« Donne ! » L’enfant se met à geindre tandis que son frère se redresse encore, mettant un peu plus la peluche hors de portée de la petite main d’Adrian, six ans. Hernando, de trois ans son ainé, laisse échapper un rire alors qu’il repousse Adrian sans effort, le faisant tomber à la renverse. Celui-ci se met à geindre de plus belle, menaçant de fondre en larmes. Leurs parents ne sont pas là. Leur grand frère non plus. « Tu dois le mériter. » Il triche, se dit Adrian, d’un air bougon. Il se redresse, se précipite de nouveau vers le plus vieux, bien décidé à récupérer son doudou, certainement ce qui compte le plus à ses yeux. Hernando le repousse à nouveau et après un nouvel éclat de rire se met à courir entre les différentes pièces de la maison, ignorant les larmes de colère et de frustration qui coulaient sur les joues d’Adrian. Celui-ci finit par le rattraper, de plus en plus en colère alors que Hernando ne peut s’arrêter de rire. « DONNE ! » Il hurle, serrant les poings, laissant échapper sa colère. L’onde de choc qui s’échappe de lui le fait reculer. Son frère est repoussé, heurte douloureusement le mur. Adrian ouvre de grands yeux, reste pétrifié quelques secondes et s’approche doucement de son frère. Pris de panique, il repart en courant, sans lancer un seul regard à la pièce qu’il a laissé toute retournée, et part s’enfermer dans sa chambre.

Adrian se dit souvent que rien n’a été pareil après cette première démonstration de magie. Il y repense alors qu’il lève des yeux inquiets sur les quatre statues du hall d’entrée, les quatre statues d’Ilvermorny. Il repense à l’air effrayé de ses parents à chaque fois que sa ‘magie’ lui échappe et qu’il leur prouve qu’il n’est pas comme eux. Il repense à ces ‘sorciers’ venus expliquer que tout ça était normal. Qu’on allait lui apprendre à maitriser sa magie, au milieu d’enfants comme lui. Qu’il y avait un autre monde derrière ce qu’il croyait être la réalité, un monde qu’il a pu entrevoir dans les livres, les histoires, un monde que sa famille ne pourra jamais fouler. Un monde auquel il appartenait, sans le savoir. D’un côté, toutes ces révélations lui donnaient envie de sauter sur place tant il était heureux. Après tout, c’est un rêve de gamin qui se réalise, de pouvoir aller étudier dans une école de magie. De l’autre… De l’autre, il sait que quelque chose s’est brisé entre sa famille et lui. Ils portent le même nom mais ne partagent déjà plus grand-chose. Sa gorge se serre un peu plus, alors que la statue représentant l’oiseau-tonnerre, pour la maison Thunderbird, se met à s’agiter, à battre des ailes. Des applaudissements venant des élèves sur la rambarde au-dessus du hall retentissent, et il relève la tête, un sourire tremblant sur les lèvres. C’est irréel, et pourtant, il vient d’entrer pour la première fois dans ce qui sera sa demeure pour les années à venir.

« Comment ça, tu pars en Angleterre ? » Il avait pris sa décision. Adrian soupire en haussant les épaules. Il ne s’attendait pas à ce que son ami le comprenne. « Ils ont des cursus plus poussés qu’ici, pour ceux ayant déjà un diplôme. Si je veux devenir auror, autant poursuivre mon enseignement. » Ce n’était qu’un prétexte, bien évidemment. La vérité était qu’il ne supportait plus devoir rentrer chez lui chaque été, et qu’il n’avait pas vraiment d’excuses pour rompre les liens avec sa famille. Il sait que c’est ce qu’il doit faire, et pourtant il n’y arrive pas. Il ne s’y résout pas. Et pourtant à chaque fois qu’il rentre, il se sent blessé par cette sensation, celle d’être un étranger parmi ceux qui partagent le même sang que lui. Il se sent blessé par les regards qu’on lui jette, comme s’il était une bête sauvage qui pourrait se jeter sur ses proies à tout moment, comme une bombe à retardement. Il a besoin de s’en aller, loin. Et Poudlard lui offrirait cette opportunité, même si en bon nord-américain qui se respecte, Adrian a beaucoup trop de préjugés sur les Anglais. « Et puis, leur école est quand même réputée. Ça peut pas être si mauvais, même si c’est britannique. » Il lance sur le ton de l’ironie, essayant de ne pas montrer que cette décision l’affecte malgré tout. Il n’a jamais connu rien d’autre que son quartier mexicain et Ilvermorny. Mais il sait que c’est la bonne décision. Recommencer sa vie, là où il ne pourra pas être poursuivi par les regrets. Il n’a même pas vingt ans et déjà l’impression d’avoir tout raté, simplement parce qu’il est né dans la mauvaise famille, il ressent déjà le besoin de tout quitter.

« Tu te prends pour qui là ? » Il vient d’arriver depuis à peine un mois. Adrian soupire. Il a été envoyé à Serdaigle, et il est bien content, étant donné que la maison se targue de la réputation d’être la plus ouverte d’esprit de l’école, avec les Poufsouffles logés dans les cachots. Il n’a pas encore l’habitude de mettre des maisons sur tel ou tel comportement,  mais il remarque le blason vert et argent sur la poitrine de celui qui vient lui chercher des noises. Malheureusement, Adrian ne passe pas inaperçu dans cette école. Que ce soit à cause de son accent américano-mexicain qui le fait massacrer la langue anglaise de l’avis de certains, ou bien parce que les nouveaux qui ont plus de onze ans sont rares dans cette école, mais les gens ont tendance à se rappeler de lui. « Tu ferais mieux de regarder où tu marches. » Adrian ne répond pas, mais lève ostensiblement les yeux au ciel. On ne lui a pas appris à respecter les morveux qui n’ont rien fait pour mériter son estime, et certainement pas à cause du nom qu’ils peuvent bien porter. L’autre s’en va, et Adrian note dans un coin de son esprit qu’il doit certainement être un sang-pur indigné que son corps de ‘né-moldu’ ait pu l’effleurer. C’est vraiment quelque chose qu’il ne comprend, l’une des choses les plus différentes avec l’Amérique, le statut de sang. Ilvermorny ne s’embête vraiment pas de ce genre de stupidités, étant donné que l’école elle-même a été fondée par une sorcière et un non-maj. Il pousse simplement un soupir et continue sa route, agacé.

Ces regards dédaigneux le suivent jusqu’au cœur du Ministère, au bureau des Aurors où il a été accepté. Il s’en fiche pas mal et se contente simplement de faire son travail du mieux qu’il le peut, sachant que rentrer dans le petit jeu des sang-pur pistonnés arrivés ici grâce à leur nom ne sert à rien, qu’il a juste besoin de prouver qu’il est plus indispensable qu’eux. Il a déjà un avantage sur eux, celui de pouvoir aller directement dans la tête des mages noirs qu’ils peuvent ramener en un seul morceau pour les interroger. Surtout qu’en ce moment, ils ont de plus en  plus de travail à cause d’un imbécile se croyant marrant à monter sa propre secte de mages noirs, et ce n’est pas vraiment ce dont Adrian avait besoin en finissant tout juste ses études.
« Il veut toujours pas parler, » grogne justement l’un de ses nouveaux collègues en sortant de la salle d’interrogatoire, se laissant tomber dans un des fauteuils du bureau des Aurors. « Laisse-moi m’en charger. » Adrian a envie de faire ses preuves, de montrer qu’il vaut autant que n’importe qui dans cette pièce. Mais sa proposition est accueillie avec un rire, qu’il prend évidemment mal. « Tu viens juste d’arriver, tu le sais que tu n’as pas encore l’expérience. Et même avec ton avantage. Sois patient. » C’est bien quelque chose qu’Adrian ne connaît absolument pas, la patience. Il se renfonce un peu plus dans son fauteuil en grognant.

« Qu’est-ce que vous voulez dire, vous m’assignez à la protection de Poudlard ? » Adrian grince des dents. Quelques jours à peine sont passés depuis que lui et de nombreux Aurors ont dû utiliser un portoloin d’urgence pour se rendre au Belize, alors que les élèves de Poudlard venaient de passer deux mois loin de l’Angleterre, pour être apparemment protégés de la guerre qui commence à s’intensifier ici. Ç’a très bien marché étant donné que ça s’est fini en bain de sang, en une catastrophe, sûrement la pire que Poudlard ait jamais connu et la cote de popularité de Dumbledore a pris un sacré coup. Le directeur du département de justice magique soupire et regarde Adrian d’un air désapprobateur. « Ecoutez, vous savez qu’il faut renforcer la défense de l’école après ce qu’il s’est passé. Et vous y allez. C’est tout. » Adrian retint le grognement qui lui vient instinctivement. Il n’a pas envie d’aller à Poudlard, de rester sur place à surveiller une école où il ne se passera rien quatre-vingt-dix pourcents du temps. « Je n’ai pas fait autant d’études  à l’autre bout du monde pour finir baby-sitter dans… » « Si, c’est exactement ce que vous avez fait. Si ça ne vous plaît pas, personne ne vous retient. » C’est un miracle qu’Adrian n’ait rien répondu, connaissant son caractère instable et arrogant. Mais il resta silencieux, défia du regard son supérieur pendant quelques secondes avant de courber l’échine, agacé. Il allait faire ce qu’on lui demandait, évidemment. Mais s’ils pensaient qu’il allait le faire sans râler, ils se mettaient le doigt dans l’œil.

Il ne sait pas comment il en est arrivé là. Ces derniers mois lui semblent flou, vides, comme s’ils se sont passés dans un rêve. Un cauchemar plutôt,  il se dit alors que ses yeux vides fixent le plafond de sa cellule, aussi immaculé que ses vêtements de prisonniers. Tout est trop blanc ici. Il n’a plus vu la lumière du jour depuis beaucoup trop longtemps, son corps souffre des privations diverses alors qu’il subit ces… expériences, censées en apprendre plus sur les patronus, il imagine. Son esprit souffre tout autant, alors qu’on le place beaucoup trop souvent en face d’un détraqueur. Il aimerait bien pouvoir calculer combien de fois par semaine il voit ces non-êtres, mais il ne saurait déjà pas délimiter un jour, encore moins une semaine. Il pourrait être là depuis des années que ça ne l’étonnerait même pas. Ses souvenirs du monde extérieur s’effilochent au fil du temps, il en viendrait même à douter d’avoir vécu n’importe quoi d’autre que cette demi-existence au fond de sa cellule qu’il partage avec une adolescente. La première explosion qui fit trembler les murs ne le réussit même pas à le faire cligner des yeux. Au bout de quelques-unes pourtant, il finit par se relever, intrigué. Ça dure depuis trop longtemps pour que ce soit simplement une de leurs nouvelles expériences. Les explosions semblent se rapprocher,  jusqu’à ce qu’une, encore plus puissante que toutes les autres, leur apporte également des cris de douleurs, de rage. De combat. Il n’aurait jamais crût qu’à peine moins d’une heure plus tard, il serait enfin hors de cet endroit horrible, à respirer un air qu’il avait crût ne jamais pouvoir sentir à nouveau.