Une fois n'est pas coutume, Nora avait réfléchi. Elle avait écouté Éana et sa voix raisonnable, alors même que son instinct tout entier lui criait d'agir sur le moment, de suivre ses camarades du Riot Club, de quitter le Château immédiatement, de s'éloigner de la folie grandissante qui régnait dans l'établissement, de rejoindre ses parents et de retrouver un semblant de sens à son quotidien. Mais elle s'était retenu, écoutant les paroles sages de Roshario et de Queen – elle se demandait encore ce qu'il faisait là, mais ne questionnait pas les décisions de ses aînés. De toute façon, ils avaient besoin de tous les alliés qu'ils pouvaient rallier. Elle avait patienté, considéré ses options, peser le pour et le contre.
Ce qui l'avait décidé, cependant, n'était pas cette délibération soigneuse. Si elle n'avait jamais fonctionné ainsi, c'était pour la simple et bonne raison qu'elle en était incapable : malgré la volonté qu'elle mettait à agir selon de grands principes, des règles qu'elle s'amusait à énumérer quand on lui disait des idioties dans le vague espoir de la faire changer d'avis, force était de constater que Nora Weasley répondait essentiellement à l'impulsion de ses sentiments et émotions. Ces derniers étaient simplement guider par sa morale. Ce qui l'avait décidé, donc, ce qui avait fait pencher la balance une fois passée l'envie féline de sauter dans la gueule du loup et de se lancer à corps perdu dans une fuite en avant vers la confrontation, c'était une jeune fille blonde aux traits doux, au regard doux, à la voix douce. C'était Lou et ses yeux soudain tristes et son cœur désespéré et sa peur grandissante. C'était Lou et son sang jugé impur par la société dont Nora faisait partie. C'était Lou et le nom de Jude qui débordait d'entre ses lèvres. C'était Lou et son féminisme et ses idées qui semblaient désormais si évidentes à Nora qu'elle se demandait comment elle avait jamais pu penser autrement. C'était Lou et la façon dont elle avait su guider Nora au cours des derniers mois sans même s'en rendre compte.
Alors, quand la Poufsouffle lui avait fait part de ses états-d'âmes et de son désir de quitter l'école de magie, Nora n'avait pas hésité. Elle ne savait pas si Roshario ou les membres du Riot Club le lui reprocheraient. Elle ne savait pas si elle avait le droit de faire cette confidence à quelqu'un qui n'avait pas été présent lors de la réunion, qui n'avait pas répondu lors de l'appel de Silas Brown. Ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait le moyen d'aider Lou à quitter le Château, et qu'elle comptait emprunter le passage secret avec elle. Ainsi, avait-elle pris le temps d'enchanter son sac à dos, celui qu'elle utilisait pour les cours, habituellement encombré de parchemins et de livres de métamorphoses. Grâce au sortilège d'extension indétectable, sans avoir changé d'apparence il contenait désormais quelques vêtements, quelques provisions alimentaires, quelques parchemins sur lesquels elle avait noté de précieux sortilèges offensifs et défensifs qu'elle connaissait encore mal, et, sentimentale, elle y avait aussi glissé un petit disque qu'elle trouvait approprié à la situation : l'album The Wall du groupe moldu Pink Floyd, qui était auparavant caché sous son oreiller.
C'était le milieu d'une journée banale, et Nora tentait d'agir de la façon la plus banale. Elle était allée en cours le matin, assistant avec difficulté au premier cours sur les traditions des vingt-huit sacrés puis profitant de sa dernière séance de métamorphoses. Elle avait mangé dans la Grande Salle, sous le regard sévère de Lucretia Bones et la surveillance oppressante des nouveaux pions envoyés par le gouvernement Rosier. Et elle avait pesté sur les derniers devoirs à ses camarades de classe, leur expliquant qu'elle allait encore passer l'après-midi au fond de la bibliothèque à tenter d'atteindre les dix pages de parchemin qu'on attendait d'elle en Pédagogie. Les Lionceaux avaient l'habitude de cette Rouge et Or qui passait trop de temps à étudier, surtout depuis la disparition de sa meilleure amie Serdaigle – un duo paradoxal mais complémentaire formé par Nora et Eszter, un souvenir heureux de temps meilleurs, une rancune légère contre celle qui avait été longtemps le centre de son univers et qui ne lui envoyait désormais plus qu'une lettre de temps à autre, occupée par les tournois de Quidditch. Aussi personne ne se soucia de sa silhouette frêle flanquée d'un majestueux tigre roux grimpant les marches jusqu'au quatrième étage, où elle avait donné rendez-vous à Lou sans lui préciser exactement où elles allaient.
Dès qu'elle repéra la silhouette de la Poufsouffle, Nora lui tapota l'épaule sans un mot, vérifiant que le couloir était vide, et s'engouffra dans une salle d'apparence quelconque, inventant la blonde à la suivre. Dans l'obscurité relative de cette pièce, vide de présence humaine, encombrée de bureaux poussiéreux, la Weasley prit enfin le temps de respirer et de lever les yeux vers son amie plutôt que de les laisser s'éparpiller dans tous les sens à la recherche de la moindre menace. « Hey. » Elle sourit doucement, prenant tout à coup conscience qu'elle agissait brusquement. Éana, qui avait pris sa forme de papillon quand elle avait franchi la porte de la salle, voletait vers le miroir. « Aïe ! » Une légère grimace se dessina sur le visage de la sorcière, qui porta la main à sa tête. Depuis quelques temps, depuis ce trou noir dans sa mémoire, son lien avec son Patronus lui semblait douloureux, à moins qu'il ne soit quasiment collé à elle, ce que leur relation passée n'avait pas instauré comme quelque chose de normal ou d'agréable. Tandis qu'Éana se résolvait à se poser dans la crinière rousse de Nora, cette dernière reportait son attention sur Lou. « T'es sure ? » Elle n'avait pas besoin d'en dire plus pour se faire comprendre. Ses iris noisettes fixaient intensément son amie, le sérieux de la situation pleinement présent dans l'air entre elles.

Nora & Lou

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Allongée dans un bain, son corps était recouvert d'eau et de mousses. Des volutes de vapeur flottaient au dessus de la surface alors que ses  longs cheveux voletaient dans l'eau à mesure qu'elle secouait lentement sa tête comme si elle tentait, à travers ce geste, d'effacer les longues semaines qui s'étaient écoulées. Tout ce qui se passait dans le monde l'effrayait terriblement. Et sans Jude à ses côtés, elle se sentait incapable de faire quoique ce soit. Seul le haut de ta tête émergeait. Son regard semblait s'être perdu dans l'immensité de la pièce – ou était-ce dans celle de son esprit?

Un mouvement attira soudainement ses yeux de leur contemplation morte. Caligula venait de la rejoindre, voletant entre l'eau et la mousse sous sa forme brumeuse. Il semblait ne pas pouvoir repasser sous sa forme habituelle depuis plusieurs jours, ce qui inquiétait beaucoup sa sorcière. Entre ces étranges disparitions, cette histoire de marque... tout commençait à s'aligner dans l'esprit de la Poufsouffle et le sens qu'elle tirait de ce tableau n'avait rien d'encourageant. Lou laissa échapper un soupir sonore, prit une grande inspiration et plongea lentement sa tête sous l'eau. Les yeux grand ouverts, ses cils entourés de gouttes d'eau, elle ressemblait à une sirène avec ses cheveux qui flottaient autour de son corps nu. Plusieurs secondes s'écoulèrent, le hamster voletait toujours autour de la baignoire. Enfin la sorcière émergea, essoufflée mais l'air serein. Elle savait ce qui lui restait à faire pour se sortir de ce gouffre qu'était devenue sa vie.

*

Feindre la banalité avait été un enfer en cette journée particulière. Se lever, sourire à ses colocataires, s'habiller chaudement en prévision de la fuite mais sans en avoir l'air, assister à ses cours du matin, faire semblant d'écouter, de discuter avec ses camarades sur les futurs devoirs à venir et sourire, sourire à en faire souffrir ses mâchoires et à ankyloser les muscles de ses joues. Avoir l'air aussi douce et gentille qu'à son habitude, enfin qu'avant que tout se mette en marche, que tout dérape.

Puis l'heure du rendez-vous avec Nora approcha. Sa sacoche en cuir vieilli sur l'épaule, rempli de tout ce dont elle aurait besoin à l'extérieur de Poudlard grâce à un sort d'extension indétectable dont la jeune Weasley et elle avaient parlé il y a peu, Lou avançait dans la foule de son pas lent pour rejoindre la salle du départ. La Gryffondor la rejoignit dans le couloir et l'air de rien, elles passèrent le pas de la pièce, refermèrent derrière elles la porte grinçante. La voix de la jeune rousse résonna dans le silence étouffant qui s'était installé entre elles depuis qu'elles étaient seules. Le « T'es sûre ?» prononcé sur un ton sérieux. Lou acquiesça sans un mot, trop angoissée par la situation. Son patronus tournoyait autour des jambes de son humaine.  Elle le regarda un instant, une bouffée d'inquiétude lui tiraillant l'estomac puis, secouant la tête comme pour échapper aux ombres qui l'écrasaient, elle releva son regard vers celui de son amie. Heureusement qu'elle avait été là ces dernières semaines, sans elle, elle n'aurait jamais réussi à rester optimiste.

Un sourire décidé aux lèvres, Lou lui répondit enfin : « Allons-y. Allons chercher Jude. »

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