Je suis né dans la magie, dans la meilleure famille qui puisse être. Que rêver de mieux ? Une place immédiate en haut de l'échelle sorcière grâce à mon nom et à mes origines. Enfin ça, c'est ce que je croyais jusqu'à aujourd'hui. Depuis ma naissance à St-Mangouste, mon père et ma mère m'inculquent des valeurs dans lesquelles j'ai grandi sans trop me poser de questions. Les sang-purs sont au-dessus du reste de la population sorcière, les meilleurs. Les plus puissants ? Nous sommes les seuls à mériter vraiment ce don unique qu'est la magie. Depuis tout petit, mon père me répétait sans cesse, avec l'appui de ma mère Lestrange tout naturellement, que les sorciers dont les parents étaient des moldus ne devraient tout simplement pas faire partie de notre monde. Ses paroles raisonnent encore clairement dans ma tête : « Nectair, les né-moldus sont des moins que rien ! Ils ne sont même pas digne d'étudier à Poudlard. Ne les fréquentes jamais. Éloigne-toi le plus possible d'eux, c'est le mieux à faire. » En tant que bon Black, je l'ai toujours écouté et ne me suis jamais approché d'un sang-de-bourbe. Ils me dégoûtaient. Les sang-mêlé étaient tout bonnement pareils. Peut-être même pire. « Eux, ce ne sont que des traîtres à leur sang ! Gâcher ainsi inutilement toute une lignée de sorciers ! Ils devraient être condamnés à Azkaban pour leurs actes. Ne me déçois jamais, Nec. Je te fais confiance. » Devant son regard insistant, je relevai la tête et croisai son regard sans détourner les yeux. Je m'apprêtai à faire la promesse de ma vie, celle que toute ma famille avait fait avant moi. « Oui, père. »


Savoir le grand secret de l'univers et y vivre est une chose. Ne pas pouvoir l'exercer en est une autre. Depuis quelques temps, je voyais ma relation avec mon père devenir de plus en plus froide et distante. Il ne pipait aucun mot pendant le repas, ou encore se contentait d'un sourire lamentable quand je lui montrais un autre de mes dessins que ma mère avait rendus magique. Là était le problème et je le savais. À neuf ans, je n'avais toujours pas montré un quelconque signe de magie chez moi. Je devais constamment demander à un de mes parents de faire bouger mes dessins comme les photos de la gazette du sorcier. J'étais dégoûté de moi-même pendant longtemps et je me réveillais dans la peur chaque matin. Si par le plus grand des malheurs de Merlin le petit Olympias Nectair Black s'avérait être un cracmol, Louis Black ne pourrait le garder. La honte de la famille, rien de plus. Il avait même écouté les cris de ses parents à travers la porte de la cuisine et s'était vite réfugié dans sa chambre en pleurs. Il voulait aller à Poudlard, jouer au Quidditch et apprendre des sorts comme ses cousins et cousines. Il était effrayé, voilà le mot, par le fait que sa famille puisse un jour le renier. Il le voyait clairement, même sa mère d'habitude toujours si attentionnée à son égard, avait fini par prendre du recul. Heureusement qu'il était enfant unique. Voir un quelconque frère ou soeur devenir un grand sorcier serait encore plus insupportable. Il avait fini par devenir presque un inconnu.
Quelques mois plus tard, alors qu'il se renfermait de plus en plus sur lui-même, il avait fini par accomplir cet acte tant attendu. Minuscule certes, mais cela a changé tellement de choses. Un soir, dans un nouveau silence pesant qui était devenu habituel autour de la table, je fixais avec intensité la fourchette à ma droite. Avec envie, avec regret. J'avais fini par abandonner mon bol de soupe, me concentrant uniquement sur ce bout de fer pourtant si particulier. Et elle se mit à tourner sur elle-même toujours posée sur la table. D'abord lentement, puis légèrement plus vite. Elle s'était élevée d'un ou deux centimètres quand je tournai des yeux brillants vers mes deux parents assis en face de moi. Mon père m'enlaça dans ses bras, la première fois depuis longtemps. « Tu m'as fais tellement peur, Nec... » Mais la peur de ma famille que je ressentais avant cet acte a laissé une marque profonde.


Mes relations avec ma famille se sont rapidement reconstruites à partir du moment de la petite fourchette. J'avais très vite retrouvé ma place. Mon père n'attendit pas plus longtemps pour me faire monter sur un balai. Juste le prochain printemps. Je ne comptais même plus le nombre de match auquel j'avais assisté. Après tout le Quidditch est la plus belle chose qui existe sur terre. À l'arrière de la maison, dans le jardin, deux balais étaient posés par terre. Excité et incontrôlable, je saisis le plus beau et laissai l'autre à mon père sous ses protestations. Je le vis s'élever dans les airs tel un phénix avec envie et cramponnait moi aussi le manche en bois. J'hésitai cependant quelques instants. Habituellement je ne manque pas de courage et d'audace, mais je n'étais vraiment pas sûr de moi sur ce coup. Et si je tombais ? Je restais en position, les pieds toujours posés sur le sol. Mon père s'amusait à tourner autour de la maison. Il m'avait raconté que c'était un excellent joueur de Quidditch à Serpentard. J'inspirai profondément et, tendu, montait moi aussi d'un petit mètre. Je tanguais sur mon balai, mal à l'aise, les bras tendus et la moue crispée. Je devais vraiment avoir une belle tête pour que mon père éclate de rire, lui toujours aussi sérieux. Il revint à ma hauteur et me sourit, une chose qui m'avait tellement manquée. « Nec ! Détends-toi bon sang ! Je suis sûr que tu as du talent au fond de toi, mon fils. On va y aller doucement. Tu me suis ? » Il fit demi-tour et avança lentement, vérifiant de temps à autre que je le suivais bien à la trace. Après ce qui me sembla être une éternité de stress intense, je retrouvai enfin ma terre bien aimée. Ma mère, qui semblait avoir assisté à mes dernières minutes lamentables de vol, se rua vers moi et me serra fort contre elle. « Je suis tellement fière de toi ! » Oh oui maman, tu peux être fière de moi. Je suis un Black, un sang-pur. Supérieur aux autres. Je ne te décevrai jamais.


1978. La pire année de ma vie, gravée à jamais dans ma mémoire. L'année qui a sûrement fait de moi une coquille vide, celle qui m'a changée à tout jamais. J'avais seize ans quand ça s'est produit et je n'ai rien compris. C'est venu rapide comme l'éclair, ça m'a foudroyé et c'est reparti. En quelques secondes, mon monde n'était plus le même. À seize ans, c'est l'âge infernal. On sort des bords que nous instaure notre famille, on se rebelle. On essaye de devenir quelqu'un, on pense à l'avenir. Moi aussi, au début de cette année, j'étais comme ça. Je prenais mes parents de haut, avec quand même une touche de respect et de bonnes manières comme ils me les avaient apprises plus jeune. Mais quelques mois plus tard, je regrettais. Et amèrement. Bordel papa, pourquoi un coup si bas ? Pendant les premiers jours, j'en ai voulu à tout le monde. Sans exception, même ma mère. Et une nouvelle fois, je regrettais ma réaction. Je m'étais enfermé dans ma chambre, me réfugiant des regards pesants et cherchant un peu de calme. Je n'ai pas versé une seule larme. Quel garçon sans coeur je fais. Il fallait que je voie la réalité en face : il ne reviendrait pas. Et ça n'aurait pas été mes pleurs, rajoutés à ceux incessant de ma mère qui allaient changer quelque chose. Je m'étais contenté de hurler sur mon dernier parent quand celle-ci m'adressait la parole, bien souvent pour me dire de manger. Mais j'ai compris, un peu trop tard, que ça ne menait à rien. S'énerver ne menait à rien. Je devais être fort pour elle, parce que si moi aussi je croulais sous le décès de mon père, ce serait fini. J'ai bien faillit ne pas aller à l'enterrement. J'étais prêt pourtant, habillé du noir si obscur qui lui plaisait. Quand je suis descendu prendre un petit-déjeuné à la cuisine, la vue des yeux rouges de ma mère m'a fait changer d'avis. Alors j'ai été. J'ai fait la bise à toute la famille, serrer les mains, mais toujours aucune larme. J'ai écouté les quelques discours distraitement et à la fin, je me suis penché au-dessus de sa tombe et j'ai prononcé les seuls mots dont j'étais capable de dire. « Repose en paix, père. » Cette année, les vacances de Pâques à la maison furent un vrai calvaire. Encore aujourd'hui, je ne réalise pas. Je ne veux pas. C'était mon modèle et il m'a abandonné.


J'étais déjà impulsif, m'énervais la majorité du temps, mais le décès de mon père a fais qu'aggraver la chose. Poudlard a été mon refuge. Voir des gens, des amis, même si j'avais à peine mentionner le tragique accident des vacances, m'avait aidé. Quiconque osait engager le sujet se faisait rapidement remettre à sa place. Je souriais, mais sans vraiment sourire. Je traînais toujours avec mes amis, sans vraiment traîner avec eux. Il me fallait du temps, juste du temps. Pas de soutiens. Ils le comprirent très vite vu qu'au bout de deux semaines personne n'en reparlait plus. Mais j'avais besoin d'en parler, je le savais, ou ça allait exploser sur un innocent. Et c'est ce qui arriva, sur un pauvre né-moldu. Quelle ironie ! Je sortais de la salle commune pour me rendre dans le parc. Il faisait beau et j'ai pensé que prendre un peu l'air me ferait du bien. Pauvre petit idiot fut-il de se mettre en travers de mon chemin alors que j'étais déjà sur les nerfs. Je ne me souviens même plus comment nous en sommes arrivés là. Juste de la répercussion que ça m'a fait.« Vous, vous vous dites sang-purs mais vous êtes pire que nous ! Vous faites vos fiers, les meilleurs ! Mais au fond vous savez que vous êtes encore plus médiocres! Regarde-toi, ton père n'a eu que ce qu'il méritait ! » Comment osait-il ? Devant un Black ! Je l'ai dévisagé de haut en bas et je me suis forcé à rire, même si je n'étais pas d'humeur et qu'il avait touché un point sensible. « Espèce de sale sang-de-bourbe ! Quel culot, tu vas vite le regretter. » J'ai sorti ma baguette et l'ai pointée sur lui. Mais il ne se rabaissa pas pour autant. « Qu'est-ce que je disais ? Toujours à se cacher derrière leur baguette ! Ferme-la Black, on s'en sert mieux que toi au final. » J'ai servi mon sourire narquois à toute sa troupe, de bon coeur cette fois. « Tu préfères te battre à la façon moldue ? Sans problème. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Il s'est pris mon poing en pleine figure et s'est échappé à l'infirmerie le nez saignant. Mais je dois avouer que ce petit accro m'a fait une drôle de répercussion. Et s'il avait raison ? Si tout cela n'était que du théâtre, que je penchais du mauvais côté ? De toute façon, il n'aurait jamais dû me chercher.


Comme chaque année, je suis retourné à la maison pour Noël. J'ai aidé ma mère, comme autrefois, à installer le sapin dans le coin du salon. Une tradition que j'apprécie encore plus maintenant que papa est parti. Je ne m'attendais pas à une quelconque visite de la famille avant le réveillon. Je descendais de ma chambre pour poser mes cadeaux sous l'arbre quand j'entendis des bribes de discussions provenant de la cuisine. J'écoute toujours aux portes, c'est plus fort que moi. J'ai de suite reconnu la voix de mon oncle, mêlée à celle de ma mère. « Il doit suivre son père et prendre sa place. C'est son devoir de Black ! » Décidément, on parlait encore de moi. Je me rapprochai un peu plus. Peut-être un peu trop. Et, poussé par la curiosité, un peu trop sans me soucier du bruit de mes pas. « Nectair ? » Pris sur le fait, j'entre, un sourire aux lèvres et prend mon oncle dans mes bras. « Je ne m'attendais pas à te voir ! Comment vas-tu ? » Mais il m'ignora presque, retournant à son sujet de discussion. « Parfait, tu tombes bien. Tu veux que ton père soit fier de toi, n'ai-ce pas Nec ? Un jour ou l'autre, tu sais que tu devras prendre ta place. » J'hochai la tête. J'avais de suite compris ce qu'il attendait de moi. Ce qu'il veut que je fasse dès ma sortie de Poudlard, comme le reste de la famille. « Bien sûr. Je livrerai corps et âme à vous-savez-qui. » Mais je n'en étais plus si certain, depuis mon accro avec le lamentable sang-de-bourbe. Et de toute façon, ma famille me donnait toujours les mêmes frissons lorsqu'il s'agissait d'être ou de ne pas être, comme lors de mes neuf ans. Pour le moment, une chose était inévitable : j'allais suivre le mouvement sans révéler quoi que ce soit à quiconque. Puis, tous ces moldus et ces sang-mêlés traîtres à leur sang me dégoûtaient toujours autant.