Il ne parlait ni français, ni dioula, ni turka. Il ne connaissait pas les us et coutumes du pays de ses ancêtres, pas plus que le souffle de l’harmattan qui porte le sable à travers les baobabs et les maisons de ciment. Il ne connaissait rien du bruit des balafons ou des ceintures de coris que portaient les trembleuses. Il n’avait jamais croqué une mangue fraichement tombée sur le chemin de terre battue ou d’arachides vendues par une vieille dame qui traine sa boutique à même le dessus de sa tête sans avoir besoin de tenir le récipient avec ses mains.  Il n’avait que le nom et les histoires de son grand-père pour lui rappeler qu’il appartenait aussi a un petit pays d’Afrique de l’Ouest. Le pays de l’homme intègre, le Burkina Faso. Mais malgré toute l’ignorance qu’il avait de la terre qui avait vu naître ses parents, il avait des valeurs qui leur appartenaient. D’ailleurs il était responsable des plus jeunes. Qui veut de la responsabilité des plus jeunes ? Kaleb n’en voulait pas, il n’en avait jamais voulu. Il s’était même déjà surpris à souhaiter disparaitre, retourner sur les terres de ses ancêtres, mais la vie en avait décidé autrement. Il avait huit ans la première fois que ses pouvoirs avaient fait surface, d’abord on avait cru que c’était le cadet, Issa, qui avait des pouvoirs. Ils étaient tous trois en train de jouer sur le bord d’une rivière quand le plus jeune avait glissé sur le bord du cran et était tombé. Kaleb s’était alors précipité pour lui attraper la main et l’avait maintenu dans le vide pendant 3 minutes qui lui avait paru des heures. Puis quand leur main avait fini par céder à l’humidité qui les recouvrait, Issa avait fait une chute vers l’eau. Impuissants, les deux grands frères avaient regardé le plus jeune tomber en sachant que celui-ci ne savait pas nager. Étrangement, il avait arrêté sa course à la surface de l’eau. Comme si celle-ci avait été une surface solide.

«C’est Jésus ! » avait crié à la blague Rachid.
«Arrête de dire des âneries et dépêche-toi de descendre qu’on le récupère avant qu’il n’arrive je ne sais quoi… »  

Les trois frères avaient eu la raclée du siècle pour avoir inventé pareille fausseté et n’en avait jamais reparlé. La tête que leurs parents avaient faite lorsque 3 ans plus tard, Kaleb recevait la visite d'un sorcier pour leur expliquer qu'ils avaient un sorcier dans la famille.

M.Sombie y était allé au chemin de traverse d’abord tout seul, puis une seconde fois avec son fils. Après les choses ne furent plus jamais pareil avec sa famille. Il n’y avait que son grand-père qui continuait à le traiter comme avant. Les autres semblaient le craindre. Comme si les histoires de sorcier que leur racontait leur grand-père plus jeune avaient marqué l’esprit de sa famille de sorte qu’ils avaient peur de se voir lancer une malédiction à la moindre contradiction. Kaleb ne s’en retrouva que plus isolé encore qu’avant son départ.

Poudlard était devenu sa maison. Il y participait activement, prenant le rôle d’animateur pour les matchs de Quidditch pendant quelques années. Il participa également aux diverses fêtes organisées par l’école. Son groupe d’amis devint sa famille et petit à petit, il intégra le monde des sorciers comme si il en avait fait parti depuis la naissance. Ce monde était maintenant le sien.

Puis divers évènements vinrent chambouler son univers. L’ascension des pro-sang-purs lui faisait froid dans le dos. Il avait tant entendu parler des histoires avec les toubabous (hommes  blancs esclavagistes) qui enlevaient les femmes et les enfants de leur village pour en faire des esclaves, car selon eux, ils étaient inférieurs, comparable au bétail. Heureusement cet époque était révolue, mais voilà que dans le monde des sorciers, certains se voyaient bien au-delà des autres. L’histoire chez les moldus avait pourtant prouvé à plusieurs reprises que l’impression de supériorité coutait cher en vies humaines. Ces gens lui prouvaient or de tout doute, que sorciers ou moldus, il y avait certaines valeurs qui étaient fortement discutables.

Décembre 1979 – Poudlard – Kaleb, 22 ans. :
Il ne pouvait pas croire que son grand-père était parti sans crier garde. Il n’avait même pas eu le temps de lui dire adieu. Peut-être aurait-il dû le faire en septembre ? Mais comment aurait-il pu savoir que ce serait la dernière fois. Il savait pertinemment que son grand-père n’était pas éternel, mais il croyait à tout le moins qu’il lui restait encore quelques belles années devant lui. Qu’il serait là lorsqu’il recevrait son diplôme de médicomagie. Visiblement il n’en serait rien. Ses parents n’avaient pas l’intention de venir, c’était un monde trop étrange, qu’ils disaient. Cette année ils ne l’obligeraient pas à passer le temps des fêtes avec eux, mais il était heureux que ceux-ci l’aient obligé toutes ses années avant, car s’ils ne l’avaient pas fait, il aurait regretté celle-ci parce qu’il aurait été trop tard.  

Il fit ce qu'il savait pour oublier la douleur, engouffrer ses émotions dans le travail et passa tout son congé la tête dans ses travaux, se donnant corps et âme.  Il était à la serre des mandragores quand Niké apparut. Elle fut immédiatement comme un baume sur sa plaie. Il ne croyait pas en la réincarnation, puis de toute manière elle était une partie de lui, mais il aimait bien se laisser croire qu’elle était aussi une partie de son grand-père disparu.

Septembre 1980 – Poudlard Express – Kaleb, 23 ans.:
L’été avait été difficile. Sa famille n’arrivait pas à se faire à l’idée qu’un animal accompagne Kaleb en permanence. Une petite cousine avait tenté de prendre Niké dans ses bras lorsqu’elle l’avait aperçu. Niké, elle et Kaleb avaient eu une sensation si désagréable que la gamine avait pris ses jambes à son cou et avait refusé de remettre les pieds dans la maison de celui-ci. Au moins elle ne lui retoucherait plus jamais, c’était certain.

Il était déjà censé être à pré-au-lard puisqu’il travaillait à la vieille brasserie à temps partiel, mais à force de supplication, il avait réussi à convaincre le gérant de lui laisser quelques semaines de vacances de plus afin qu’il puisse remplir les demandes qu’avait laissées son grand-père dans son testament. De plus, un ami de la famille avait découvert que sa fille née moldue était également une sorcière et Kaleb s’était porté volontaire pour lui tenir compagnie pour son premier voyage vers Poudlard. C’était comme cela qu’il s’était retrouvé à bord du Poudlard Express alors qu’il avait son permis de transplanage et qu’il aurait pu aller directement à Pré-au-Lard.

Il était seul avec elle dans la cabine lorsque le train avait quitté les rails faisant nombre de blessés et de morts. Trop de morts, dont la petite Anya que Kaleb avait vu naitre et grandir au fil des années. Le parchemin était tout gondolé tellement Kaleb avait pleuré en écrivant celui-ci à ses propres parents. Il ne pouvait pas l’envoyer aux parents d’Anya. Il ne pouvait pas leur expliquer comment lui, qui étudiant en médicomagie et qui était sorcier, n’avait pas pu sauver la jeune fille. Il revoyait encore son corps ensanglanté entre les débris et l’écho de son propre cri qui hurle au secours à travers les autres étudiants en panique. Pourtant ce drame n’était que le début.  

1981 – Poudlard – Kaleb, 24 ans.:  
Quand la peste avait commencé à prendre une ampleur que le ministère ne contrôlait plus, Kaleb et Niké étaient déjà atteints. Ils furent placés en quarantaine avec les autres. Malgré la maladie, Kaleb essayait tant bien que mal de dédramatiser et de «garder les troupes» dans le positif, chantant à qui voulait bien l’écouter que le remède serait trouvé d’ici peu et qu’il n’y avait pas d’inquiétude à se faire, même si lui-même n’osait pas admettre qu’il n’y croyait plus.
Puis l’état de plusieurs se dégrada de façon spectaculaire. Certains perdirent même leur patronus. Le jeune homme se laissa gagner petit à petit par la peur et la maladie. Il devint lui-même dans un état lamentable ayant de la difficulté à se mouvoir ne serait-ce que pour aller aux toilettes. Il y avait des années que Kaleb ne s’était pas agenouillé pour prier, mais cette nuit-là, il l’a passa au chevet de Niké qui respirait à peine. Le lendemain matin, on leur annonça qu’on croyait avoir trouvé un remède. Il se doutait bien que ses prières n’avaient pas dû changer grand-chose, mais ça lui avait fait du bien de se rapprocher autant de ce qu’il avait été avant d’être un sorcier, avant de mariner dans ce monde où la guerre allait bientôt s’envenimer.

1982 – Pré-au-lard– Kaleb 25 ans. :
Il s’était senti impuissant tellement de fois durant les trois dernières années qu’il lui paraissait évident qu’il n’était pas à sa place. Il ne savait pas encore où il devait se situer, mais elle ce n’était définitivement pas en médicomagie. Selon lui, les médicomages devaient avoir une confiance à tout casser et la sienne s’effritait à vue d’œil. Il était retourné à Londres le temps de faire ses bagages et avait pris un petit appartement à Pré-au-lard. Son poste à temps partiel en était maintenant un à temps plein et il ne remettrait plus les pieds à Poudlard. C’était terminé. Les études étaient maintenant chose du passé. Enfin, jusqu’à ce qu’il sache ce qu’il voulait faire. Puis être serveur n’était pas si mal.  

Encore une fois le monde changea. Il y eu des décrets, couvre-feu, examen obligatoire. Puis des disparitions. Les examens médicaux étaient pour la peste qu’on disait. Kaleb avait si peur que cette saleté revienne qu’il ne posa pas de question et se présenta sans hésiter aux examens. Puis dans la salle d’attente, il se mit à réfléchir. On marquait les gens. Comme du bétail. Il inventa une envie pressante puis se volatilisa. Il n’était pas question qu’on le marque comme du bétail. Il n’avait qu’un sac avec des livres et un chandail à capuchon. Ce n’était pas suffisant, mais il se débrouillerait. Il y en avait certainement d’autres. Il devait en avoir d’autres, il ne pouvait être le seul.  À force d’errer ici et là, il finit par trouver une petite communauté à laquelle il se rattacha. Il n’avait jamais voulu se prononcer sur les événements que certains soupçonnaient d’être une guerre en préparation, mais peut importe ce que c’était réellement, il ne faisait plus confiance au ministère.

1983- Village des fugitifs - Kaleb, 24 ans bientôt 25.

Le temps et les derniers évènements lui avaient prouvé qu’il avait eu partiellement tort. La médicomagie était bel et bien pour lui, mais pas la branche qu’il avait choisi. Le village était plein de gens malade, malade dans leur tête. Blessé par la guerre et les attrocité, Kaleb regrettait de n’avoir pas davantage poussé ses études en psychomagie.  C’est là qu’il aurait dû être. Mais il n’était pas trop tard. Tout ça se réglerait, il retournerait à Poudlard et changerait de branche. L’avantage de cette guerre c’était qu’il avait trouvé sa place. Son oreille compatissante et ses paroles emplies de chaleurs avaient quelque chose de magique à elles seules, comme un bon thé chaud avec un filet de miel quand on a mal à la gorge. Puis son positivisme à tout casser à lui seul vaincrait la guerre, l’espoir était la seule arme des soldats déjà brisés.