Les étoiles pour seule lumière, le silence qui recouvre tout le reste. Et dans la nuit, elle s’enfuit, Meave. Elle sort de cette maison qui l’étouffe, elle fuit ces gens qui sont devenus des étrangers au fil des années. Une famille qui ne pense qu’à son image, des parents qui ne veulent fréquenter que les meilleurs. L’avidité qui coule dans leur sang, la soif de pouvoir qui guide leur pas. Ils sont incapables de se contenter de cette vie qu’ils jugent trop médiocre. Et pourtant, ils ne parviendront jamais à atteindre l’excellence dont ils rêvent tant. Ils ne resteront que des pions dans un jeu qu’ils n’ont jamais maitrisés. Car leur sang ne vaut rien. Mais ça, ils refusent de l’admettre. Alors ils essayent, encore et encore. Ils sacrifient tout, même ce qu’ils ne devraient pas. Surtout ce qu’ils ne devraient pas. Alors Meave, elle s’y refuse. Trop idéaliste, trop naïve, elle est de ceux qui veulent s’élever contre les injustices. De ceux qui se battent pour des causes nobles. De ceux qui vivent dans leur monde et qui ne réalisent pas qu’il y a des combats bien plus importants à relever. Meave, elle vit dans une bulle qu’elle s’est fabriquée. Pour oublier tout ce qui la dérange, pour se protéger aussi. Et cette nuit, elle s’enfuit pour retrouver ceux qui comme elle, préfèrent fuguer que d’affronter la réalité.

Le plancher craque sous ses pas, elle retient sa respiration le temps de descendre l’escalier. Dans ses bras, sa cape et ses bottes pour affronter la neige. Dans ses yeux, la lueur de celle qui se laisse guider par la sensation éphémère de liberté. Elle ne l’est pas, pourtant. Trop jeune, trop dépendante des siens, trop fragile. Mais elle s’en fout. Parce qu’à cet instant, elle franchit la porte et plus rien ne compte. Un sourire qui étire ses lèvres, les gestes qui se font précipités à l’idée d’obtenir ce qu’elle veut. Alors lorsqu’une main attrape son bras pour l’empêcher d’avancer, elle ne peut pas retenir un cri de surprise. Son frère, elle ne l’a pas vu arriver. Elle ne savait même pas qu’il était rentré pour Noël, lui aussi. Ils ont arrêté de se parler il y a longtemps, lorsqu’il a pris la relève de ses parents et lorsqu’elle a refusé de renoncer à ses rêves. Incompatibilité de caractère, différences trop importantes pour réussir à rester dans la même pièce sans se battre. Même les liens du sang n’ont rien changé. Alors lorsqu’elle pose son regard sur lui, elle a son visage qui s’effondre et la mâchoire qui se crispe. La guerre, elle ne met jamais bien longtemps à se réveiller entre eux. Il ne faut jamais grand chose pour que tout explose. « Où est-ce que tu penses aller comme ça ? » Des mots tranchants, des mots comme des lames. « Ça ne te regarde pas. » Elle s’en fout, qu’il soit son ainé. Elle s’en fout, qu’il ait longtemps assumé le rôle qu’aurait du avoir son père. Killian, il a du prendre une place qui n’était pas la sienne très tôt. Pour palier l’absence de leurs parents, pour oublier que personne ne se souciait d’eux. Puis un jour, il a finit par avoir ses propres ambitions. Sa propre vision d’un futur plus glorieux. Et juste comme ça, il est devenu un étranger, lui aussi. « Il est deux heures du matin et t’as dix-sept ans, ça me regarde. » Elle tire sur son bras pour qu’il la lâche, mais cela ne fonctionne pas comme ça. C’est un Reagan, il s’accroche à ses idées et ne sait pas renoncer. « Tu sais ce qu’il se passe dehors, pendant que tu t’amuses ? » Oui, elle le sait. Qu’il y a de plus en plus d’élèves qui tombent malades et que personne n’arrive à l’expliquer. Que les gens tombent autour d’elle, sans qu’on sache pourquoi. Qu’elle est épargnée aujourd’hui, mais qu’elle ne sait pas ce qu’il va en être demain. Mais elle préfère l’ignorer. Cela lui fait bien trop peur. « Fous moi la paix, je suis pas malade. » Pas encore. Elle l’entend, ce mot résonner entre eux. Mais cela n’a pas de sens, car son sort ne l’importe peu. Seul son image importe. Alors sur un mouvement brusque, elle se dégage de son emprise. Et avant qu’il ne l’arrête, elle disparaît dans la nuit. Pour cette nuit. Le temps de prétendre que le monde n’est pas en train de foutre le camp. Le temps de prétendre que tout ira bien. Et Meave, elle y croit à ses illusions. Un peu trop fort.