[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Aleysia ? Aleysia, chérie, dis quelque chose ». Un long silence suivit la déclaration paternelle. Aleysia leva ses grands yeux bleus teintés d’amertume sur son père, qui la fixait toujours, plein d’espoir. Elle avait hérité de ses yeux bleus et de ses cheveux bruns, mais elle se sentait à des milliers de kilomètres de lui, alors qu’il n’était physiquement qu’à une poignée de centimètres tout au plus. « Maman voudrait pas », se contenta de dire la petite, âgée de sept ans. Le dos droit, les traits durs, elle se tenait fermement assise dans le grand fauteuil, ses jambes pendant dans le vide à une vingtaine de centimètres du sol, tandis que son père la fixait, accroupi près d’elle, guettant, espérant, priant pour qu’une réponse positive sorte des lèvres de sa petite fille. Mais Glenden déchanta rapidement. Son visage se teinta de déception tandis qu’une mine déconfite emplissait son beau visage de trentenaire encore jeune. « Chérie », murmura-t-il dans un soupir. Aleysia fixait son père sans aucune réelle émotion ; seule une sourde et inébranlable conviction luisait dans ses yeux bleus, la conviction que les choses ne changeraient pas. Pourtant elles avaient déjà beaucoup trop changées, songea Glenden avec tristesse. « Je me dis aussi qu’elle n’aurait pas voulu, reprit-il avec difficulté. Mais… maman est partie, tu comprends ? Elle ne reviendra pas. Je ne te parle pas d’avoir une nouvelle maman, juste une famille, une vraie famille ma puce ». Aleysia ne répondit rien. Elle se fichait d’avoir une nouvelle famille, une nouvelle maison, des nouveaux gens autour d’elle. Elle n’en avait rien à faire, rien du tout. La seule chose au monde qu’elle voulait c’était sa maman, sa maman à elle et pas la maman de quelqu’un d’autre, fût-elle celle de son propre père. « Je te promets que tu seras bien là-bas. On sera heureux. Presque comme avant », tenta Glenden en tentant d’insuffler un minimum d’enthousiasme. Les choses auraient pu être réglées si vite s’il ne s’était pas embarrassé de l’avis de sa fille… Après tout elle n’avait que sept ans. Elle ne pouvait pas savoir ce qui était bien pour elle, pour eux. Mais elle avait déjà tellement souffert de la perte de sa mère. Il ne voulait pas la jouer de cette façon avec elle. Les choses n’en seraient que pires. « Je ne veux que ton bonheur mon trésor. Je ne veux que ton bonheur », murmura encore Glenden. « Mais maman est là », dit enfin Aleysia avec un calme olympien. Glenden songea avec tristesse à la tombe de sa femme, à moins de trois miles de la maison où ils se trouvaient présentement. Il pouvait changer la vie d’Aleysia en changeant de pays. Mais il ne pouvait pas la détacher de sa mère au-delà de la mort. « Je veux qu’on vienne la voir souvent », exigea finalement Aleysia. Glenden leva les yeux sur sa fille, étonné. « Tu es d’accord alors ? Tu veux bien ma puce ? », demanda-t-il, ébranlé. « Je veux qu’on vienne la voir », répéta Aleysia, durcissant le ton. « On viendra ma puce. Souvent », promit Glenden en soulevant sa fille dans ses bras.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Aleysia, ce serait cool que tu apprennes ce qu’est la notion fondamentale de propriété privée ». La jeune fille balaya l’argument d’un geste de la main. « Et toi que tu apprennes à te détendre, Meven », répliqua Aleysia en haussant les épaules. Son cousin la toisa de haut en bas derrière ses lunettes. « C’est gonflé venant de la part de quelqu’un qui travaille si peu mais qui est si douée », grommela Meven avec amertume. « Je m’aère, très cher. C’est ça le secret », rétorqua Aleysia. La jeune fille de quinze ans s’assit sur le lit de son cousin, hermétique aux reproches qu’il pouvait lui délivrer. « Allez Mev, fais pas ton casse-bonbon, c’est Noël », reprit Aleysia en s’amusant avec la baguette qu’elle venait de prendre sur le bureau de son cousin. « Va quémander une vie alors », ironisa Meven. Aleysia fixa froidement Meven et se tint immobile. « Tu sais qu’une baguette se fracasse très, très facilement ? Allagan McPherson a cassé la sienne la semaine dernière. Il s’est assis dessus. Crac, d’un coup sec », dit-elle d’une voix doucereuse, faisant tourner la baguette entre ses doigts. Meven pâlit et fixa sa cousine, le regard dur. « Si tu fais ça je te jure que je te démontes », cracha Meven. Aleysia haussa les épaules et lui jeta le fin cylindre de bois qu’il attrapa maladroitement. « Garde-la ta baguette débile. Tu manques tellement d’imagination, c’est affolant », répliqua Aleysia en quittant la pièce. Moins d’une demi-seconde plus tard, la porte claquait derrière elle mais elle ne s’en formalisa pas. Après tout, il représentait si peu pour elle. D’une démarche féline, la jeune fille traversa lentement le couloir, faisant courir ses doigts le long du mur, s’amusant à serpenter entre les cadres. Les traditionnels portraient des ancêtres familiaux avaient déserté les toiles pour se retrouver dans le tableau du rez-de-chaussée pour leur traditionnelle semaine de Noël, où ils faisaient tous bombance autour de la table de Noël dans le tableau de ses arrières-arrières-grands-parents. Aleysia s’arrêta à peine devant une autre porte et l’ouvrit sans même y être invitée. Sa cousine Morgana leva ses yeux furieux sur elle. « Si tu viens encore pour me dire qu’il faut à tout prix que tu me relookes, je te démonte », cracha Morgana en croisant les bras. Aleysia leva les yeux au ciel. « Décidément, vous manquez tous tellement d’imagination », se contenta-t-elle de dire en levant les yeux au ciel. Elle quitta la pièce et la porte claqua une nouvelle fois derrière elle. Aleysia retraversa le couloir et descendit les escaliers jusqu’au premier étage. « Papa, j’aimerai que tu me dises ce qu’on fiche ici », déclara-t-elle tout à trac. Glenden posa le livre qu’il avait dans les mains et soupira. « Nous sommes ici parce que nous sommes une famille, ma chérie, que tu le veuilles ou non », répondit Glenden avec lassitude. « Ce n’est pas moi qui ne veux pas », répliqua Aleysia en haussant les épaules, butée. « Chérie, fais des efforts un peu. Nous ne venons ici que quelques fois par an, ne te fâches pas pour si peu », reprit son père. Aleysia haussa une nouvelle fois les épaules et prit le chemin de la chambre qu’on lui avait administré quelques jours plus tôt. Une fois la porte close, l’adolescente se laissa tomber sur le lit fraichement fait par les Elfes de la famille. Famille. Elle détestait ce mot, autant que le sens. Pour elle, ça ne représentait rien.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]« Aleysia, chérie, tu veux bien te calmer deux minutes ? », soupira Glenden, las. Aleysia fit volte-face et toisa son père, furieuse. Ses yeux bleus lançaient littéralement des éclairs et ses cheveux bruns tournoyèrent dans son dos. « Me calmer ? me calmer ? », éructa Aleysia. Comment pouvait-il exiger qu’elle se calme ? « Tu te fiches de moi ? Tu crois que je vais la boucler alors que ta garce de copine veut m’éjecter de cette maison ? », s’écria-t-elle encore, tournant en rond. Glenden se laissa tomber dans le fauteuil. Il savait que toute cette histoire allait semer la zizanie dans la famille. Il avait prévenu Katherine qu’Aleysia ne prendrait pas bien le fait qu’elle réquisitionne sa chambre pour sa propre fille. « Chérie, Marlasie n’est vraiment pas dans son assiette en ce moment. Katherine préfère la savoir près d’elle la nuit, et ta chambre et jointe à la nôtre », plaida Glenden. Mais il savait que la rage de sa fille était légitime. Lui-même n’aurait que très moyennement apprécié que l’on touche à ses propres affaires derrière son dos. « Ah oui, j’oubliais que l’enfant chérie avait toujours des problèmes », ironisa Aleysia de façon théâtrale. « Qu’elles aillent au diable, toutes les deux, je ne suis là que quelques semaines dans l’année et c’est déjà de trop on dirait », s’écria Aleysia en faisant de grands gestes de colère. « Mais non Aly, ne dis pas ça… », soupira Glenden. Aleysia ne s’embarrassa pas des excuses de son père – si t’en est qu’il lui en faisait – et se dirigea d’un pas rageur vers l’étage, où se trouvait la chambre débile qu’on lui avait désignée. Aleysia eut une envie de sortir sa baguette et tout faire flamber dans la pièce, pâle et sombre à mourir. Katherine n’avait pas encore déballé les cartons dans lesquels elle avait empaqueté les affaires de sa belle-fille, et certains gisaient sous la fenêtre par laquelle filtrait un jour pâle et diaphane. Aleysia shoota violemment dans un tapi roulé au pied du lit mais la colère n’avait pas disparue pour autant. Finalement, elle se laissa tomber sur le cadre de bois du pied de lit et fixa tristement le sol. Si sa mère avait été là, les choses seraient tellement différentes, songea-t-elle avec tristesse et amertume.