A quelques lieux d’un village paisible se trouvait une masure délabrée, tenant à peine debout, traversée de courants d’air semblables à des gémissements. C’est ici que vivaient les Gaunt, derniers héritiers d’une puissance dépassant l’entendement. Derniers remparts de la décrépitude des temps modernes. Leur sang était leur bien le plus précieux, conservé pur de génération en génération grâce à une consanguinité malsaine. Il était primordial pour eux que leur lignée survive, que l’héritage de Salazar Serpentard soit conservé intact. Mais ils n’étaient plus que quatre et l’une d’entre eux était incapable d’enfanter, la rendant perfide et amère. La sœur de cette vipère avait donc sur elle toute la responsabilité de mettre au monde une descendance digne de porter le nom sacré des Gaunt. Elle avait pourtant mis au monde un jeune mâle mais il était incapable de magie, incapable de s’exprimer en Fourchelangue, langue si naturelle pour les autres membres de la famille. Ce ne pouvait être l’héritier qu’ils attendaient tous. Il était trop faible pour cela. Alors il était mis à l’écart, ignoré et maltraité par le seul véritable homme de la maison. Celui-ci voulait un vrai fils et non pas ce petit être pâle et inapte. Mais sa femme était incapable d’accomplir sa mission. Chaque fois que son ventre s’arrondissait, cela finissait en une mare de sang, ce sang si pur qu’elle n’arrivait pas à transmettre. Pourtant, trois années après la naissance du premier bâtard désavoué, un petit miracle se produisit. Elle réussi à mener une seconde grossesse à terme et de cette énième union incestueuse naquit une petite fille, Evaleksya Gormlaith Gaunt. Ce n’était pas l’héritier mâle qu’ils attendaient tous mais le père fut satisfait. Si sa femme ne réussissait pas à engendrer un autre fils, le fruit de leurs entrailles y parviendrait.




Les années avaient passé et la petite fille avait grandi. Elle était ce genre d’enfant qui, d’un sourire, pouvait illuminer une journée entière. Elle ne semblait pas à sa place dans cette maison funeste et abîmée par le temps. Bien trop joyeuse, trop encline à rire et à s’amuser. Cela agaçait souvent son père, homme brutal et détruit par l’alcool et la misère, mais il cédait souvent à ses caprices et à son sourire. Il était bien plus doux avec elle qu’il ne l’avait jamais été avec son fils. Il était bizarre, ce fils. Diamétralement opposé d’Evaleksya. Alors que son rire parfumait la masure et que les serpents suivaient ses pas de danse improvisés, il fuyait leur présence et allait se réfugier sous un grand arbre. Pourtant, elle l’aimait bien son frère, à sa manière, mais il était trop solitaire, trop replié sur lui-même. Alors elle envoyait les reptiles le chercher, pour qu’il tourne son regard sur elle et vienne jouer à ses côtés, le fait qu’il en ait peur n’entrait pas en ligne de compte. Elle était égoïste la petite fille, un égoïsme propre aux enfants qui ne sont que rarement contrariés. Sa famille était souvent aux petits soins pour elle avec leur monstruosité et leurs arrière-pensées, mais elle était bien trop jeune pour se soucier de ce genre de détail. C’était leur princesse, leur petit trésor, celle qui allait donner vie à son tour d’ici quelques années. Car sa mère avait continué à enchaîner les fausses couches. Elle était fatiguée, incapable de se nourrir correctement et de mener une grossesse à terme. Elle était jeune Evaleksya lorsqu’une énième marre de sang vint emplir de colère son paternel. Elle était inutile, désormais, cette femme incapable d’enfanter, qui ne faisait que gémir et lui rire au nez. Qui l’avait trahi en donnant naissance à un bâtard. Il en avait marre de supporter cette femme dont la faiblesse faisait honte à son nom. Sa colère la laissa sans vie, immobile, enfin débarrassée de toute cette monstruosité.




Corvinus ne s’était pas soucié que sa femme vive ou meure. Il avait une fille qui remplirait sa mission bien mieux que sa défunte épouse ne l’avait jamais fait. Mais pour l’heure elle était trop insolente, trop désobéissante. Il fallait qu’elle apprenne où était sa place sinon elle deviendrait une odieuse catin comme Elizaveta avant elle. Une catin qui ouvrait les cuisses devant n’importe qui et n’avait pas hésité une seule seconde à souiller la pureté de leur sang en mettant au monde un odieux bâtard. Il ne serait pas toléré que sa fille suive le même chemin. Il fallait qu’il la soumette, qu’il la modèle à son image. Mais l’enfant ne fut pas facilement domptable. Elle ne comprit pas pourquoi du jour au lendemain son monde s’était effondré. Sa maman était morte et son père lui montrait enfin le monstre qu’il avait toujours été. Toutes ses illusions, tout ce qu’elle croyait parti en fumée pendant que son père l’éduquait à son odieuse manière. Dans sa folie, il savait qu’elle ne devait pas être trop abîmée, du moins physiquement, et qu’elle était inutile avant sa puberté. Mais les coups et les insultes répétées eurent raison de l’enfant malicieuse et souriante qui vivait ici autrefois. Elle se changea en poupée docile aussi craintive et renfermée sur elle-même que son frère l’était. Finalement, les flammes vinrent la libérer de son bourreau et elle pu entamer une nouvelle vie. Mais ce que son père lui avait asséné n’arrivait jamais vraiment à disparaître de son esprit. Qui elle était, ce qu’elle devait faire, d’où elle venait, tout ça tourbillonnait dans sa tête sans jamais vraiment la quitter. Il ne restait qu’un seul Gaunt mâle vivant et elle, contrairement à son géniteur, ne le considérait pas comme un bâtard. C’était son frère, sa seule famille à l’exception de sa tante-cousine tellement atteinte de consanguinité qu’elle était incapable de procréer. Elle reporta toute son affection sur ce frère qui, désormais, prenait soin d’elle. Et elle l’aimait ce frère, elle l’aimait à sa manière et lui l’aimait à la sienne, une manière bien éloignée de ce qu’était normalement l’amour fraternel.




« Gaunt, Evaleksya. »
C’était un vieux chapeau rapiécé qui avait appelé la jeune fille. Elle se trouvait dans l’imposante Grande Salle du non moins imposant château de Poudlard, entourée des autres premières années qui attendaient leur répartition. Timidement, avec de grands yeux écarquillés par la peur, elle s’avança vers le couvre-chef que l’on posa sur sa tête. Assise bien droite, elle observait tous les regards curieux qui étaient tournés vers elle. L’appréhension la gagnait alors qu’une petite voix murmurait à ses oreilles. Elle ne réussissait pas à trouver le visage de son frère dans la foule, et c’est peut-être heureux sinon elle n’aurait sans doute jamais eu la force de douter aller à Serpentard. Elle imaginait fort bien la déception amère qu’il ressentirait si elle n’était pas admise chez les verts et argents. Pourtant, tout semblait la pousser vers cette maison. Elle était une descendante directe de son créateur, elle parlait Fourchelangue comme son noble ancêtre avant elle, elle avait l’ambition de réussir, de se sortir de la misère et de la pauvreté et sa seule famille était assise à la table des serpents. Mais elle voulait voler de ses propres ailes la petite poupée aux cheveux semblables à des flammes. Et le choixpeau voyait en elle quelque chose de différent, une soif de connaissance inépuisable, une intelligence certaine et avide de se développer. Aussi fut elle envoyée chez les aigles, dont le regard perçant pouvait débusquer les reptiles et les dévorer sans qu’ils puissent se défendre. Ce fut son premier pas la poussant sur une autre voie que celle tracée par sa famille, voie qu’elle cherchait à fuir mais qu’elle ne pouvait se résoudre à abandonner.




Un cimetière. Celui où était enterré la mère trop fragile et le père monstrueux, et tous leurs ancêtres. Un cercueil. Il était vide, elle le savait. Il était vide mais son cœur l’était aussi. Elle ne ressentait plus rien. Elle tenait dans ses bras un bébé minuscule qu’elle détestait de toute son âme mais cette haine ne suffisait pas à la réchauffer. A quoi bon désormais ? Electre était tout ce qu’Evaleksya ne serait jamais, une enfant normale née d’une union qui ne défiait pas la nature, dont l’avenir dépendait d’elle et non pas des autres. Une enfant aimée par son père, mais qui n’était pas la sienne. C’était elle qui aurait dû mettre au monde la nouvelle génération des Gaunt. C’était elle et personne d’autre et encore moins une trainée sortie d’on ne savait où que son frère avait dégoté et choisi pour des richesses inutiles. Il avait trahi son sang, s’était prostitué pour de l’argent et avait salit le nom des Gaunt avec une impureté manifeste. Electre était tout cela, et bien plus encore. Mais cela n’avait plus d’importance. Alekseev était mort et avec lui tout espoir de perpétuer la lignée. Il n’y avait pas que cela cependant. Il lui manquait bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Il lui manquait ce frère qu’elle voulait repousser, avec son côté cruel et ses accès de violence. Il lui manquait avec ses regards tantôt pleins d’amour, tantôt pleins de haine. Tous ces gestes échangés, ces caresses, ces disputes, ces longues heures à parler, ces moments réconfortants mais aussi ceux emplis de brutalité. Une larme coula sur sa joue alors qu’elle déposait une rose sur le cercueil vide. Aussi vide que son cœur et que son âme désormais.




Alekseev n’était finalement pas éteint et les larmes s’étaient taries un temps. Le soulagement l’avait envahie et l’avait porté pendant longtemps. Mais désormais, la poupée aux cheveux de feu s’interrogeait. Etait-ce normal que son univers entier ne dépende que d’une seule personne ? Etait-ce normal que tout s’arrête lorsqu’il n’était plus là ? Il lui semblait que non, mais elle ne savait pas comment se dépêtrer de cette situation. Elle ne savait pas comment changer cette relation malsaine. Elle ne savait même pas si elle en avait envie, au fond. Mais elle essayait de changer de bras, de goûter d’autres lèvres, attisant par la même occasion la jalousie de l’être convoité. Elle avait fait ses adieux à son patronus en buvant le remède et était seule désormais. Seule face à ses choix et à son avenir. Mais elle ne savait pas quel chemin choisir, quelle voie emprunter. Elle était seule mais en même temps plus entourée que jamais. Seulement, ils ne comptaient pas. Personne ne comptait si ce n’est la personne dont elle voulait se détacher.