Prologue : « J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. » Les paroles du médicomage se perdent dans l’immensité de la pièce. Le salon du manoir Gaunt, bien qu’impressionnant de par sa grandeur, a perdu toute sa gloire passé : des fauteuils perforés, un parquet rongé par les termites et un piano désaccordé prenant la poussière près de la fenêtre, l’ensemble de la bâtisse semble envahie par les fantômes des générations précédentes. Elizaveta Gaunt ramasse sur le sol une cigarette à moitié consumée qu’elle allume d’un geste de la baguette, son autre main est posée sur son ventre gonflé. Dans exactement 3 mois et quatorze jours, l’épouse de Corvinus donnera naissance à deux nouveaux héritiers, deux jumeaux faisant déjà la fierté de leur père, ou tout du moins c’est ce qu’elle pensait…
Le médicomage laisse une courte pause le temps de trouver la manière la plus délicate d’annoncer la nouvelle : « Voilà… Il y a eu des complications avec l’un de vos garçons. Je ne perçois plus qu’un seul battement de coeur. » Le teint cadavérique du jeune homme oscille doucement vers le rouge grenat, il semble redouter la réaction de son interlocutrice, avec un personnage aussi complexe et dérangé qu’Elizaveta l’on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Après avoir aspiré quelques bouffées de sa cigarette, elle écrase son mégot contre la table en bois, laissant une énième trace de brûlure sur le meuble en décomposition. « Qu’allez-vous faire du cadavre ? » La nonchalance de sa voix parvient à faire frissonner le médicomage inexpérimenté, ses yeux restent figés dans un état associant la peur et la surprise. Elle ne ressent à ce moment qu’un profond écoeurement, un dégout à l’idée de transporter en elle un corps sans vie. Les mains du médicomage sont tremblantes et sa voix semble étranglée : « Je ne pense pas qu’il y est de corps madame. Mon diagnostique tend à montrer que le foetus en question aurait été absorbé par le second, c’est un cas très rare. Normalement cela ne devrait laisser aucune séquelle physique ou mentale sur votre fils, mais rien n’est jamais garanti. » Le jeune homme a beau être novice, il connait bien la réputation de cette famille tapie dans l’ombre de ce manoir délabré, il sait parfaitement les dangers auxquels sont exposés les enfants issus d’un inceste.
Elizaveta plonge son regard couleur onyx dans celui d’Alekseev, fils ainé des Gaunt. La froideur émanant de ses yeux suffit à faire déconcentrer le garçon dans sa lecture. Tournant timidement les yeux vers sa génitrice, il laisse échapper un gloussement d’inquiétude en observant le sourire sadique qui se dessinait au creux de ses lèvres gercées : « Alekseev viens voir maman. » L’enfant corne la page de son roman,  le pose sur le fauteuil poussiéreux, puis s’avance vers elle. « Maman est trop fatiguée pour monter les escaliers, sois gentil et va voir papa à l’étage, dis-lui que l’un de tes deux petits-frères est mort, d’accord ? »