Assis sur la terrasse, il apprécie le calme nocturne. Aucun son, aucun parasite. Comme si le temps s’arrêtait… pour la deuxième fois.

« Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas transplaner ? » Artémis s’agite à l’arrière. Il donne des coups de pieds dans le siège passager du devant, il râle à chaque minute et le fait bruyamment comprendre. « Parce que nous sommes chez les moldus et nous nous devons de respecter leurs règles, je te l’ai déjà expliqué ! Alors maintenant arrête de faire ton enfant gâté et reste tranquille. » Mrs Dragonneau lui lance un regard autoritaire et le rouquin se calme. Au milieu, Tina, la cadette s’est endormie sur l’épaule de Archibald. Le jeune homme regarde par la fenêtre le paysage passer. Il se rappelle que lorsqu’il était plus jeune, son premier voyage en voiture moldue lui avait donné des nausées. Aujourd’hui il trouve cela juste ennuyeux et long. Tout comme son petit frère, il voudrait taper des pieds et des mains pour arriver plus rapidement mais ça ne servirait à rien. Il y a encore beaucoup de route et sa mère n’acceptera jamais d’utiliser un moyen magique pour arriver chez les grands-parents. Mr Dragonneau, quant à lui, ne cesse de se disputer avec sa femme avant chaque départ pour tenter de la convaincre qu’avec un port-au-loin ou autre transport de sorciers, ils iraient beaucoup plus vite et qu’ils pourraient plus de temps en famille. Mais elle n’écoute jamais, elle a toujours raison. Artémis sort un crayon de sa boite de coloriage et s'avance vers sa sœur lorsque Mrs Dragonneau le reprend, réveillant la petite de sa torpeur.
Une dispute éclate dans la voiture.
Le père est perturbé.
Il ne voit le cerf qu’au dernier moment.
Les freins crissent.
Le temps s’arrête pour la première fois.
Il avait dix ans.

La porte de la maison s’ouvre, Archi se retourne, alerté par le bruit. Tina s’avance vers lui, deux tasses de chocolats chauds à la main. Elle s’assied à ses côtés et lui en propose une. Il l’accepte avec un sourire amical. Elle a tellement grandi, elle est devenue si belle et lui rappelle tellement sa mère que ça lui fait parfois un pincement au cœur. « A moi aussi ils me manquent. »

Il se rappelle s’être réveillé, entouré de dizaines d’inconnus. Il avait du mal à aligner une idée après l’autre, de comprendre ce qui lui arrivait, où il était ou encore même de parler. Son cou était bloqué par une sorte de collier qui le serrait et l’empêcher de faire le moindre mouvement et il trouvait cela désagréable. Il arrivait cependant à tourner le regard, il voyait le sang qui salissait la pureté de la neige, il voyait les sacs noirs de la taille d’un être humain, il voyait sa sœur inconsciente, il voyait son père endormi sur un brancard. Il a alors ouvert la bouche, tentant d’appeler sa mère ou Artémis, chercher à savoir où ils étaient. Mais on lui a dit de rester calme, de ne pas faire de bruit. Le regard désolé des gens qui l’entourait l’inquiétait de plus en plus et au fur et à mesure il reprenait ses esprits. Il se rappelait le choc, la terreur et ensuite le noir. Son esprit lui souffla une idée, son cœur accéléra. Non, personne n’était mort, c’était impossible, ça arrivait aux autres mais pas à lui ! On lui demandait de se calmer mais rien à faire. Il criait qu’il fallait les emmener à Sainte Mangouste, que là-bas on pourrait les sauver mais on l’ignorait. Jusqu’à ce qu’un picotement se fasse sentir.
Les muscles se relâchent.
Les yeux se referment.
Le noir reprend son emprise sur son esprit.

Aujourd’hui encore il pense que s’ils avaient été à Sainte Mangouste, son père serait en vie. Et aujourd’hui encore il maudit les moldus et leurs inventions. Il les trouve faibles. Cependant il n’irait pas jusqu’à rallier la cause de celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.  Non, il reste fier de ses origines, fier de sa famille et aimant de ses grands-parents moldus qui ont su les accueillir, sa sœur et lui, lorsqu’ils ne leur restaient plus rien au monde. « Tu ne vas pas te coucher ? » La voix de Tina le sort de sa torpeur mélancolique. Il la fixe, les grands yeux ébahis comme si elle venait de l’insulter. « Je vais rester encore un peu. » Elle lui sourie, de ce sourire si désolé et triste qui lui correspond si bien. Elle passe son bras autour de son cou et dépose un baiser sur sa joue. « Ne tarde pas trop, Grand-Ma veut que nous aillions à la messe demain. » Il acquiesce et attend que la demoiselle rentre pour enfouir son visage dans ses mains.

Dans son lit, il regardait la neige tomber par la fenêtre. Les larmes ne coulaient plus. Il semblait vide et sans vie. La joie l’avait abandonné. Il était las de se battre. La porte s’était ouverte et ses grands-parents étaient entrés, un léger sourire aux lèvres. Il lisait sur leur visage toute la tristesse du monde mais il ne relevait pas plus. Il ne parlait plus. Il n’en avait plus envie. Sa grand-mère tentait de faire la conversation pendant que son grand-père restait de marbre. D’habitude il les aurait laissés faire et aurait sagement attendu qu’ils partent mais pas aujourd’hui. « Partez… » Pas un seul regard ne leur était apporté.
La porte se ferme.
Le silence se fait.
La neige tombe.
C’est noël.

Quelque chose de froid tombe sur sa nuque. Il frissonne et relève la tête. Les premiers flocons tombent sur le monde. Bientôt le paysage ne sera plus que blanc. Les enfants seront euphorique et iront s’amuser dehors. Neige, synonyme de bonheur pour tant de personne mais pour Archibald ce n’est que l’affreux souvenir du premier jour du reste de sa vie.  Il se lève, fait tomber les quelques flocons qui sont venus s’immiscer entre ses mèches et rentre dans la bâtisse. Toujours la même mais pourtant si froide. L’ambiance n’a jamais été la même depuis ce jour. Depuis que les grands-parents moldus sont venus y habiter la magie s’est faite moins présente, plus restreinte jusqu’à ce que Archibald atteigne les dix-sept ans et puisse s’en servir en dehors de Poudlard. Et pourtant il n’en a jamais réellement profité. Un dernier coup d’œil par la fenêtre. Un rideau blanc la recouvre.
L’hiver est là.
Noël est là.
Depuis onze année déjà.


Encore endormi, il sent une pression se faire sur sa poitrine. Ses yeux s’ouvrent, se plissent, attaqués par la lumière de la matinée. Devant lui, Cassiopée le fixe de ses yeux ronds et brillants. Il lui sourit et passe sa main sur sa tête.

C’était Noël. Encore. La famille avait tenté de célébrer l’événement avec toute la fausse joie qu’ils pouvaient créer mais pas Archibald. Il ne savait pas mentir. Alors il restait dans son coin. Il les regardait s’offrir des cadeaux, manger des mets délicieux tandis que lui ne pouvait même pas en prendre une bouché. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus du tout supporter l’euphorie général et prenne congé. Enfermé dans sa chambre, il s’assit sur son lit, toutes lumières éteintes. Il attrapa la photo qui trainait sur sa table de nuit et l’éclaira d’un Lumos. Il pouvait rester ainsi pendant longtemps. Les observer, les admirer. Même lui, il paraissait si différent. C’était un tout autre enfant. Il lui semblait qu’on lui avait volé sa vie, son enfance et ça ne cessait de lui laisser un gout amer dans la bouche. Soudain, une boule de lumière s’est allumée devant lui.
De cette lumière est sortie une loutre.
De cette lumière est sortie son salut.
De cette lumière est sortie l’espoir.

« Arrête de bouder, ça fait plaisir aux grands-parents d’aller à l’église alors lève toi ! » Archibald marmonne encore deux trois protestations mais son patronus reste bien trop persévérante.  Elle arrive à le sortir du lit et peut-être même à le faire sourire en cette période sombre. Comme toujours elle est là, la lumière de sa vie. Il n’a jamais su comment cette petite boule de poils avait réussi à lui redonner gout à la vie. Peut-être sa bouille ou peut-être tout simplement ses arguments.

Elle était pour lui une étoile si bien que le premier nom qui lui était venu était Cassiopée. Elle avait séché ses larmes et réchauffé son cœur. Elle était sa moitié et sa conscience. Il n’avait pas espéré un seul instant pouvoir se séparer d’elle, tout comme il n’avait jamais espéré se séparer de ses parents ou de son frère.



Debout devant la messe, il fait mine d’écouter alors que ses pensées sont tournées vers d’autres sujets bien plus noirs. Il repense à l’année d’avant. Il repense à l’année d’aujourd’hui. Son cœur se serre dans sa poitrine quand il repense à la crainte qu’il a eu de perdre Cassiopée, à la douleur de voir sa sœur atteinte de la peste des patronus. Il la revoit derrière une vitre, dans la zone de quarantaine. Il se rappelle la douleur sur son visage qui se voulait rassurante mais il n’avait pas pu rester serein. Alors il avait tout simplement espéré. Ne pas la perdre, ne plus la voir ainsi. Les Shacklebolt avaient exaucé ses vœux. Ils avaient été le nouvel espoir face à cette misère que personne ne pouvait contrôler. Alors il les avait soutenus de la seule manière qu’il le pouvait : versant des fonds. L’argent ne manquait pas vraiment chez les Dragonneau si bien qu’il s’était permis quelques dons. Il voulait les remercier d’avoir sauvé Tina, la prunelle de ses yeux.
Puis il y avait eu la mort.
Encore et toujours.
Elle avait semé le doute chez beaucoup. Elle avait effrayé. Elle avait détruit beaucoup d’espoirs. Archibald, quant à lui, restait neutre face à toutes ces informations. Il s’était laissé marqué et avait obligé Tina à se marquer pour éviter tout problème avec les autorités. Mais il restait sur ses gardes. Il observait les évènements d’un œil avisé, se préparant à tout moment à toutes éventualités.