☆ Elle sait qu'il est malade. Que sa maladie est rare et bizarre. Qu'il ne pourra plus remarcher comme avant. Que cela va engendrer des dizaines de modifications dans leur vie de tous les jours. Qu'il ne pourra plus courir avec elle dans les champs encore humide de la rosée du matin. Qu'il ne sautera plus sur son lit le matin pour la réveiller en criant. Qu'ils ne feront plus la course du « premier arrivé jusqu'à la porte » en rentrant à la maison. Qu'il ne peut même pas songer à l'idée d'intégrer l'équipe de Quidditch de Poudlard lorsqu'il ira enfin à l'école de magie. Que l'idée d'approcher les dragons est prohibée. Antanasia sait plein de choses du haut de ses six ans. Elle sait qu'en fait il ne faisait pas exprès de tomber en pleurant lorsqu'ils jouaient à touche-le-loup. Elle sait que ce n'était pas par paresse lorsqu'il refusait de la suivre dans la cabane dans l'arbre. Que lorsque la douleur le réveille la nuit, ce n'est pas parce que c'est une chochotte qu'il pleure, mais bien parce que ça le fait souffrir. Elle sait qu'il ne la nargue plus pour jouer parce qu'il se sait incapable de tenir la course si elle se lance à sa poursuite. Elle sait aussi qu'il se déteste d'être aussi faible. Qu'il ne supporte plus de la voir marcher, courir et sauter autour de lui. Antanasia comprend, du haut de ses six ans. Alors, elle comprend aussi qu'Orion, leur papa, sera plus disponible pour lui, pour lui faire plaisir. Que leur maman, Anita, sera souvent à son écoute. Que la famille jettera des regards discrets et apitoyés, curieux mais fataliste. Et que ça rendra Siegfried fou de rage. Parce que du haut de ses huit ans, Sigi comprend, lui aussi. Il comprend que désormais il n'est plus question de suivre sa petite soeur pour des aventures rocambolesques. Il comprend, parce qu'on le lui a dit, qu'il devra se ménager pour éviter une aggravation trop rapide de la maladie. Qu'à seize ans il pourra peut-être perdre la capacité à marcher. Siegfried et Antanasia ils en comprennent des choses. Beaucoup. Beaucoup trop pour des enfants. Mais Antanasia comprend que le sourire de son frère ainé est désormais la seule chose qui la rassurera, la seule garantie de son bien-être. Alors Antanasia sait aussi que désormais, le sourire de Sigi est son seul objectif.

☆ « Fais attention Sigi. Si il nous arrive quelque chose on va se faire gronder, on n'a pas le droit d'être là. » « Relax Anta, on fait un tour, on regarde et on revient avant qu'ils rentrent, y'a rien de plus simple. » Les cailloux roulaient sous les pieds de la jeune sorcière tandis que d'une main, elle  s'agrippait aux anfractuosités de la roche. De l'autre, elle tenait serré contre elle son frère ainé qui peinait à la suivre sur le sol irrégulier et glissant. Déjà se faisait entendre le clapotis de l'eau et les ronflements de gorges synonymes de la présence des dragons derrière la paroi rocheuse. « Tu me tiens bien, hein Sigi ? On est presque en haut. » « Je te lâches pas, jamais. » Un sourire fit frémir les lèvres de la petite fille. « Là ! Anta regarde, ils sont là ! » « Ouaw...ils sont immenses. Tu sais ce que c'est comme race ? » « J'ai entendu Tonton dire que c'était des dent-de-vipère du Pérou de ce côté. » Traitre curiosité, encore un pas de plus, les graviers roulant dangereusement vers le vide, s'éclatant dans l'étendue d'eau bleue lagon quelques mètres plus bas dans un bruit sourd. « Ne t'approche pas trop près du bord Anta. » Le pied tâtonna aveuglément jusqu'à la faille sournoise. Comme dans un mirage son corps bascula brusquement. Telle une poupée désarticulée, ses membres balayèrent le vide en un vain effort pour que la saillie se raccroche à elle. Le plateau rocheux ne se trouvait qu'à trois mètres tout au plus mais la chute lui paru interminable. Le limpide regard de Siegfried se cramponnait à elle comme pour la retenir. L'eau entra enfin en contact avec son corps. Mordante sur sa chair tendre, elle l'engloutit ensuite dans ses bras séducteurs et apaisants. Douce langueur, plénitude nuageuse. Piqûre dans les poumons, brûlure impatiente. Ses bras s'agitèrent, dénués de sens et d'harmonie. On dit qu'avant de se noyer, on remonte trois fois à la surface. Son visage creva la surface de l'eau, ses lèvres s'ouvrirent en une profonde inspiration. Une.  Mais les roulis l'avalèrent derechef. Possessive et jalouse. L'eau est égoïste. Telle une Méduse en colère, les cheveux de la jeune fille s'agitaient semblable à des serpents gorgés de venin. Ses vêtements flottaient autour de son corps maigrelet, comme dotés d'une vie propre. Ses bras la propulsèrent de nouveau vers la surface, perçant la strate liquide, l'oxygène gonflant sa poitrine comme le nectar coulant dans la panse des dieux grecques, accueillit avec la même avidité divine. Deux. Les fonds aquatiques cependant s'enroulèrent autour de ses jambes, l'attirant dans les profondeurs vaseuses du lac. Sa tête se vida de toutes pensées cohérentes. Survit. Encore une fois elle se débattit contre la houle pour laisser ses poumons assimiler l'air si précieux. Trois. Pourtant les démons immémoriaux de la mort ne l'entendaient pas ainsi et de nouveau ils agrippèrent son corps vers les abîmes du lac. Était-ce ainsi qu'elle allait mourir ? Croquée par un dragon, se vidant de son sang, un accident de balai ou un sort qui tournerait mal. Elle y avait déjà pensé. Mais jamais la noyade n'était venu étayer son esprit. Pourtant, c'était le sort qu'il lui semblait réservé. Ses yeux voyaient la lumière de la surface s'éloigner tandis que son corps se laissait glisser vers les tréfonds, alourdit par ses habits. Les paupières alourdit, un membre s'enroula autour de sa taille, la hissant à la surface puis sur la grève. L'oxygène s'engouffra au galop dans ses poumons, l'eau se retira à grand renfort de toux. « Antanasia, Antanasia ! Regarde moi, Antanasia. » Le choc encore présent, le corps tremblant se lova contre celui rassurant de son frère, au bord de la panique. « On est tout mouillé. Papa va nous gronder. » Siegfried serra un peu plus sa petite soeur contre lui, lorsqu'enfin les larmes de peur s'échouèrent sur ses joues, le choc laissant place au contrecoup. « Papa ne nous grondera pas mon Anta, je te promets. »

☆ Elle le vit tourner péniblement à l'embranchement d'un couloir. Elle s'apprêtait à le rattraper lorsqu'on lui barra presque la route. « Eh, Anta, tu viens au lac avec nous ? C'est la fin de l'année, on s'en fout des devoirs, il fait chaud, on va se baigner. » La jeune fille esquissa un sourire gênée. « Non, désolée, je..je voudrais faire mes devoirs. » « Quelle rabat-joie tu fais Anta ! C'est quoi ton problème ? Tu aimes t'amuser pourtant. » Elle haussa les épaules, un sourire penaud aux lèvres. Son regard se perdit au dessus de l'épaule de son ami, là où le couloir s'assombrissait et où avait disparu sa silhouette. Elle mourrait d'envie de le rejoindre, d'être près de lui. « Ouh, ouh, Anta ? » La jeune fille secoua la tête pour reprendre ses esprits en souriant à son interlocuteur. « Oui ? » « Je te demandais comment c'était de vivre avec des dragons ? C'est vrai, je t'ai jamais posé la question pourtant y'a pas beaucoup d'monde à Poudlard qui a déjà pu voir des dragons en vrai. » La jeune Ingherneils soupira. Si c'était la première fois que son ami lui posait la question, ce n'était pas la première fois qu'on lui posait la question de façon générale. Tu as déjà touché les dragons ? Ils sont féroces ? C'est vrai que tel race fait ça ? Et ton cousin manchot, c'est un dragon qui lui a fait ça ? Et Siegfried ça vient des dragons sa maladie ? Au fil des ans, Antanasia avait appris à se maîtriser et donner aux gens ce qu'ils voulaient sans trop en dévoiler sur sa vie, respectueuse de l'intimité de sa famille, mais lorsqu'on ne venait pas lui parler de dragon, c'était de son père. Dis, ton dar..Professeur Ingherneils a enlevé vingt points à ma maison, tu pourrais pas lui demander une faveur ? Il m'a mis un T ! UN FOUTU T ! Un truc sur lequel j'ai bossé toute la nuit ! Hey, Anta, j'ai remarqué que ton père m'aimait bien, tu pourrais pas lui d'mander de m'ajouter des points ? Si son frère n'avait pas été sa préoccupation première, l'avalanche de questions qu'elle subissait régulièrement lui aurait fait péter un sacré plomb. L'appel de son ami fit de nouveau sortir la jeune fille de ses pensées bien haut perchées. Elle secoua de nouveau la tête. « Je suis désolée, je n'ai pas envie d'aller me baigner, ça ne me dit vraiment pas. » Son ami soupira et repartit en direction du parc en marmonnant des propos incompréhensibles. Enfin débarrassée des questions un peu trop personnelle, la jeune fille se hâta de rejoindre le croisement où avait disparu celui qu'elle cherchait. Le pas hâtif, quelques livres dans les bras, elle courant presque après lui jusqu'à ce qu'elle manque de le percuter en haut d'un escalier. « Oh, mon Sigi ! » Elle sentit immédiatement les bras de son frère la serrer du plus fort qu'il en était capable contre lui. Elle avait besoin de lui, c'était viscéral.

☆ « Raconte encore une fois, Sigi. » Pelotonnée sur le fauteuil au pied du lit de son frère, elle somnolait presque tandis que ce dernier lui racontait le conte du Sorcier et la Marmite sauteuse, de Beedle le Barde. La jeune fille avait élu son lit pour la nuit en ce fauteuil recouvert de velours vert champagne pour ne pas gêner Siegfried qui avait passé sa journée au lit. Mauvais jour. Il avait crié sur quiconque se risquer de franchir le pas de sa porte, et avait crié de nouveau lorsque personne n'apparaissait au quart de tour lorsqu'il disait qu'il avait faim. Seule Antanasia avait fait des aller-retour entre la chambre de son ainé et le reste de la maison, insouciante des cris et de la crispation ambiante chez les Ingherneils. Son père lui-même, pourtant monstre de patience en ce qui concernait ses enfants, avait manqué de jeter au feu la pile de parchemin qu'il corrigeait en ces vacances d'Avril. Siegfried était invivable ce jour-là. Et Merlin seul savait combien elle aimait son Sigi. « Ca fait déjà trois fois Anta. Tu n'es pas fatiguée ? Tu n'as pas arrêté de bouger de la journée. » « Moi ça va. Mais toi ? C'était particulièrement mauvais aujourd'hui hein ? » Son frère aîné hocha la tête puis haussa imperceptiblement les épaules. Soudain son regard se fit malicieux. En un clin d'oeil, Antanasia se rua sur le lit de Sigi et vint se blottir contre lui, puis d'un bras elle fit passer la couette sur eux. Elle se redressa en position assise. Ils étaient sous une cabane. Leur cabane. Celle qu'ils avaient élu leur nouvelle « cabane préférée » depuis que Sigi ne pouvait plus monter à celle qu'ils avaient construit dans un arbre du jardin. Celle où pendant des soirs durant, Antanasia avait raconté des histoires de pirates et de belles princesses à Sigi. Celle où il avait pleuré pendant des heures entre les bras de sa petite soeur, la douleur l'empêchant de tarir ses larmes. Celle où Sigi avait rassuré Anta, la berçant doucement, lorsqu'elle faisait des cauchemars. « Tu as faim ? Tu veux que j'aille chercher quelque chose à la cuisine ? » Elle sourit, de ce sourire si particulier réservé à son frère. « Si tu trouves des chocogrenouilles ou du pop-corn ça serait parfait. » « J'y cours. » Il ne lui fallu pas plus de deux minutes pour revenir avec un saladier rempli à ras bord de pop-corn et se réinstaller sous la couette avec Sigi. Elsker et Hnoss, tous les deux changés en léopard, étaient recroquevillés dans un coin de la chambre, se tenant chaud mutuellement. « Dis Anta, ça ne te dérange pas que je sois malade ? » La jeune fille se redressa brusquement en jetant un coup d'oeil surprise à son frère. « Pardon ? Mais pourquoi tu dis ça ? » « Je sais pas. Tu n'es pas souvent avec tes amis et puis, tu dois surement subir des moqueries à propos de moi, non ? » La jeune sorcière fronça un instant les sourcils puis posa le saladier un peu plus loin et prit une des mains de son frère à laquelle elle entrelaça ses doigts. « Siegfried, tu es mon frère. Mon grand frère. Celui que j'aime et que je chérirais toute ma vie. Des moqueries, oui, j'en ai surement eu, mais elles sont tout à fait insignifiantes. Tu es celui qui m'a sorti de l'eau il y a sept ans. Celui qui a toujours pris ma défense lorsque j'aurais du me faire punir. Le fait que je n'aille pas souvent avec mes amis, c'est un choix. » Antanasia se mordit la lèvre un instant puis pointa délicatement les jambes de son frère du doigt. « Tes jambes, ta maladie, tu ne les as pas choisi, Sigi. Mais moi j'ai choisi de t'aider, autant que je le pourrais. » Elle laissa un sourire étirer ses lèvres. « Que je ne t'entende plus jamais raconter une énormité pareil, jamais. » Au prix d'un effort que peu de monde était capable de calculer, Siegfried se mit à genou et d'un gracieux mouvement de bras, prit sa petite soeur pour la serrer contre lui. Instinctivement, elle trouva sa place au creux de ses bras, et tandis que le saladier se renversait sur le matelas, ils se laissèrent aller sur le lit et veillèrent l'un sur l'autre jusqu'à ce que Morphée vienne les cueillir à l'horizon du sommeil.