Il ne sait plus depuis combien de temps il creuse. Les doigts presque bleuis par le froid, il tente en vain de ne pas se laisser assourdir par le battement régulier de sa bêche allant à la rencontre de la terre gelée de la parcelle lui faisant face, chaque choc se répercutant jusque dans son bras comme autant de battements de cœur n'émanant pourtant d'aucun résident des lieux ; tout du moins l'espère-t-il. Malgré la froideur ambiante, la douleur cuisante qui lui barre à présent les épaules lui arrache une grimace tandis qu'il essuie d'un revers de la manche la sueur venue perler à son front. Il ne sait plus depuis combien de temps il creuse mais cela fait bien plusieurs heures. Après tout, il en faut du temps pour creuser une tombe.

L'espace d'un instant, il hésite face à la pénibilité de la tâche, sa main se dirigeant instinctivement vers la baguette qu'il porte à la ceinture, avant de finalement se refermer à quelques centimètres de sa cible. La tentation d'en finir d'un simple mouvement du poignet est belle et bien présente, mais ce n'est pas là la manière de faire des habitants de ce village et il ne leur fera décidément pas cet affront, pas cette fois. Ici, on enterre les morts avec le respect qui leur est du et la souffrance que leur trépas entraîne avec lui ; un honneur dont Freddie, lui, se serait bien abstenu pour une fois.

Emmailloté dans un drap d'un blanc passé, désormais à moitié recouvert de neige, le corps qui repose non loin de lui lui est inconnu. En cette période sombre, le temps réservé aux adieux se fait parfois rare, et ceux tombés près de chez lui ne sont pas pour autant toujours connus des siens. Mais si ce hameau doit sa création à l'un des plus grands héros qu'ait connus le monde magique, ce sont cependant ses habitants qui en font la force, et ceux ayant combattu à leur côtés ne sauraient être enterrés sans une sépulture décente.

Alors il creuse, couvé d'un regard goguenard par son patronus, réfugié sur l'une des stèles avoisinantes. Il sait parfaitement que pour Shane, l’intérêt d'un rituel jugé aussi vain lui échappe totalement. En un sens, il sait aussi que c'est son propre scepticisme qui s'exprime là, mais ne s'en émeut toutefois pas outre mesure. Si il a conscience que la terre ne leur rendra certes pas les corps qu'ils lui confie, la paix qu'apporte aux vivants, ne serait-ce qu'un temps, la possibilité de se recueillir ne lui est néanmoins pas étrangère. Du coins de l’œil, la pierre blanche d'une tombe située à quelques pas de là attire un instant son regard avant que le jeune homme ne détourne vivement les yeux. Il est des souffrances dont on ne guérit pas, certaines qu'il vaut alors mieux laisser en paix.

Encore troublé par cette vision, il interrompt pour l'heure son labeur, venant trouver refuge au pied d'un arbre dont les racines lui épargne la sensation glaciale du sol lorsque enfin il s'y assoit. Finalement descendu de son perchoir, Shane se recroqueville pour sa part à ses pieds, son épaisse fourrure rousse offrant un contraste saisissant d'avec l'herbe gelée sur laquelle il repose. Celui-ci connaît bien les pensées qui hantent son jeune maître, et seul la douleur qu'ils partagent tous deux l'empêche en cet instant de donner libre cours à ses habituelles sautes d'humeur. Distraitement, la main du jeune sorcier vint trouver la tête de son patronus, supportant sans broncher les diverses tentatives de morsures dont le gratifie celui-ci ; l'affection de son compagnon ne s'achète pas par quelques caresses, et c'est en cela qu'elle est précieuse.

Il n'a aucune idée de l'heure qu'il est à présent, mais les ombres autour de lui s'allongent peu à peu sous les rayons de la lune et il sait qu'il devra bientôt rentrer si il ne veut pas inquiéter sa mère outre mesure. Lentement il prend appuis le long du tronc auquel il est adossé, avant de finalement se redresser, son éternelle bêche à la main. Il est fatigué Freddie, presque autant que le manche de bois qu'il tient à la main, et les morts peuvent bien attendre jusqu'à demain. Prenant la direction du portillon marquant l'entrée du cimetière, il marque toutefois un arrêt près de la dalle de marbre blanc, encore intacte lorsque comparée aux autres plus anciennes qui l'entoure.


Puis il repart dans la nuit, le dhole au poil hirsute toujours sur ses talons. Derrière lui ne reste que quelques mots, gravés d'une main tremblante, plus pour ceux qui restent que celle qu'ils désignent.