Il a le complexe du mec qui était pas censé être là. Il a pas grandi dans le monde sorcier, pas vraiment. Son enfance, c’est le bitume de la banlieue est de Londres, un appart avec vue sur l’appartement d’en face. Une mère pas assez là, toujours au boulot, toujours entre deux courses. Elle lui disait qu’il était différent, spécial, mais elle savait pas à quel point elle avait raison. Il a de la magie en lui. Et il y a rien qui lui fait plus peur que ça. Il sait pas comment, il sait pas pourquoi, il s’est retrouvé sorcier dans un monde qu’il ne comprend pas. Un jour, on est venu le chercher, et il a dû s’adapter et devenir homme avant les autres. Il était pas tout seul, le gamin avait déjà le sourire contagieux et les yeux rieurs. Il y a une baguette qui l’a choisie, des informations qui sont tombées un peu trop vite et des au revoir qui ont été un peu trop douloureux. James sur le quai 9 ¾, a le regard perdu dans le vague. Et ses yeux rencontre ceux d’une fille.
Il sourit.

T’es partie un peu trop tôt, tu méritais pas. T’étais tout, puis le vide. T’aimes ça, passer d’un extrême à l’autre, hein ? Moi j’aime pas. Ca m’amuse plus tes conneries.
Reviens.  

A Poudlard, il est un peu trop téméraire, un peu trop bagarreur. Il en vient facilement aux mains, parce qu’il a un peu trop de fierté dans ses yeux. Il défend l’honneur des autres, mais surtout le sien. Il est pas glorieux, il a rien du héros. Il est juste un peu trop impulsif, il réfléchit pas. Elle le lui disait, pourtant, Léa, que c’était rien d’autre qu’un p’tit con et qu’avec ses conneries, il allait finir en détention. Mais la détention, il s’en fout un peu (beaucoup). Il aime pas l’autorité, il en fait qu’à sa tête. Fais pas ça, t’es fou. Il a le défi dans les yeux quand il la regarde. Entre eux, ça va toujours trop loin, toujours trop tôt. Ils s’aiment un peu trop, un peu comme des ados. Léa, c’est sa meilleure amie, c’est sa première histoire. C’est celle qui lui raconte la magie, l’histoire d’un monde qu’il arrive pas à apprendre. Mais quand il la regarde, il a plus le complexe de l’étranger, il a l’impression d’appartenir à quelque chose. Sauf qu’il le lui dit pas, non. Il a la fierté comme un rempart, les mots enfermés dans une cage thoracique. Un peu casse-cou, les devoirs rendus en retard, les notes jamais assez bonnes, on lui dit qu'on sait pas ce qu'on va faire de lui. Il répond que c'est pas son problème. Mauvais caractère du gamin sans repère, elle le canalise, Léa, quand elle lui dit qu'il peut pas continuer comme ça. Qu'il est en train de tout gâcher pour quelques éclats de colère. Elle le connaît mieux que les autres. Elle sait que derrière ses poings qui s'agitent un peu trop vite, il y a l'angoisse de ne pas être suffisant pour ce monde auquel il n'est pas censé appartenir.

Tu disais toujours que tu voulais partir à l’autre bout du monde. Tout plaquer et t’inventer une nouvelle vie. J’ai cru que t’avais fini par le faire. J’aurais dû te protéger. J’suis désolé.  

Léa portée disparue, lui qui s’en veut de n’avoir rien vu venir. Le cœur qui flanche, le mec qui part en vrille. Il sait pas quoi faire, il essaye de la chercher mais c’est comme si tout avait été effacé. Et puis il y a ce labrador qui le suit partout mais qui remplace personne, ni l’ombre d’un père jamais connu, ni le souvenir des éclats de rire de Léa. Il le supporte pas, il lui dit de se barrer, et il comprend l’absurdité de ses propos. Le chien finit toujours par revenir à son maître. Et le maître a tout qui fout le camp. Il boit un peu trop, traîne avec les mauvaises personnes et multiplie les erreurs. James en ruines, le manque qui le prend au ventre, les souvenirs qui le rongent. Pourri jusqu'à la moelle, il avance sans sa boussole, et, inévitablement, il se perd en cours de route.

Léa, elle finit par revenir aussi. Mais elle a des cicatrices plein le corps et les yeux vides. Elle sourit plus. Elle a fait partie des personnes qu’ils ont enlevé, qu’ils ont torturé et déchiqueté. Elle fait partie de ceux qui ont subi la cruauté à l'état pur, qui ne sont plus que charpies, morceaux de viande jetés par dessus bord. Elle arrivait plus à parler, et lui, il pouvait rien dire à part qu’il était désolé. Il avait beau essayer, elle était déjà partie quand elle a décidé de se tuer.

Vas te faire foutre. J’te le pardonnerai jamais.  

C’est pas lui qui a trouvé le corps mais c’est tout comme. Il a la colère au bout des lèvres et le déni dans le fond des yeux. Il lui en veut, mais pas autant qu'il s'en veut. Il rage en silence contre le gouvernement, il se sent seul contre le reste du monde. Les résistants, ils sont partis ailleurs. A Poudlard vivent les moutons, et lui, il vaut pas mieux. Il suit une route déjà tracée, les souvenirs, des plaies béantes cachées derrière des masques et des remparts. Des souvenirs qui l'empoisonnent plus qu'il ne peut l'être.  Il doit être ce qu'on exige de lui, sans quoi il est perdu, ramené à rien du tout. A quoi bon lutter, elle est plus là. La guerre a fait de lui un cadavre vivant, marqué au fer rouge par un pouvoir qui a besoin de victimes pour paraître puissant. Il abdique.