Flaminia Cruz-Hamilton observait le jardin à travers la fenêtre de sa chambre, située au premier étage de la grande demeure familiale engoncée dans la lande écossaise battue par les vents. Le vent courbait les peupliers entourant l’allée principale ; la pluie fouettait les fenêtres, émergeant par vagues gelées du ciel couleur d’anthracite. Les nuages roulaient bas en cette fin d’après-midi d’un automne terne quoi que banal. Assise dans la causeuse d’acajou, Flaminia recouvrit ses épaules de l’épais châle qu’un Elfe de maison lui avait apporté quelques instants plus tôt lorsqu’elle sentit un frisson gelé lui remonter le long de l’échine. Une étrange sensation s’insinuait en elle depuis fort longtemps, songeait-elle tandis que son regard sombre se perdait dans la lande noyée d’orage. Un coup la fit sursauter violemment, et Flaminia posa avec douceur une main rassurante sur son ventre arrondi. D’une voix douce, la jeune femme se mit à fredonner une musique pour apaiser le petit être qui grandissait à l’intérieur de son ventre et qui avait résolu de vouloir se battre contre quelque chose, ne cessant de s’agiter. Lorsqu’il eut terminé ses cabrioles, Flaminia poussa un léger soupir de soulagement en se recalant dans la causeuse. La demeure, qui ne résonnait que de l’écho lointain du roulement de tonnerre et des bruits des Elfes de maison s’agitant au rez-de-chaussée, se retrouva animée de sons plus familiers ; des pas dans le salon à l’étage sous elle, des voix, certaines fluettes, appartenant aux Elfes,  une autre plus grave, suave. Flaminia sourit en caressant son ventre tandis que les pas prenaient le chemin de la pièce où elle se trouvait, serpentant le long des escaliers noueux. « Papa arrive, mon cœur », sourit-elle tendrement dans un murmure, tandis qu’un homme d’une taille imposante mais mince s’encadrait dans la pièce. Ses cheveux d’un blond cendré tranchaient dans l’atmosphère apocalyptique qui se déchaînait à l’extérieur. Lorsque Cornelius Hamilton vint embrasser sa femme, Flaminia ne put s’empêcher de se sentir heureuse. Heureuse. Elle était heureuse.

Cornelius poussa un soupir, faisant rouler le Whisky Pur Feu au fond de son verre. Enfoncé dans son siège de bureau, la pièce saturée de l’Emeraude des Serpentards, son ancienne maison à Poudlard, et de reliures des épais livres de cuir reposant sur des étagères de chêne massif était plongée dans une semi-obscurité désespérée. Cornelius avala une nouvelle gorgée, et sentit l’alcool lui enflammer la gorge avec une sensation de douce amertume. La seule chose qu’il espérait encore, c’était l’alcool finisse par avoir raison de sa conscience. Que les vapeurs lui embrument les pensées au point qu’il ne saurait plus ressasser. Un léger trottinement se fit entendre dans le couloir, et Cornelius aperçu une ombre s’arrêter devant la porte mi-close. « Papaaa, Zoya elle pleure », dit timidement Jared. Son fils, du haut de ses cinq ans, n’atteignait la clenche de la porte qu’en se hissant sur la pointe des pieds. C’était un adorable petit garçon, avec les cheveux et les yeux noirs et profonds de sa mère Flaminia. Intrépide ce qu’il fallait sans être un atroce bambin. Mais il existait, songea amèrement Cornelius en dardant ses prunelles noires sur l’enfant. Il existait, avec son sourire, ses rires ; il existait, avec ces cheveux et ces yeux qui n’étaient pas à lui ; c’était le visage de quelqu’un d’autre, celui de sa mère, qu’il arborait fièrement. « Viens là », ordonna Cornelius d’une voix dure. Il savait qu’il avait bu plus que de raison. Mais il n’en pouvait plus de se contrôler. Jared traversa la pièce en trottinant vers son père. Celui-ci fit pivoter sa chaise vers lui et se pencha vers lui. « Jared, tu te souviens de ce que je t’ai dit, la dernière fois ? », demanda-t-il de sa voix suave avec un sourire froid. Jared le fixa de ses yeux noirs et, après une seconde de réflexion, secoua la tête en signe de dénégation. Cornelius se redressa, la colère bouillonnant dans ses veines. Il se saisit de son verre, avala la dernière gorgée de Whisky Pur feu et fit tourner le verre vide entre ses doigts. « Je t’ai dit, commença-t-il paisiblement, de ne plus venir m’importuner ici ». Jared fixait son père avec perplexité et Cornelius sentit la rage le submerger. Avant d’ajouter quoi que ce soit, il jeta dans un mouvement rapide le verre, qui traversa l’air en sifflant avant de s’écraser contre le mur. Jared sursauta si violemment que son dos heurta la bibliothèque derrière lui. « Suis-je clair ? », s’époumona Cornelius sous le regard tétanisé de Jared, qui hocha la tête en tremblant avant de se diriger vers la porte avec précipitation. Lorsque les pas terrorisés de son fils se furent éloignés, Cornelius considéra un moment en silence la porte pas complètement close. Puis, dans un nouveau sursaut de colère incontrôlable, il envoya valser tout ce qui se trouvait sur le bureau, lampe, plume, parchemins, de même que le cadre contenant sa photo de mariage, dans laquelle Flaminia l’embrassait amoureusement sous les applaudissements de la foule. Le bonheur avait disparu de cette grande demeure. Et la tombe qui reposait dans le caveau familial depuis maintenant huit mois ne faisait que lui rappeler chaque jour combien il était loin.

« C’est quoi ça, Jared ? », demanda Zoya en le désignant du doigt. Jared arqua un sourcil, se tourna vers le miroir accroché au mur et porta une main à l’hématome qui s’étirait sur la peau de sa tempe, tout près de son oreille droite. « Je me suis cassé la gueule dans les escaliers », répondit-il rapidement sans s’embarrasser de politesse. Sa petite sœur le considéra un moment, peu convaincue, mais n’ajouta rien et porta une nouvelle cuillère de potage à ses lèvres tandis que Jared la fixait farouchement. Le silence reprit ses droits dans la salle à manger vide de toute présence autre que la leur, et tout deux recommencèrent à manger au son du tic-tac d’une horloge moldue chinée dans une brocante par leur mère, peu après son mariage. Leur mère n’était plus là depuis longtemps, mais l’horloge égrenait toujours les secondes avec une sourde lenteur. « Bon ça suffit Jared, s’exclama finalement Zoya en reposant sèchement sa cuillère sur la table. Tu vas faire comme si tout allait bien pendant encore combien de temps ? » Jared ne répondit rien et détourna le regard. Zoya ne pouvait pas comprendre. Elle avait seize ans, était déjà dotée d’un fort caractère mais elle ne pouvait pas comprendre ce qu’elle ne vivait pas. « Jared », s’écria encore Zoya. « Mais tu vas la fermer un peu ? Tout va bien, je vais bien, je suis juste tombé comme un abruti. On va pas épiloguer pendant des heures », répliqua Jared avec la plus mauvaise foi du monde. « Je ne suis pas sourde. J’entends quand vous vous disputez ! Je sais que c’est lui qui t’a fait ça, et aussi tous les autres ! Mais bordel Jared, tu crois que je suis stupide au point de ne pas vous entendre ? », s’indigna Zoya. « J’ai jamais dit ça, je dis seulement que tu ne peux pas comprendre », s’écria encore son frère. « Ah oui, des histoires d’adultes, mais oui c’est ce que tu me sers depuis toujours ! » « J’encaisse parce que tout ce qui tombe sur moi ne tombe pas sur toi », finit par exploser Jared. Zoya le fixa, incrédule. Elle ouvrit la bouche, puis la referma sans qu’aucun son intelligible n’en sorte. « Quoi ? », balbutia-t-elle. Jared se sentit soudain incroyablement mal. Son cœur se serra à la seule pensée de ce qu’il venait de révéler à sa petite sœur. Il s’était toujours juré, chaque coup que son père lui infligeait, qu’il n’en parlerait jamais à Zoya. Jamais. « Maman est morte en te mettant au monde. Pour lui, c’est toi qui l’a tuée », murmura Jared dans un soupir. « Mais je n’ai jamais voulu ça », s’écria Zoya, les larmes aux yeux. « Je sais », murmura encore Jared, la rage au cœur.

S-T. Artemis Beauchamp a écrit:

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