Haël Basile Lestrange, 13 ans.

Depuis combien de temps était-elle là, dans ces bois, à errer comme si de rien n’était, comme si elle était seule au monde, comme si elle ne risquait pas de se faire prendre par surprise par la tombée de la nuit ? Haël n’en savait rien, elle s’enfonçait encore et toujours, ses chaussures pleines de boue, ses cheveux décoiffés, son pantalon déchiré et ses pensées égarées, loin, bien loin de la triste réalité qu’était la sienne. Elle s’arrêta un court instant afin de se baisser pour ramasser un petit caillou qui avait réussi à attirer son regard. « Oh que tu es joli toi. » Dit-elle à voix haute. Elle l’observa pendant plusieurs secondes, oui, c’était la première fois qu’elle voyait un caillou comme celui-ci et il serait parfait pour sa collection de cailloux qu’elle avait commencé il y a près d’un an déjà. Bay tourna le visage : « Qu’est-ce que tu en dis, Red ? » Demanda-t-elle, simplement. Si une personne passait par là à cet instant, elle pourrait facilement croire qu’il manquait définitivement une case à cette petite fille qui visiblement, parlait seule. Mais Haël ne parlait pas seule, non, Haël parlait à son ami, imaginaire peut-être, mais il restait son ami. Le seul qui ne l’abandonnait jamais vraiment, le seul qui la faisait se sentir entourée, quand au fond, elle ne l’était jamais. « C’est bien ce que je pensais, il sera parfait, merci Red. » Ajouta-t-elle en souriant avant de le glisser délicatement dans sa poche, laissant une trace de boue le long du tissu, taché par ses mains sales. Ces bois avaient beau être immenses, Haël ne s’y perdait jamais vraiment car elle était méthodique dans la façon dont elle s’y aventurait. Elle n’avait pas vu gros dés le début, non, elle y était allée petit à petit, s’enfonçant un peu plus de jours en jours, ainsi, elle savait qu’elle n’aurait aucun problème à retourner chez elle. Oui, elle connaissait le chemin mais l’envie n’était définitivement pas présente, pourtant elle le devait. Elle aurait bien aimé vivre ici comme un loup, mener une vie de petite sauvageonne loin de la pression sociale qui l’étouffait perpétuellement mais malheureusement, elle ne pouvait pas. Elle avait des obligations et même si ses parents semblaient avoir perdu espoir en elle, Haël tentait toujours de remonter dans leur estime. Et elle savait bien que de tarder ici davantage ne jouerait pas en sa faveur. A contrecœur, elle finit par faire demi-tour et après avoir à nouveau marché pendant plusieurs dizaines de minutes, elle arriva enfin chez elle. Oh oh, pensa-t-elle. Son père l’attendait devant la porte de derrière, et ça, c’était définitivement mauvais signe. Instinctivement, elle serra le caillou qu’elle avait encore dans sa poche, comme pour se donner le courage d’aller affronter Monsieur Lestrange. « Haël. » Dit-il de sa voix grave, laissant transparaitre toute la déception qui l’accablait. « Oui papa ? » Répondit naturellement la petite fille qu’était Haël, à l’époque. Bien sur, elle était trop jeune pour savoir, elle était trop jeune pour savoir que son père à cet instant, était en colère car il venait d’apprendre que sa fille s’était montrée complètement médiocre à la leçon de lecture qu’elle avait eu la veille. « Dans ta chambre. » Ajouta-t-il, d’un ton toujours aussi ferme. Les yeux de sa fille se levèrent vers lui, un regard tout simplement désemparé. « Mais Pap… » Bay ne put jamais terminer sa phrase, elle n’eut jamais l’occasion de demander ce qu’elle avait fait de mal puisque M. Lestrange la coupa, mettant fin à cette conversation par un simple. « Vas-t-en. »


Basile Lestrange, 19 ans.

Le réveil de Basile sonna, brisant le silence dans laquelle était plongé sa chambre alors que lentement, elle ouvrait les yeux. Aujourd’hui était supposé être un grand jour. Cela faisait des mois que ses parents lui parlaient d’un certain jeune homme de bonne famille, sang-pur, qui était parfait pour faire perdurer la pureté de celui de Basile. Ces histoires de sang, au fond, elle n’y avait jamais vraiment prêté attention, il faut dire que depuis toute petite, elle s’était battue avec ses propres troubles d’apprentissage, vraiment, il n’y avait pas de place dans sa vie pour des conflits en rapport avec quelque chose aussi futile que la pureté de son sang de sorcière. Ses parents souhaitaient qu’elle fasse un bon mariage ? Bien. Basile avait toujours cherché à les rendre fiers, à leur montrer qu’elle aussi, pouvait être aussi douée que ses frères et sœurs et si elle devait passer par un mariage arrangé pour le prouver, eh bien elle le ferait. Basile s’était levée, douchée, et préparée afin d’être la plus présentable possible, obsédée par l’idée de faire bonne impression. Tu peux le faire, Basile, tu peux le faire. Pensa-t-elle. Aujourd’hui, il n’y aurait pas de promenade dans les bois, aujourd’hui, il n’y aurait pas de conversations avec son meilleur ami imaginaire, non, aujourd’hui, elle devait être parfaite, aujourd’hui elle devait être digne. Elle finit de se coiffer les cheveux, observant un instant son reflet dans le miroir qui surplombait sa chambre. « Respire, sois normale. Tu peux le faire. Sois normale. » Elle prit une profonde inspiration, glissa son petit caillou porte-bonheur dans sa chambre, qu’elle finit par quitter afin de se rendre dans la salle à manger où elle entendait déjà des bruits de conversation. Etait-elle en retard ? Ce n’était pas possible, elle avait tout fait pour être à l’heure et les invités n’étaient pas censés arriver avant une bonne demie heure au moins. « …je suis sur que c’est un malentendu… » Parvint-elle à entendre parmi la conversation qui avait lieu à l’étage en dessous. Soudainement terrifiée à l’idée de faire un pas de plus, Basile se laissa glisser jusqu’à s’asseoir sur une des marches de l’escalier qu’elle était en train de descendre, tendant l’oreille pour écouter la conversation qui semblait être à son sujet. « Joffrey, on se connait depuis toujours maintenant, tu devrais savoir qu’il n’y a rien de mal à vouloir ce qu’il y a de mieux pour mon fils. » Joffrey était le père de Basile et l’homme qui était en train de parler devait certainement être l’ex futur beau-père de cette dernière, compte tenu de ses paroles. Elle tendit un peu plus l’oreille. « C’est une sang-pure, tu le sais. Et elle est de bonne famille, qu’est-ce que tu veux de plus ? » Répondit le père de Basile, plongeant soudainement la pièce dans un silence qui parut presque éternel. Quelqu’un soupira. « Je ne voulais pas te le dire comme ça, mais tu ne me laisses pas le choix, Joffrey… » Une nouvelle pause, Basile tendit un peu plus l’oreille. « Je ne veux pas que mon fils épouse une … » Basile connaissait déjà la suite et, anticipant le mot qui allait suivre elle avait déjà détourné le visage et fermé les yeux, comme si elle venait de se prendre une baffe en pleine figure. Et ça, ce n’était pas le plus douloureux. Le plus douloureux était le fait que son père n’ait même pas cherché à la défendre, non, il n’avait rien dit alors que des bruits de pas indiquaient que les invités venaient de quitter la maison, sans même que M. Lestrange ait tenté de leur faire comprendre le contraire. De leur expliquer que non, sa fille n’était pas une attardée, elle était juste dyslexique, elle avait juste un peu plus de mal que les autres mais ça ne faisait pas d’elle une attardée. Basile posa une main sur sa bouche alors qu’elle sentait déjà des larmes monter dans ses yeux, quand son père arriva en bas de l’escalier qu’il s’apprêtait à monter, ne se doutant pas que Basile avait indirectement assisté à tout l’échange. « Haël. » Il était déçu, terriblement déçu, et à cet instant, il avait envie de tout sauf de voir le visage de celle qui causait tant de peine à sa famille. Basile leva les yeux. Quelques années plus tôt, elle aurait eu la naïveté et l’innocence de demander quoi, mais plus maintenant. « Vas-t-en. » Elle avait espéré jusqu’à la dernière seconde qu’il lui dise autre chose. Et clairement, c’était la dernière fois qu’elle attendrait quoique ce soit de sa part. Elle avait compris qu’au fond, même lui pensait comme tous les autres. Qu’elle était une attardée. Et Basile aurait pu le rendre fier, mais elle avait à nouveau échoué.


Bay, 21 ans.

« Je ne sais pas. » Répondit-elle simplement, en serrant le cailloux qu'elle avait dans la poche, après avoir tenté de lire, en vain, le parchemin que son père avait mis sous yeux. Elle baissa le regard pour cacher la honte qui la prenait à ce moment, mais pas seulement, elle avait peur de croiser celui de son père, elle avait peur d’y voir une énième marque de déception. Ou de fureur. A force, elle ne faisait plus la différence. Le poing de Monsieur Lestrange vint s’écraser violemment sur la table à laquelle Bay était assise, la faisant sursauter alors qu’elle se forçait à retenir les larmes qui montaient dans ses yeux.  « Haël. » Dit-il simplement, sans pour autant oser regarder sa fille, sa dernière fille, celle qu’il aurait voulu pouvoir aimer comme un père mais celle qui ne faisait rien d’autre que le décevoir. Et elle ne dit rien, car elle connaissait déjà la suite. « Va-t-en. » Elle n’osait pas le défier, elle n’osait pas non plus le contredire ou le supplier de lui donner une autre chance car elle savait qu’elle n’y aurait pas droit, de même qu’elle savait que cette autre chance, ne l’aiderait pas forcément. Elle se leva et quitta précipitamment la pièce sans un mot, sans un regard vers son père. Va-t-en. Ces paroles résonnaient dans son esprit alors qu’elle s’était déjà mise à courir vers la forêt qui surplombait la maison Lestrange dans laquelle elle s’enfonçait à chaque fois qu’elle avait besoin d’air, besoin d’être seule, ou à chaque fois que ses parents en avaient marre de la voir et qu’ils lui disaient simplement de s’en aller. Elle courrait, elle courrait alors qu’elle sentait des larmes couler sur ses joues, un nœud douloureux dans la gorge, et des sanglots la prendre par surprise. Elle ne s’arrêta pas, non, elle continuait à courir jusqu’à n’avoir plus d’air, jusqu’à être suffisamment loin de sa maison et sentir toute cette pression qui la tiraillait s’évaporer petit à petit. Son pas commençait à ralentir sous la fatigue et, après un temps de course qui lui parut interminable elle finit par s’arrêter, posant une main sur un tronc d’arbre et se penchant en avant pour reprendre sa respiration. Mais c’était difficile, et ses pleurs ne lui facilitaient vraiment pas la tâche. Elle avait à nouveau déçu son père, il lui avait une nouvelle fois dit de s’en aller, n’osant même plus la regarder, cette éternelle déception. Et pourtant, elle avait essayé. Elle avait tout fait pour prouver à ses parents qu’elle pouvait être digne d’eux. Elle avait méprisé les sang-impurs comme ils le lui avaient demandé, elle avait cessé de parler à tous les moldus, les considérant comme des sous-espèces, comme ils le lui avaient demandé. Et pourtant, rien de cela ne semblait avoir suffit.

Mais pourquoi était-elle triste ? Elle avait réussi…

Bay se laissa glisser le long du tronc d’arbre et prit sa tête entre ses mains, tentant de maîtriser sa respiration devenue douloureuse et ses sanglots qui ne voulaient plus s’arrêter. Mais t’as réussi, Bay, pensa-t-elle. Un sourire se dessina alors sur son visage, contrastant avec ses sanglots qui peu à peu, se transformaient en rire. « J’ai réussi. » Dit-elle à voix haute, riant davantage. Pour la première fois de sa vie, elle pouvait être fière d’elle. Après des mois, des années de pratique, elle avait enfin réussi. Car Bay avait menti en disant qu’elle ne savait pas ce qu’il y avait écrit sur le parchemin, elle le savait. Mais pas parce qu’elle avait réussi à le lire sur le papier, elle le savait, parce qu’elle avait réussi à le lire dans les pensées de son père.