Louis tire sur la manche d’Astrid, une moue boudeuse sur le visage, alors que celle-ci a les yeux levés sur leur cousin, Artair. Il trouve que ses deux aînés, encore emportés dans une discussion dont il ne comprend pas la moitié des mots, devraient s’occuper un peu plus de lui, le plus jeune, au lieu de le laisser sagement s’amuser dans son coin. Parce qu’il ne s’amuse pas lorsqu’il est seul, au contraire. Il aimerait participer à leurs discussions, qu’Astrid aime lui parler autant qu’elle aime discuter avec Artair. Même s’il ne comprend pas de quoi ils parlent, il veut faire partie de la conversation, sinon il est prêt à piquer une de ces colères propres à l’enfance, un caprice pour arriver à ses fins. Louis est très doué lorsqu’il s’agit de piquer des crises, avec des hurlements à vous fendre l’âme et à vous rendre sourd, les larmes roulant sur ses joues faisant très vraies malgré la comédie qu’il a appris à jouer. On pourrait le qualifier de manipulateur, si tous les enfants n’étaient pas passés par cette découverte, apprendre qu’ils peuvent avoir ce qu’ils veulent tant qu’ils chouinent assez fort. Enfin. Cette période ne dure généralement pas longtemps, juste le temps que l’on s’aperçoive de la supercherie.

Poudlard. Louis n’apprécie pas beaucoup ce nouvel environnement. Il se sent perdu dans la masse, trop timide pour oser s’imposer, il y a trop de monde pour qu’il puisse se réfugier dans l’ombre rassurante de ses cousins et de sa sœur plus âgée. Il n’aime pas non plus être loin de Lucy trop longtemps, sa plus jeune sœur avec qui il n’a que deux années d’écart, ce qui les a rapproché plus qu’il n’aurait osé l’avouer. Il est très protecteur envers la petite, comme si le monde était trop dangereux pour elle, et en quelques sortes, il l’était. Venant de la part de cet enfant petit pour son âge, chétif, presque maigre, on pourrait en rire. Mais il était très sérieux lorsqu’il était question de ses sœurs, sûrement un peu trop. Il voulait se positionner en tant que présence rassurante et masculine, mais il s’est rapidement fait remettre à sa place lors de son adolescence, lorsqu’elles lui firent clairement comprendre qu’elles n’avaient pas besoin de sa protection. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer à veiller sur elle, mais un peu plus discrètement. Lors de son arrivée à Poudlard, Louis a bien entendu eu vent des moqueries qui s’élevaient dès qu’Astrid avait le dos tourné. Elle était trop maigre, trop faible, elle avait la peau tachetée. Lui, sa sœur, il la trouvait belle. Unique. Malade, certes, mais belle. Et les enfants, cruels comme ils sont, remarquèrent très rapidement l’affection qu’il portait à sa sœur aîné, et la façon dont il perdait le contrôle lorsqu’on se moquait trop d’elle. Ils remarquaient la façon qu’il avait de s’énerver, du haut de son petit mètre cinquante de première année. Ces situations se terminaient bien trop rapidement en bagarre, en nez ensanglanté, en un passage chez l’infirmière et une semaine de retenue. Mais Louis s’en fichait. Parce que personne ne parlait mal de sa sœur, personne. Peu importe combien de fois il devrait se prendre des raclées, il n’acceptera jamais que l’on insulte Astrid en face de lui. Il voyait bien qu’elle n’aimait pas ça, elle avait cette façon de lever les yeux au ciel lorsqu’elle apprenait les nouvelles bêtises de Louis, mais il s’en fichait. Il se contentait de renifler d’un air dédaigneux et de continuer comme il l’avait toujours fait. En cela, il est bien un Dearborn, borné comme un âne.

Poudlard fut rythmé par les saisons, les années qui passaient les unes après les autres. Au fond, elles se ressemblaient un peu toutes, une fois que toute la famille fut enfin réunie à Poudlard. Louis s’en sort bien en cours, il n’est ni un cancre ni un travailleur acharné, il préfère passer son temps à écrire. S’il n’a aucune confiance en ce qu’il écrit, du moins au début, ça ne l’empêche pas de continuer. Il remplit des dizaines de parchemins, racontant des histoires, inventant des situations. Des bonnes, et des moins bonnes, en tout cas il se passe un certain nombre de temps avant qu’il n’ose montrer ce qu’il écrit à qui que ce soit, et c’est toujours un grand moment de stress pour lui.
Sa petite routine fut néanmoins perturbée en ces vacances de Noël 1978. L’apparition d’Umbre, ainsi que des autres  Patronus de la famille. D’abord perplexe, Louis s’est tout de suite bien entendu avec le petit faon. Il n’a fallu que quelques jours pour qu’il s’accommode parfaitement à sa présence et n’a depuis jamais cessé de le considérer comme son égal, comme une extension de son corps, et il a toujours eu du mal à comprendre ceux qui sont agacés par la présence de leur Patronus, ou qui souhaitent s’en débarrasser. Lui, il n’a jamais  eu ce problème-là.
L’année passe. Les attaques de plus en plus fréquentes des mangemorts contre Poudlard inquiètent énormément Louis, qui se trouve être encore plus protecteurs envers sa famille, et surtout Lucy, bien que le comportement de son grand frère l’agace. Mais il refuse d’être trop en retrait, surtout après l’attaque à Belize. Sa nature anxieuse et angoissée n’aide pas, bien au contraire.

Et puis, il y a la rentrée de 1980. Si Louis n’est pas vraiment rassuré de retourner au château, lieu que les mages noirs semblent s’appliquer à essayer de réduire en pièces, il n’aurait jamais pu imaginer que l’horreur arriverait aussi vite. Il ne se souvient pas de grand-chose du trajet. Lorsque les psychomages ont essayé  de le faire parler sur l’accident, pour  qu’il puisse essayer de se soulager un peu du poids de ses souvenirs, il s’est rendu compte qu’il était incapable d’en parler. Incapable de se rappeler ce qu’il s’est passé. Il se souvient juste d’être monté dans le Poudlard Express et de s’être assis dans une des cabines avec son groupe d’amis. Il se souvient du visage souriant de Lucy, quelques heures avant que les fonctions vitales de son corps ne s’arrêtent toutes. C’est la dernière fois qu’il l’a vu vivante, juste avant de monter dans ce foutu train. Mais du trajet, il n’en reste aucun souvenir. Les prochains souvenirs dont il peut parler se passent quelques jours plus tard, alors que tout le monde s’inquiète  de son état. Ses yeux sont toujours fixés dans le vide, il mange à peine, ne dit pas un mot. Choc. On le diagnostique avec une amnésie dissociative. Lucy n’est plus. Il a l’impression qu’une partie de lui est morte avec elle.
1980 marque aussi sa réorientation, dans le nouveau cursus de communication magique, section journalisme. Inutile de dire que les premières semaines de cours ont été catastrophiques. Il n’allait quasiment pas en cours, passait ses journées à l’infirmerie, ses nuits étaient agitées de cauchemars et c’est seulement dans ses rêves qu’il revoyait des flashs de l’accident. Il lui a fallu du temps avant que tout ne revienne à la normale, mais tous les résidents de Poudlard ayant été plus ou moins touchés par ce qui s’est passé, il n’était pas le seul dans ce cas particulier et les professeurs faisaient preuve de clémence envers ceux comme Louis. Mais le pauvre n’était pas au bout de ses peines. Alors qu’il était en pleine crise, en train de se prendre la tête avec chacun des membres de sa famille ou presque, de reporter la faute de la mort de Lucy uniquement sur le comportement d’Alexis, et sans s’en rendre compte sur Alison, la sœur de celle-ci, il fut l’un des premiers à développer les symptômes de ce qui serait plus tard connu comme la peste des Patronus. Il en profite pour se renfermer un peu plus sur lui-même, s’enfermant de nouveau dans un silence, dans une solitude dont seul Umbre pouvait le sortir alors qu’il commençait lui aussi à perdre son énergie. Lorsque quelqu’un essaye de lui faire comprendre qu’il devrait pardonner à Alexis, il arrêtait de répondre, et restait silencieux jusqu'à ce que le sujet change. Il s’en voulait de réagir comme ça, et l’unité de leur famille qu’il s’appliquait lui-même à briser lui manquait, mais il n’avait pas envie de faire comme si rien n’avait changé, comme si tout était comme avant. Rien n’était comme avant, et maintenant que Lucy n’était plus là, il ne supportait pas de voir ses cousins faire comme si de rien n’était. Alors il est rentré dans une sorte de cercle vicieux autodestructeur, s’isolant de plus en plus, devenant de plus en plus insupportable. Louis était déjà  psychologiquement fragile comme garçon, avec son trouble anxieux, mais la guerre et la perte de sa sœur l’a totalement déséquilibré. Il a encore du mal à s’en remettre deux ans et demi après. Les psychomages qu’il voit régulièrement le soupçonnent de s’interdire d’aller mieux. Qu’il ressentirait une certaine culpabilité inconsciente à sourire, à continuer de vivre, alors que sa sœur n’était plus.
Lorsque Umbre disparu momentanément à cause de la peste, il était inutile d’essayer de tirer un seul mot de Louis. Sans son Patronus, il se sentait vide, inutile. Et lorsque celui-ci réapparut enfin, Louis n’arrivait pas à accepter son changement, qui pourtant ne suivait que celui qui s’était opéré en lui. Il lui fallu du temps, beaucoup de temps, mais il se réconcilia finalement avec son Patronus, et en même temps avec lui-même.
Il resta chez lui l’été d’après, et l’année scolaire 1981-82, il la passa à essayer de renouer des liens avec sa sœur, et avec ses cousins, tout en s’appliquant a toujours ignorer Alexis le plus possible, même si tout le monde lui disait à quel point son comportement était stupide. Les blessures de son âme n’ont pas terminé de se refermer, pas tout à fait, et il n’arrive pas à lui pardonner, comme il n’arrive pas à se pardonner lui-même. Il n’est même pas sûr d’y arriver un jour, bien que sa cousine lui manque, le lien qu’ils partageaient également. Mais il y a des choses que l’on ne s’explique pas.