La main sous le menton, je regardais le professeur sans vraiment écouter ses paroles. Si j’étais intéressé par mon cursus, ce genre de choses m’arrivait régulièrement cependant. Comme une majorité d’élèves, je vous dirais. Mes yeux dérivaient sur les ouvrages rangés sur les étagères, le tableau, les mains gesticulantes du vieux, et les fenêtres. Quand ils n’allaient pas se ficher deux rangs  plus avant, sur la nuque de Teddy. Il y avait encore aujourd’hui une question qui me taraudait lourdement ; pourquoi diable avions-nous choisi le même enseignement supérieur ? C’était à croire que la chose avait été faite exprès. Je ne pouvais pas dire que je n’étais jamais tranquille puisque je l’évitai autant que possible. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de le fixer lourdement, nourrissant cette haine intérieure qui me consumait. Je me secouai la tête avant de la laisser tomber entre mes bras croisés sur le bureau. « Monsieur Emerson ! » Je me relevai presque aussitôt sous les rires des autres abrutis composant la classe. Me redressant un peu mieux, je pinçai les lèvres. « Excusez-moi professeur. » Le voyant me regarder par-dessus ses lunettes, je compris que ça n’était pas terminé.  « Prenez-donc ma suite. Page trente-deux, monsieur Emerson. » De la lecture ! C’était bien ma veine. Parmi les visages retournés, je vis bien entendu celui de Teddy sans le regarder directement.  J’avais du chocolat sur le nez ? Non, alors ! On se retourne, merci. Ce gosse n’était pas croyable. Je cherchai donc la page voulue et me mis à lire jusqu’à ce que la sonnerie ne retentisse. A croire que l’heure était plus avancée que je ne le croyais, perdu dans mes pensées. Je remballai donc mes affaires et jetai mon sac sur mon épaule en sortant de la salle. Désireux de n’être dérangé par personne, je pressai le pas jusqu’à la grande salle pour la pause de midi. Je me posai dans un coin de la table encore non assailli de toute part. Ça me laissait un peu de répit. Mais c’était sans compter sur Teddy qui arriva peu après affublé de Cléo. Levant les yeux au ciel, je commençai à mâcher rageusement. Fort heureusement, je fus rejoint par Cass assez rapidement. Si je voulais me changer les idées, elle était le meilleur des moyens pour ça. « Alors ta matinée ? » Je tapai dans le poing qu’elle me tendait. « Merdique. » Elle commença à remplir son assiette. « Haha, ouais, t’as pas été épargné. » Je laissai échapper un petit rire en souriant. Cass était mon petit rayon de soleil, on pouvait le dire. J’avais sympathisé avec elle à la fin de mon cursus primaire, et nous étions restés bons amis après ça. En fait, elle était la fraicheur dont j’avais besoin, tout simplement. Si j’avais des humeurs pourries, et que j’avais toujours Teddy à enfoncer dans un coin de la tête, elle était là pour relever le niveau. J’avais confiance en elle et pouvait faire les pires conneries en sa présence. Elle était passionnée d’astronomie ; nous étions dans la même filière, en fait. Elle s’installa en face de moi, donnant satisfaction à son estomac plaintif. J’en fis de même, pensif. Repérant d’un coin de l’œil un geste de bras de Teddy, je tournai la tête, évidemment. Il était serein. Alors que je n’avais qu’une envie, lui refaire sa face de pet. Je ne comprenais pas comment les choses avaient fait pour se passer ainsi. Que ma mère en ait sa claque et aille se faire sauter par un autre bonhomme que mon beau-père – pardon, mon père, haha. Que Teddy suive son père, embauché par le mien. Que je ne sois que le rejeté. Que Teddy ait plus de liens avec la famille que moi. Que tout se soit foutu à l’envers, en clair. « … an… ssian… Nassian ! » La voix de Cass se fit son chemin jusqu’à mon cerveau qui analysa qu’il était temps pour moi de revenir à la réalité. Je me rendis compte que je serrais un peu trop fort ma fourchette dans la main, jusqu’à m’en faire des marques dans la peau. Je soupirai en tournant la tête vers mon amie, mais mes yeux s’arrêtèrent d’abord sur Neela qui s’était tut tout ce temps. Elle me lança un regard désapprobateur auquel je répondis pas un nouveau soupire. « Pardon Cass. Tu disais ? » Elle se mit à rire en secouant la tête. « Nassian Alec Emerson, mais à quoi pensais-tu donc ? » Je fis un sourire angélique pour m’excuser, cherchant mes mots. « … A toi ? » C’était une blague, évidemment. Ne joue pas avec elle. Sans tourner la tête, je fronçai légèrement les sourcils pendant que Cass lâchait un « haha » cynique en se reconcentrant sur son assiette. De quoi tu parles ? Neela soupira. Rien. Réfléchis, tête de nœud.