se posta juste devant son grand-frère et le questionna sur sa présence devant lui. « Il faut que tu mettes la table, c’est ton tour. » lui répondit Edern, sur un ton enjoué. Chaque jour ils alternaient, mais cette règle venait tout juste d’être mise en place. Auparavant, jugé trop petit, Fenrir passait entre les mailles du filet, mais Edern avait ronchonné un peu, et les choses avaient changé. Après tout, il était largement temps, car Edern le savait, la lettre de Poudlard devait arriver incessamment sous peu ! L’excitation était à son comble depuis trois jours, et il ne pouvait penser à autre chose.
Le couvert sur la table, le repas servi, les quatre membres réunis, le hibou avait bien choisi son moment. Un bruit très léger de papier frottant sur le sol venait d’avertir la présence d’un courrier. Edern ne demanda pas son reste et sans même demander l’autorisation, se leva de table. Sur l’enveloppe parcheminée, on pouvait lire dans une jolie écriture noire calligraphiée « Collège Poudlard, Ecole de sorcellerie » Edern se pressa de déchirer l’enveloppe pour faire apparaître le message tant attendu. Il sauta et cria de joie ; il était inscrit, et il tenait dans ses mains le prix de sa réussite. Tous semblaient ravis pour lui, et ils fêtèrent cette admission comme il se devait. Le lendemain, sa maman l’emmènerait faire quelques emplettes, et dans un mois, bye-bye Exeter ! Il n’avait rien contre Exeter, mais il rêvait beaucoup plus grand.
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Premier septembre mil-neuf-cent-soixante-six - King’s Cross, Londres, Angleterre.
Le quai 9 ¾ était exactement comme Edern l’imaginait : magique. Toutes ses affaires étaient dans une simple malle en vieux cuir, que son beau-père utilisa lorsque lui-même était élève de Poudlard. Son jeune chaton noir, Bruce, n’en pouvait déjà plus de sa petite boîte. Edern embrassa tôt à tour sa mère sur la joue, puis son père, son frère, et enfin son beau-père. Il remercia encore chacun des membres de sa joyeuse famille et avant de partir, s’entretint avec son petit frère. Il lui glissa quelques mots dans le creux de son oreille.
« Je suis tellement fier de toi Fenouil. Tu seras celui qui me manquera le plus. »
Sans même se retourner, Edern monta dans le train, embarquant toutes ses affaires avec lui. Les sifflements retentirent dans toute la gare, puis les premiers tchac-tchac commencèrent. Le Poudlard Express était parti !
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Premier septembre mil-neuf-cent-soixante-six - Poudlard, Pré-Au-Lard, Ecosse.
Sept heures plus tard, le château apparu enfin. Edern enfila sa robe noir en vitesse et referma sa malle. Le train s’arrêta et tous descendirent. Edern avait fait connaissance avec quelques nouveaux élèves de première année, durant le trajet, mais mêlé ainsi à tous les étudiants de l’école, de la première à la douzième année, il se sentait tellement perdu. Ils furent emmenés au sein du château. Edern ne pouvait s’empêcher de regarder tout ce qui se trouvait autour de lui. Les immenses lustres, les escaliers de pierre qui, pour certains, se mouvaient sans raison, les piliers de marbres, et les portes de plusieurs mètres de haut… Ce château était beaucoup plus impressionnant que tout ce qu’on avait pu lui en dire. Arrivés dans la Grande Salle, le Choixpeau se tenait sur une petite chaise de bois, et lui, en revanche, semblait beaucoup moins imposant que dans ses rêves les plus délirants. Sans grande surprise, c’est chez les Poufsouffle qu’Edern fut envoyé. De nature très travailleuse, sa maman l’avait prédit des mois auparavant. Il n’était pas mécontent.
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Trois janvier mil-neuf-cent-soixante-dix-sept - Exeter, Devon, Angleterre.
D’ordinaire, Edern rentrait chez sa mère et son beau-père à l’occasion des fêtes de fin d’année, mais cette fois-ci, il avait choisi de rester à Poudlard afin de réviser et de ne pas se déconcentrer. Il avait vingt-et-un an à présent, et il sentait qu’il avait de moins en moins besoin de se retrouver en famille. C’était le jour de la rentrée, après ces fameuses vacances, mais pourtant Edern n’était même pas en classe, et ce n’était pas son genre de sécher les cours. Il avait reçu un hibou très alarmant la veille au soir, et avait demandé à quitter le château immédiatement pour rejoindre les siens. La lettre qu’il avait reçu était très floue et il ignorait ce qu’il s’était réellement passé. Ce n’est qu’une fois arrivé sur place qu’un magicomage le prit à part afin de lui expliquer les faits dans les moindres détails. La transformation de son beau-père en loup-garou, la morsure infligée à sa chère et tendre maman, et son frère, qui, bien heureusement était sain et sauf, mais qui avait assisté à cette scène d’horreur. Edern refusa de voir sa mère, bien qu’on le lui ai proposé à trois reprises. Il s’interdisait d’oublier le visage aimant de sa mère, pour le remplacer par ce qu’elle était devenu. Il n’avait souhaité voir que son petit-frère, qui était devenu adolescent, et qui devait être tellement choqué. Edern savait très bien que Fenrir-Amos était très proche de leur mère, et que cette tragédie risquerait de le détruire, littéralement. Il dormait dans un lit d’hôpital, et avait l’air très serein, malgré l’agitation alentour. Edern s’en voulait profondément de ne pas être rentré durant ces vacances. C’était la première fois qu’il avait décidé de rester au château durant des vacances, et il se demandait ce qui lui était passé par la tête. De la culpabilité à ne plus savoir qu’en faire dominait toutes les pensées du jeune homme. Les larmes lui montèrent aux yeux et il pleura pendant de longues minutes, observant son Fenouil. Il redoutait le moment où il se réveillerait, où il devrait affronter son regard…
Pas si longtemps après, Fenrir-Amos ouvrit enfin les yeux, il semblait sonné, comme s’il ignorait ce qu’il se passait. Ceci ne dura que quelques centaines de secondes, avant qu’il ne se lève soudainement. Puis, ce qui devait arriver, arriva. Il tomba dans une colère contre la vie, qui surpassait tout entendement. Edern ne savait plus du tout comment gérer ce qui venait de s’abattre sur leur petit cocon familial. Devenait-il soudainement responsable à part entière de son petit frère ? Sûrement pas, leur père était toujours vivant. Mais il vivait au Terrier, avec sa nouvelle famille, et Fenouil devrait revenir à Poudlard. Edern prit alors ce rôle presque fictif à coeur, décidant que même s’il ne pourrait jamais être un père ou mère pour son petit-frère, il se devait de le protéger du mieux qu’il le pouvait. Malheureusement, un adolescent de seize ans est imprévisible et indomptable, et même avec toute la bonne volonté du monde, Edern n’a pu empêcher son frère de tomber dans de sinistres et ténébreuses dépressions. Les deux frères ont développé un lien beaucoup plus sombre que précédemment, au grand malheur de l’aîné, qui voit les difficultés que son cadet traverse comme le siennes aussi.
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Vingt-huit juin mil-neuf-cent-soixante-dix-huit - Poudlard, Pré-Au-Lard, Ecosse.
Optimal. Le meilleur des résultats possibles. Edern l’avait fait, il était à présent diplômé et en avait terminé pour de bon avec ses études. Douze années de travail acharné enfin récompensées comme il se devait.
Il se trouvait dans le hall du château, entouré de tous ses camarades avec qui il avait parcouru tant de chemin. Il félicita ses amis, tout en discutant de leur avenir. Lui, avait choisi de rester ici, pour démarrer une nouvelle ère de sa vie. Il allait réaliser son rêve d’enfant : devenir professeur à Poudlard. À l’époque, la matière lui importait peu, mais au fil du temps, il savait que ce serait la métamorphose. Il s’était entretenu avec le directeur, à ce sujet, qui avait accordé à Edern cette place de professeur au sein de son équipe éducative. Mais il devait réaliser trois années d’une sorte d’internat en premier lieu. Il serait assistant. Edern savait que c’était une bonne chose, mais il était tellement pressé de pouvoir enseigner à une classe, qu’il s’agissait plus d’une corvée qu’autre chose.