1976. By the sea mr. Todd, that's the life I covet. La mélodie de la mer désordonnée par rapport à la mécanique de son coeur était la seule chose qui lui était perceptible. Sur la plage irlandaise, Gretchen s'enfonçait peu à peu dans le sable humide, les pieds nus, sans y prêter une réelle attention. L'horizon captait son attention, lui rappelant que de l'autre côté de l'océan, son père et sa mère avaient fuit sa nature. C'est tout ce qu'elle savait. C'est tout ce dont ce triste anniversaire avait le goût: celui de l'abandon. Une sorcière était née de leur union, un monstre. Une enfant anormale, qu'ils ne contrôlaient pas, qu'ils ne reconnaissaient plus. C'était les moeurs de l'époque.
Les nuages se formant au-dessus de la côte promettait une soirée de pluie fraîche que l'adolescente trouvait au contraire des autres agréables à ressentir, purifiante. Elle resterait sûrement au-dessous, la capuche de son ciré rabattu en arrière. Les cheveux trempés, elle réfléchirait, comme toujours. Elle adorait tant réfléchir à cette vie qui lui semblait du haut de ses seize ans aussi inutile que répugnante, au milieu d'une famille d'accueil qu'elle n'arrivait pas à intégrer, au milieu d'enfants avec qui elle ne savait se comporter, qu'elle ne savait pas comment aimer. Elle s'assit alors que les premières gouttes touchaient la mer, dessinant des patrons irréguliers sur celle-ci, qui paraissait plus vivante que d'habitude. Le ciel pleurait, elle non. Elle ne pleure pas, elle ne veut pleurer. C'était l'anniversaire, celui de son arrivée ici, il y a cinq ans. Elle venait de recevoir sa lettre pour Poudlard, c'était une sorcière, une vraie. Une magicienne, comme elle le fut quelques halloweens dans son enfance, avec une baguette et des pouvoirs, des balais volants, des livres de sortilèges et des potions. L'hystérie de cette découverte s'était noyée comme un caillou lancé à la mer. Elle a coulé, elle coulait encore.
«Gret' ?» Elle reconnut immédiatement la voix cassée de Tommy, lointaine, puis le craquement de la barrière du jardin qui donnait sur la plage. Un soupire lui échappa, témoin du dilemme qui la partageait : être heureuse d'avoir sa compagnie, ou bien être ravie de son absence. Tommy était le fils légitime du couple qui l'accueillait, c'était donc son « frère », au même titre que les petits sorciers qui passaient par là durant quelques années, à son image. Un sorcier tout comme elle, qui fréquentait également Poudlard. Ils avaient le même esprit, la même ambition d'être simplement heureux et lui, plus âgé qu'elle y arrivait sans doute mieux. Lui avait des amis par dizaine, lui, avait des sourires et un charme fou qui ne laissait aucune fille indifférente, même pas elle. «Je t'ai ramené un plaid, je pensais que tu avais froid.» En parlant il déposa l'épaisse couverture sur ses épaules fatiguées, froides. Soudain tout était beaucoup plus chaleureux, parce qu'il était là, parce que son coeur s'ouvrait à lui, beaucoup plus facilement qu'aux autres et battait contre sa poitrine. Elle l'aimait. L'allemande leva les yeux et le suivit du regard, alors qu'il s'asseyait à ses cotés. Sur la plage qu'ils avaient partagés depuis ses dernières années, la fraternité n'était pas de rigueur, mais plutôt l'amitié. Cette solide amitié, qui la déstabilisait tant. Gretchen souleva l'appareil photo qu'elle portait autour du cou à longueur de journée et saisit une photo de ce si fidèle ami. Une nouvelle, parmi tant d'autres. Elle l'aimait, lui aussi. « Merci Tommy. » Un silence de mort c'était établi et seul la mer continuait à se faire entendre. « Tu comptes partir l'année prochaine, n'est-ce pas ? » Elle sentait son regard posé sur elle, la jaugeant, jugeant cette décision que tout le monde devinait aisément. L'année prochaine, elle serait majeure. « Oui. » Dit-elle, sure d'elle. Oui, elle partirait. Oui, elle pouvait vivre sa vie seule, avec sa conscience, son sale caractère et sa difficulté à se faire aimer des autres. C'était beaucoup plus simple pour elle.  « Tu ne seras plus ma soeur et tu vas donc nous oublier. » Il sourit, comme si c'était finalement amusant, tout ça. Tout ce malaise, cette solution trop simple, choisie par sa cadette. Partir, au lieu d'affronter les autres. Fuir, c'est tout ce qu'elle aimait faire. « Je ne me suis jamais sentie comme étant ta soeur. Il n'y a pas un jour où je ne penserais pas à vous. » Ou plutôt à lui. Plutôt à cette vie, si paisible, qu'elle compliquait toute seule. Se laisser être aimée, aurait été si simple. Se laisse apprivoiser, n'était peut-être pas aussi faible, qu'elle ne le pensait. Elle penserait tous les jours a lui, cela ne reprécisait de quelle façon, comme un horrible souvenir de sa vie, ou la chose la plus positive, dans cette histoire d'abandon. « Bien. » Il continuait de sourire, de la faire fondre. Cela n'avait rien de possible, mais elle était heureuse, ne pensait plus à ces parents, au loin. « Allez, on rentre !»
Que ferait-elle dans l'avenir ? Surement s'installer seule dans un petit appartement de Londres. Elle reprendrait le chemin de l'école et suivra le cursus de médecine magique, loin de tout ça. Elle oubliera surement son béguin passager pour son ami, et pour son prof d'enchantements, arrêtera d'en vouloir à sa famille. Elle sera heureuse, libre.