Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Ça ne se peut pas. Ce n’était pas prévu. Jamais, jamais il n’aurait pu l’imaginer. Et pourtant… Tout est bien réel. Il en a la preuve en face de lui.
Ses mains tremblent. Il déglutit. Ravale un cri.
Elle est morte. Morte. Pouf, partie, envolée. Elle est morte en accouchant d’une petite gamine. Elle est morte. Morte.
Morte.
Pour toujours. Pour toujours. Et jamais il ne la reverra. Jamais.
« Tu m’as menti ! Tu disais être sorcière. Tu disais avoir des pouvoirs. Mais tu m’as menti. Tu es morte. Morte comme une faible femme en me laissant un bébé sur les bras. Tu n’as jamais eu de pouvoirs. C’est impossible. Sinon, tu ne m’aurais pas abandonné. Tu ne m’aurais pas abandonné ! »
Le cri de Monsieur Oddish se perd dans le silence de la nuit. Il ne pleure plus. N’as même plus la force de casser le moindre objet. Il se sent vide et seul. Seul comme il ne l’a jamais été. Il l’aimait. Il l’aimait plus que tout. Sa femme. Mais à présent, elle avait quitté ce monde. Elle avait quitté ce monde et elle l’avait quitté lui.
« Tu m’avais promis une vie de rêve. Tu prétendais que l’on serait encore plus heureux à trois qu’à deux. Mais tu as décidé de nous laisser tomber. Tu m’as laissé tomber ! Morte. Morte. Voyez-vous ça. C’est à cause de la petite. Je le sais. Je le sais. »
L’homme se met à faire les cent pas, sans prêter attention au berceau qui se situe au milieu de la pièce. Sans même voir le petit corps endormi qui se trouve à l’intérieur.
Nous sommes à la fin du printemps. Nous sommes un 1er Juin. Et cette nuit-là, une nuit qui restera dans les mémoires, monsieur Oddish, fou de chagrin se jura qu’il en aurait fini avec toutes ces histoires. Il ne penserait plus à sa sorcière de femme, elle l’avait trahi. Il oublierait sa « fille », car elle ressemblerait à l’amour de sa vie, c’était certain.
D’ailleurs, la « magie » n’existe pas. Sa femme était folle, voilà tout. Elle s’était juste « inventée » une vie.
Exactement.
La magie n’existe pas. N’existera jamais.
Du moins, monsieur Oddish, essaie désespérément de s’en convaincre. Cette nuit-là, il a choisi de noyer son chagrin dans la haine et le mépris.

Monsieur Oddish est devenu un autre homme.


Elle est seule. Toujours seule. Désespérément seule.
Sun est allongée sur son lit. Des larmes, de grosses larmes, roulent sur ses joues. La solitude la ronge de l’intérieur. L’anéantit petit à petit. Dans l’horrible silence de la pièce, elle se demande ce qu’elle a bien pu faire. Qu’a-t-elle fait à part naître, pour mériter cela ? Plus de mère. Un père qui est rarement présent. Un père qui ne parle presque pas. Qui a sans cesse l’air détruit. Un père, aussi, qui a dans les yeux une lueur de folie.
Il ne veut plus vivre. Avec elle du moins, la jeune fille l’a bien compris. Mais elle ne sait pas. Elle ne sait pas pourquoi elle doit endurer tout cela. Ils pourraient se serrer les coudes à deux. Comme le font habituellement un père et sa fille. Mais ce n’est pas le cas.
Ça n’en sera jamais le cas.
« D’ACCORD ! »
Le cri de Sun résonne un moment dans la petite chambre. Elle se lève d’un bond, une lueur étrange dans les yeux. Ses larmes s’arrêtent alors de couler. C’est une nouvelle énergie qui l’anime.
Lentement, Sun sort un petit couteau de sa poche et s’entaille le pouce. Elle voit son sang tomber par terre et sourit. A partir d’aujourd’hui, elle ne se laissera plus envahir par la tristesse. Plus jamais.
« Je le jure ! »
Sun ne pleurera plus. Elle ira toujours de l’avant. Restera forte même dans les pires moments.
« Je n’ai pas besoin d’amour. Je n’ai pas besoin de tendresse. Je n’ai pas besoin de présence. Aujourd’hui, jour de mon neuvième anniversaire, j’en fais le serment de sang… Plus jamais, je  ne désespérerai. Je suis forte. Resterai forte. Et un jour, je m’envolerai loin d’ici… Je serais libre ! Libre. »
Sun s’assoit sur le rebord de la fenêtre. Elle est encore seule, mais ce n’est pas grave. Car en ce 1er Juin, elle a décidé de se battre.
Le vent souffle. Un vent frais. Un vent qui donne du courage. Et ce vent-là semble murmurer un mot, un seul… « Liberté ».


« Et après, il faudra que nous posions les guirlandes un peu partout dans la maison ! » s’exclama une voix morne, une voix lasse.
Sun hoche la tête froidement. Chaque année, quand Noël approche, son père répète toujours les mêmes phrases. Il les répète de la même voix éteinte.  La jeune fille s’est toujours demandée pourquoi ils prenaient encore la peine de fêter Noël. Ni l’un, ni l’autre, ne s’étaient plus regardés dans les yeux depuis longtemps. Célébrer les fêtes ne servait à rien. Son père en avait probablement conscience. Alors pourquoi ? Pourquoi insistait-il tellement ?
Tout en s’interrogeant, Sun glisse une boule usagée sur l’une des nombreuses branches du sapin synthétique qui lui fait face.
Soudain, elle s’arrête net. Fige même son geste. La jeune fille se retrouve comme paralysée.  Brillant d’une douce lumière argentée, un tigre la regarde.
Cette nuit-là, malgré son serment d’il y a quelques mois, Sun faillit verser une larme. Elle se croit folle et personne ne peut le lui reprocher. Après tout, elle n’est pas encore au courant, que dans le monde, beaucoup d’enfants un peu « spéciaux » ont vu apparaître à leur côté un animal de lumière en même temps qu’elle.
Pourtant, plus les heures passent, plus Sun se dit, que peut-être son destin est entrain de changer…
Peut-être que sa vie est sur le point de prendre un nouveau tournent.

Pour le meilleur. Ou pour le pire.


Sun admire le ciel. Jamais elle ne l’a vu aussi beau. Tout lui semble plus doux maintenant, plus heureux. Sa vie n’est plus la même.
Tout va changer, enfin. Quand elle regarde son pouce à présent, ce même pouce qu’elle s’était tailladée quelques années au-par-avant, la jeune fille se dit que ses journées de solitudes sont bien loin d’elles à présent.
Nous sommes un 1er Juin. Sun a soufflé sa onzième bougie. Et ce matin, elle a eu l’agréable surprise de voir un hibou sur le rebord de sa fenêtre. Dans sa patte ? Une lettre.
Une lettre qui a tout changé.
Car Sun est une sorcière. Et dans quelques mois, elle quittera cette maison qui a fait peu à peu de sa vie un enfer monotone et triste.

Aujourd’hui, sa vie a changé.

Aujourd’hui, elle arrive enfin à laisser son passé derrière elle.