« J'ai beau essayé de retracer le chemin de ma vie, redéfinir les contours de ce portrait bâclé, trop flou, il me semble toujours que l'itinéraire est fou, qu'aucune clarté ne vient s'apposer sur ce décor morbide qui a accompagné chacun de mes pas, d'étape en étape ; partout la souffrance, la mort, le combat, on oublie qu'un jour cela s'arrêtera, on y prend goût, on s'y mêle et s'y forme, se laisse happer par un monde qui ne vous relâchera pas.

Je mens. Il y a eu quelques années tranquilles, et même enchanteresses. Mon père était le roi des conteurs de merveilles, vous emmenait dans des mondes dont l'existence seule relevait du rêve éveillé. Mon père avait exploré le monde, il avait tout vu, tout vaincu, croisé des créatures relevant du mythe, de la légende urbaine, conquis les cœurs de sorcières, moldues, et autres femmes au statut trouble – toutes de poigne, des noms qui vous chatouillaient les oreilles, des tempéraments d'héroïnes de tragédies grecques. Il y avait eu ma mère, quelque part parmi elles, une tempête ayant fait s'échouer son bateau au large d'une île de l'Océan Indien – il n'aurait su me dire où. Ils vécurent une histoire qu'il me dit avoir été très heureuse, mais alors qu'elle touchait à sa fin, l'annonce de la grossesse l'obligea à l'emmener avec lui afin qu'elle accouche sur le territoire anglais. Aussitôt le paquet fût-il délivré que sonna le glas de leur histoire, leurs chemins se séparant à tout jamais, laissant derrière eux une enfant à demi-orpheline, mais qui ne devait jamais manquer d'amour pour autant, à défaut d'un repère maternel. Suis-je sûre de ce que je raconte ici ? Absolument pas. Comme je vous l'ai dit, le caractère fantasque de mon père m'empêchait malgré mes années de survie à ses côtés, de deviner à quel instant son imagination s'enclenchait ou se retirait au profit de la vérité. Jamais dans ses histoires quiconque n'avait réussi à déceler le vrai du faux, le trouble du clair, le mystique et le réel. Sûrement était-ce pour cela que ses histoires étaient si bonnes, et que ses romans, contes et autres récits peuplaient tant de bibliothèques.

Même s'il ne vous l'avouera jamais, parce qu'il s'est toujours tenu loin des affaires du monde politique, qu'il dit être d'une futilité déconcertante, tout comme la plupart des objectifs que s'imposent l'homme, c'est de lui que je tiens la plupart de mes valeurs – aucune bonne histoire n'est dépourvue de message moral... Ce désir de justice, mais aussi de combat, je l'ai obtenu dans mes rêves d'enfant, dans ces aventures que j'aurai volontiers menées, à ceci près que je les aurais imaginées dans des forêts enchantées, auprès de fées colorées.

Sortir du monde édulcoré dans lequel le paternel m'avait plongée, comme on plonge un organe dans du formol, espérant sûrement y protéger mon enfance et par la même occasion mon innocence, fût une expérience très pénible, pratiquement traumatisante, même si je ne sus jamais réellement si ça m'avait rendu la tâche plus facile ou plus pénible en définitive – ces mondes étaient-ils devenus des refuges pour moi, ou la réalité n'en était-elle que plus cruelle quand on se rendait compte de ses formes ?

Ma vision du bien et du mal n'était sûrement pas pour autant la même que celle qu'on murmurait jusque-là aux enfants de mon âge. Je n'ai pas appris à rester dans une cage/case, qu'il n'y avait en tout qu'une et unique vérité, que le monde extérieur était terrifiant, insécurisant, que la différence était une notion que mes semblables avaient des difficultés à entendre. A onze ans, je fus donc jetée dans la gueule du loup. Poudlard, et son ramassis de petits élèves bien propres sur eux. Je découvrais ce qu'étaient les familles de sang-pur, pour de vrai, pas ces croque-morts des histoires de mon père, leur idéologie rébarbative et complètement moyenâgeuse qui voulaient que moi, je m'écarte, leur baise les pieds, me soumette à une supériorité dont ils n'avaient jamais su me donner aucune preuve tangible. J'eus bien des déboires alors, quand je leur riais au nez, tentais une approche innocente au milieu d'individus que je jugeais comme mes égaux quand ils ne voyaient là en moi que le fruit d'une abjecte déviance. Je ne vais pas vous mentir en disant que je ne les ai jamais haï. Je l'ai fait. Comme tout enfant apprenant les lois d'un monde extérieur qui marche sur la tête, j'ai pleuré, j'ai cédé quelques fois, et puis j'ai répondu à l'appel de mon père : j'étais seule maître de mon destin. Plus que le mien, c'était le sort de tous les individus que je souhaitais altérer, modifier, améliorer. On dit qu'aucun monde ne serait parfait pour chacun. Je ne vois pas comment un monde où la peur, l'ignorance et la haine érigés en maîtres, peut faire un quelconque bien.

Je ne vivais vraisemblablement pas à l'époque la plus propice à l'évolution de mon projet. Loin de l'idée de paix que je souhaitais voir véhiculée, c'était la guerre qui, secrètement, se préparait, la terreur qui, sinueusement, s'accrochait aux cœurs des enfants. Mais un régime d'oppression réclamait la révolte, l'insurrection. Je rejoignais les rangs du Riot Club à la fin de ma quatrième année à Poudlard, et au milieu de ce groupuscule se serrant les coudes afin de transmettre messages d'espoir et de renouveau, je sentais que je touchais à quelque chose qui marquerait ma vie entière. Ce n'en était pas l'aboutissement, ce n'était qu'un chemin qu'on empruntait en attendant que le brouillard se dissipe.

J'ai fui dès la fin de mes ASPICS. Le cumul des amendes que je n'avais pas les moyens de payer... Je sentais que quelque chose de sombre se préparait. Il fallut attendre pas loin d'une année avant que les choses commencent à basculer un peu de notre côté, quand nous récupérâmes Godric's Hollow. Une presque année marquée par la solitude, l'évitement permanent, l'épuisement, la faim, la course contre un ennemi bien difficile à cibler. Vous croyez alors voir le bout du tunnel quand vous retrouvez un foyer, l'apaisement d'une vie plus équilibrée. J'ai vécu le noir des cachots, les interrogatoires interminables, les tortures psychologiques auxquelles vous soumettez votre cerveau en tentant de déceler le vrai du faux, en sachant que toute erreur sera létale, fatale. J'ai commencé à comprendre l'horreur de ma tâche : porter le monde sur ses épaules, c'était comme être enfermée là pour l'éternité. Il n'y avait pas d'issue, pas de fin. Je n'avais pourtant pas le droit de baisser les bras à présent, il n'était plus question que de manger la merde en silence en attendant que s'éveille une nouvelle aube ne serait-ce qu'un soupçon moins désespérante.

Il est là, aujourd'hui, l'espoir. Un gouvernement terrassé, même si la menace gronde encore, réclame ce qui lui fût dérobé. Retrouver Poudlard, l'avenir possible, des mutations politiques qui laissent entendre que oui, les choses peuvent changer. Et je compte bien le prouver.

Si vous croyez, votre confort retrouvé, que l'heure est au calme, que la tempête est terminée... Détrompez-vous. Votre monde n'est pas parfait. Cessez donc de vous en satisfaire. »