Quel est ce chant intérieur, ce leitmotiv lancinant qui berce l’esprit, l’endort peu à peu, pour l’ensevelir sous une torpeur hiémale ? Un matin de décembre, Sussex ; la rase campagne se devine, immuable dans sa fragilité vaporeuse. Les plaines de marbre, recouvertes d’un linceul de neige, s’étendent et s’étirent à perte de vue. Quadrillées, striées, martelées par le pas et le fer de l’homme. L’enfant et le jeune homme, un seul être, dispersé dans le temps et les souvenirs prégnants, ces réminiscences fébriles et intouchables, se trouve en ce lieu ; un espace fondateur et déterminant, l’origine, le havre, carrefour de mille tourmentes… Plus loin, nichée dans le creux des vallons haves et dégarnis, chauves d’un manteau verdoyant, s’élève Lewes. Mais lui, et la ferme, la vieille bâtisse, restent à l’écart. Isolés, au coeur de l’Angleterre. Il se voit, perché contre le rebord de la porte-fenêtre, à guetter les flocons albâtres ; la véritable magie, intense et éphémère, d’une période. Le sapin trône derrière lui, pas très haut, ni chargé de décorations clinquantes ; quelques guirlandes s’entrelacent ici et là, le rouge vieilli croisant et embrassant le vert fade, révélateur de la pauvre qualité de l’objet. La maison porte les marques d’un prestige passé ; à ses murs, disparaissent des tapisseries ornées de quelques fils argentés ; mais Iseut ignore ces vestiges. Il ne connait que les tissus usés, la chaise qui couine, la vieille télévision. Les ruines des murets qui délimitent et encerclent le domaine ; simulacre d’un mur romain qui arrête son regard, lui apporte un sentiment de reconnaissance. Plus jeune, il s’en est allé par delà les coteaux et les arabesques de pierre ; arpentant les forêts épaisses et mystérieuses, où parfois les dards timides du soleil baignait les feuilles dressées d’un halo doré, émeraude. Et Iseut demeurait étendu sur son lit de mousse, une main à la dérive dans le cours sinueux d’une rivière ; apaisé par son doux clapotis, qui agissait comme un baume à ses doigts usés, tavelés de cicatrices et de petites plaies encore pourpres. La nature n’était pas seulement un tableau à contempler ; ces panoramas kaléidoscopiques, parsemés de lignes et d’horizons multicolores. Surtout, à ses yeux, le gris et le bleu. Non, c’était la terre. Le travail de la terre : semer, labourer, récolter. Au fil des saisons, en accord avec la course éternellement déclinante de l’astre diurne. Automne, hiver, printemps, été. Fils d’une campagne rurale, élevé dans une culture où la terre tient une place dominante, à la rude ; oui, peut-être, mais la meilleure éducation pour lui. Le prix de la labeur, l’exploration des sentiers creux ; ces trous de bonheur. Une enfance rythmée par de nombreuses lectures, aussi, complémentaires ; d’abord, les contes merveilleux, puis les ouvrages d’apprentissage -sortilèges, potions-, enfin, bien plus tard, l’oeuvre romanesque de son lointain cousin moldu, E. M. Forster.

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Il lit les Anciens : Platon, Aristote. S’imagine dans cette Grèce brillante, entouré par des figures drapées et figées ; un dialogue entre deux sages, une poigne ferme entre deux athlètes… leurs cops enduits d’argane, aux muscles frémissants, resplendissent à la lueur du soleil. Une lyre taquine, non loin. Enfin, la beauté époustouflante du marbre, ciselé par les mains-artistes. Iseut clôture ses journées de labeur ainsi ; lové sous sa couette, une petite lampe tenue entre ses doigts, à épier les vers de Marie de France ; et d’un merveilleux, il passe à l’autre, les fables, lais, et contes magiques. Il rêve de Merlin. Parfois de Circé, la ténébreuse, reine des métamorphoses, suave ensorceleuse. Il ne prononce pas le mot « moldu » ; sur certaines langues, le substantif se couvre d’une connotation moqueuse. Pourquoi ? N’est-il pas, lui-même, l’un et l’autre ? Un paysan, un sorcier. À ses yeux, rien ne s’exclut. Bien des sorts l’ont aidé à soigner les nombreuses bêtes peuplant la ménagerie familiale ; peu complexes, certes, pour un enfant encore si jeune, mais utiles. Complémentaires au travail des mains et des bras. Le muscle et le verbe. Iseut erre d’un monde à l’autre sans s’apercevoir de leurs frontières ; elles ne sont pas. Son monde est ainsi fait. Un dimanche, il s’exerce fébrilement au Quidditch ; les conseils avisés de son père retentissants. Son oeil bienveillant et protecteur rivé à ses épaules tremblantes. Il est apeuré et émerveillé pour son premier vol : à peine quelques mètres au dessus du potager, mais il ressent… comme un courant électrique, qui palpite, latent, intense, au bout de ses doigts. Et un autre dimanche, il parcourt les longueurs cycliques du bassin ; il aime secrètement l’odeur du chlore, les carreaux blanc et bleu de la piscine municipale ; ses longs cheveux, d’argent ou d’or sous l’éclairage artificiel, flottent tout autour de sa tête. Il pense parfois à sa mère, partie où il ne sait ; lasse des jours monotones à l’exploitation, des nuits brèves, du bruit tonitruant du vieux tracteur. Il retient d’elle son goût pour les runes et le latin. L’éclat d’un regard sibyllin. La courbe résignée et amère de son sourire. Il essaie d’ignorer la bile noire à son ventre ; et bientôt, il sera assez distrait. Une lettre l’attend sur la table de la cuisine : ah, Poudlard. Son père l’encourage d’un signe de tête. Il l’ouvre, découvre les mots. Repose le papier, si doux à ses mains striées. Iseut est satisfait de pouvoir aller en Ecosse ; avec un peu de chance, les plaines rustres des highlands seront comme un reflet de sa propre parcelle de terre. Son bout de Sussex.

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Il vient de fêter ses quinze ans. Pour les vacances d’hiver, il revient à la campagne ; les paysages bucoliques d’été ont laissé place à une froide réalité : une terre d’albâtre, froide, hostile. Iseut est figé devant une porte entrouverte ; à l’intérieur, des barres, quelques tutus, des jambes levées. Mais lui n’a d’yeux pour pour le danseur. Le prince. Roméo, Tristan. Les airs de Berlioz résonnent, entourent Iseut jusqu’à l’envoûter. « Le Spectre de la Rose ». Il veut ce pâle Nijinski, qui tournoie, bondit, ondule. Qu’il vienne cueillir le bouton  carmin de sa bouche. Le jeune homme le sait pour sûr : il raffole de ces corps, modelés par l’effort musculaire ou non. Les courbes viriles, les vallons sinueux des bras. Le danseur croise son regard, et Iseut rougit malgré lui. Plus tard, il se retrouvera dans l’ombre d’une ruelle avec lui, à échanger quelques baisers furtifs et fiévreux. Il ne pourra plus jamais écouter le Aufforderung zum Tanz sans qu’un frisson ne lui fasse redresser l’échine ; encore pris de cet émoi juvénile. Bedivere, son patronus, se moquera gentiment de lui. Iseut aurait aimé apprendre la danse classique, mais avec le travail à la ferme, puis l’école… Et quand bien même. Non, seulement de temps à autre, il échange avec le fils du voisin quelques balles, faisant virevolter les battes de cricket. Depuis son plus jeune il manie avec dextérité la rame en saule et rotin. Alors, il n'a aucun mal à se saisir d'une batte de Quidditch, à voler encore et encore au dessus du potager. S’il ne peut danser, il peut voler ; c’est un peu la même chose, croit-il. Fort de ses observations minutieuses, il s’imagine que la sensation est commune ; l’air, tout autour ; sa propre pesanteur ; l’exaltation des mouvements, des arabesques, des muscles qui se tendent et se détendent. Il est un élève plutôt studieux, en dehors du stade. Discret, tapi dans l’ombre à guetter, épier ; il a deux bons amis, rencontrés dans le train les emmenant pour la première fois au château (et tous conviennent des circonstances stéréotypées de leur premier échange). S’il suit assidûment les cours et qu’il fait ses devoirs, c’est qu’il considère le savoir comme une source de pouvoir ; il n’a pas de… « plaisir » véritable à apprendre, si ce n’est pour satisfaire sa curiosité. C’est plus une question de… supériorité. D’émulation intellectuelle. Il n’est pas très sociable, et sa parole est parcimonieuse ; parfois polie, parfois caustique ou piquante. Souvent indifférente. Il se mêle de ses affaires, mais garde toujours un œil attentif et calculateur sur ses pairs. Autre cliché de sa jeune vie : il fantasme sur l’un de ses professeurs (et peut-être qu’il se montre exceptionnellement enthousiaste à briller dans sa discipline en raison de la beauté de ses yeux). Iseut est un garçon comme un autre, fier de ses origines et de son éducation moldue sans pour autant le crier sur tous les toits ; soigné, et méfiant ; désireux d’être un bon joueur de Quidditch ; très (très) souvent excité ; et il aime à passer ses samedis et dimanches à dodeliner de la tête dans son lit, Bedivere à ses côtés, un livre de Tolkien sur ses cuisses, humant quelques notes de Ravel.