Ange. Elle s'appelle Ange et il n'y a rien qui puisse me convaincre plus encore que le destin aime se foutre de notre gueule. Elle porte mon second prénom, et nous sommes opposés en tout point. Elle s'appelle Ange et en est un, un vrai.

Cette fille est réellement parfaite. Vous vous souvenez de ce que j'ai dit, un peu plus tôt ? J'ai beau avoir le C.V. du gendre parfait, je suis loin de l'être. Elle, c'est la fille que tous les parents rêvent d'avoir, que toutes les filles veulent avoir en amie, les professeurs en élèves, les mecs en copine sérieuse. Joyeuse, amicale, souriante. Mon complet contraire que j'aurais normalement du fuir comme la peste. Mais sous couvert d'être la jeune fille parfaite se cache une solitude qu'elle n'a pas tardé à me montrer. Elle a levé le voile sur son secret et a voulu le partager avec moi... Car elle a vu ce que personne d'autre n'a vu, notre triste point commun : nous sommes seuls et nous ennuyons à mourir. Mais quand elle se démène pour sauver les apparences, je m'enfonce de plus en plus dans mon marasme. Elle veut jouer ? Alors nous jouons.

Je lui ai fait raconter tous ses secrets. Ces petits trucs de fille qu'elles ne racontent pas parce que ça casse le mythe de la gente féminine qui ne fait pas caca, sa première fois avec un garçon, sa vie de famille. Comment se parlent ses parents, déjeunent-ils ensemble, est-ce qu'ils se disputent souvent ? Ma curiosité m'a dépassé sur ce coup, et très vite elle m'a posé des questions elle aussi. Pas question que ça n'aille que dans un sens. Comme à mon habitude, j'ai paniqué. Je lui ai dit que mes parents étaient à l'étranger - euh, non, morts - enfin, juste mon père de mort - je suis adopté - ils sont gays - moldus - roux. J'ai eu du mal à respirer. Elle m'a calmé. Elle était définitivement trop parfaite.

Mais la perfection, c'est chiant, alors si elle voulait m'aider, il n'y avait en fait qu'une solution. Je sais que j'ai un problème. Ou même plusieurs. Ce dont j'ai besoin, ce n'est pas d'une fille souriante qui me dira que c'est pas grave, c'est de quelqu'un avec qui partager cette merde. Quelqu'un qui comprenne, et pour comprendre, il n'y avait pas tant de solutions possibles... Je lui ai tout raconté, en regardant droit devant moi, en évitant son regard. Papa, maman, ils ont l'air géniaux, hein ? Well, guess what, ils sont aussi frère et sœur. De la chance de ne pas avoir finit handicapé ? Penses-y de nouveau, j'ai été diagnostiqué bipolaire et je n'ai aucune idée de comment gérer tout ça. Toute ma vie j'ai eu des crises de colère sorties de nulle part qui m'ont poussé à briser des meubles, blesser des gens. Et mes parents ? Pour eux, je suis simplement faible. Mon père - à peine sexiste - me traite de bonne femme qui ne sait pas gérer ses émotions. Et ce n'est pas comme si je pouvais essayer de fermer les yeux sur tout ça, parce que cette condition me suit partout où je vais. J'aurais beau me casser le cul en cours et finir premier ministre, il y aura toujours des moments où je voudrais briser les jambes de mes conseillers, des moments comme ça pour me rappeler que je ne suis pas assez bon, pas assez fort, pour me contrôler. J'ai beau faire du mieux que je peux chaque jour, je reste ce déchet incapable. Tu vois, Ange, même si je souriais à la vie, même si je dansais la vie, ça ne servirait à rien, parce que chaque ami que je me ferais serait une personne qui risquerait de me faire avoir une crise. Comment me blâmer de repousser tout le monde ?

Et elle est restée. Cette pauvre, conne, trop gentille fille est restée. A mes côtés, elle croit qu'elle pourra poser une main sur mon épaule à chaque fois que je dérape, qu'elle sera là pour me faire tenir jusqu'à la fin de la journée. Oh, pauvre petite souris. Tu ne sais donc pas que les chats torturent leur proie avant de les manger.