05h22. Les premiers rayons de soleil te tirent doucement des bras de Morphée. Tu gardes les yeux fermés un moment, puis tu les entrouvres. Tu te recroquevilles sur le côté, un regard las fixant le vide. Tu te sens épuisée, à bout de nerfs, comme sur le point de te briser. La tête lourde. Tu fermes les yeux un moment – tu aimerais somnoler encore un peu. Mais tu as peur de dormir. Tu as peur de te perdre dans les méandres des rêves. Car le retour à la réalité est tous les jours un peu plus cruel, un peu plus difficile. Tu as l'impression d'avoir du mal à respirer, de t'étouffer, de manquer d'oxygène. Tu as l'impression de flotter au beau milieu de la mer, d'être sur le point de couler à tout moment. Tu aimerais qu'on te jette une bouée, qu'on te tende une main.
Mais tu as peur, peur de t'ouvrir aux autres. Peur de ne pas être comme tout le monde. Peur de ne pas bien faire, de ne pas faire assez.

Avant Poudlard, ce n'était pas comme ça.

Avant Poudlard, papa et maman t'aimaient fort. Tu te chamaillais souvent avec ton petit frère, tu étais entourée d'amis, comme n'importe quel enfant. Vous aviez un modeste appartement à Londres, ce n'était pas grand chose, mais c'était ton petit coin de paradis sur terre. Tu es née dans cette ville et tu y as grandi.
Petite, tu avais des rêves, tu courais sur la plage, pieds nus, tu riais aux éclats et tu brillais plus fort que le soleil dans le ciel. Tu étais une rêveuse au grand cœur, tu avais le regard tourné vers l’avenir, tu étais une chasseuse de trésors, tu courais après les nuages. Et tu criais jusqu’à en vider tes poumons, pour que toute la terre puisse l’entendre : « nous nous envolerons ». Et tu t’envolais, à la poursuite de tes rêves, emportée par le vent, la poussière de fée. Tu as grandi entourée d’amour, au sein de cette famille coréano-anglaise installée dans le pays depuis deux générations. Ce n’était pas facile tous les jours, mais vous étiez heureux.
En apparence.
Car à cette époque, tu ne comprenais rien à la vie, tu ne faisais que sourire innocemment. Tu ne savais pas tous les problèmes qui pesaient sur les épaules de tes parents, l’argent, les dettes, le logement. Tu voulais le dernier jouet sorti et tu pleurais comme si c’était la fin du monde lorsque l'on te disait non. Puis lorsque tes parents t’ont finalement offert la poupée de tes rêves, la petite fille que tu étais s’était tout simplement contentée de la jeter par terre : « ce n’est plus celle-là que je veux ». Tu ne comprenais rien à la vie, tu ne savais pas tous les sacrifices que tes parents ont fait pour t’offrir ce morceau de plastique aux cheveux blonds et au sourire forcé.

Tu as grandi, gâtée, sans comprendre la réalité de ce monde. Alors c’est la réalité qui est venue à toi - elle a frappé à ta porte, elle a cogné fort, et elle s’est immiscée dans ta vie sans que tu ne t’y attendes. C’était un soir de l'été 71, tu avais alors 11 ans. Tu étais cette adorable petite miss Lee qui se chamaillait souvent avec son petit frère, qui était entourée d’amis, qui gloussait bêtement devant le garçon qui lui plaisait. Ce soir-là, tu as reçu une lettre t'invitant à aller à Poudlard. Poudlard, tu n'en avais jamais entendu parlé. Rien d'anormal, pour la « moldue » que tu étais. Mais si tu avais l'impression que tout un monde s'ouvrait à toi, la vérité, c'est que tout un monde s'est effondré autour de toi.

Tes parents ont d'abord cru à une arnaque, une mauvaise blague. Puis lorsqu'ils ont compris de quoi il s'agissait réellement, ils n'ont pas voulu te laisser partir, loin d'eux, loin de tout. Dans un endroit qui ne leur était pas familier. Un endroit où ils ne savaient pas ce qu'il pouvait se tramer. Etait-ce leur sixième sens, leur instinct parental ? Car si à l'époque, tu t'étais battue pour te rendre dans cette école de sorcellerie, aujourd'hui, tous ces souvenirs te semblent un peu amers, et tu as l'impression qu'ils avaient un peu raison.

Poudlard et son monde magique n'était pas tout rose, et n'était pas fait de paillettes et de poussière de fée, comme tu l'imaginais. Tu as découvert avec effroi les secrets toujours un peu plus flous et un peu plus sombres du monde des sorciers. Les mangemorts, Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, les rivalités. A vrai dire, tu ne savais pas trop quoi penser de tout cela. Tu ne te sentais pas à ta place, pas chez toi. Rien ne t'était familier. Tu avais l'impression de constamment devoir cacher tes origines, constamment devoir faire attention à ce que tu faisais, à ce que tu disais.
Chaque été, lorsqu'enfin tu rentrais chez toi, tu avais l'impression que l'écart se creusait toujours un peu plus entre tes parents et toi. Ils avaient l'impression de ne plus te connaître, de ne plus savoir qui tu étais. Même s'ils essayaient de ne pas le montrer, tu les voyais parfois trembler un peu devant toi. Par peur, par méfiance, par tu ne savais pas trop quoi. Et c'est là que tu t'es rendue compte : tu n'étais plus la petite Wendy chérie de tes parents. Vous étiez devenus des inconnus chez qui tu retournais chaque année. Tu avais l'impression de ne plus avoir un point de retour. Une maison. Un endroit pour reposer ton cœur. Que ce soit chez tes parents ou à Poudlard, tu ne te sentais plus chez toi. Et cela te brisait le cœur.

Tu n'avais jamais demandée à devenir sorcière.
Tout ce dont tu rêvais toi, c'était d'une vie normale, loin de tout.

Alors tu as fini par avoir peur de toutes ces sorcelleries. Pendant un temps, tu fus complètement dégoûtée de tout ce qui avait attrait à la magie. Ce fut durant cette même période que le ministère créa son fameux raté. Et ces histoires de patronus te dégoûtaient plus que tout. C'était le rejet total. Tinka, ton patronus panda roux, c'était finalement la représentation de ces sorciers, la représentation des problèmes de ce monde auquel tu n'appartenais pas. Des mois durant, tu ne pus te résoudre à accepter tout cela. Et tu t'enfermais, toujours un peu plus, loin de tout le monde. Dans les livres. Car finalement, la réalité, c'est que tu te savais fascinée par tout ce qui se passait. Par ce monde. Tu avais soif de connaissance. Tu avais envie d'en savoir plus. Tu avais envie d'agir. Et tu t'en voulais, tu t'en voulais d'avoir autant de passion pour ce monde qui a creusé le fossé entre toi et ta famille. Tu étais dégoûtée de toi-même, à la fois fascinée par ce monde qui ne connaissait pas de limites, à la fois apeurée. Et parce que tu n'as pas su comment gérer toute cette situation, tu t'es finalement enfermée dans les études, dans ta bulle.

05h32. Aujourd'hui, comme toujours, tu te lèves, sans trop de motivation. Chaque pas que tu fais, chaque minute qui s'écoule, tu ne sais pas trop ce que la vie te réserve. Le temps du dégoût est passé depuis toutes ces années, maintenant, tu te contentes d'accepter les choses, et de suivre les gens. Peut-être par égoïsme ou par orgueil, tu as choisi de poursuivre tes études en médecine magique, espérant peut-être un jour donner un peu de sens à ta vie. Et tu espères qu'un jour, tu pourras de nouveau t'endormir comme une enfant, rêver de nuages et de poussière de fée, et dans tes songes, tu leur crieras à tous : nous nous envolerons.