Manoir des Malefoy - Juillet 1947
« Il suffit ». L’ordre claqua, se répercutant sur les murs froids en pierre du hall. Levant ses grands yeux gris vers son père, la petite fille se ratatina sur place, tout en lâchant toute penaude le manche à balai qu’elle tenait du bout de ses doigts, laissant ses cousins gagner. Les deux autres baissaient la tête honteusement. Le vacarme, la pagaille n’étaient pas autorisés dans le manoir, encore moins sous le nez des ancêtres. Elle ne devait pas jouer avec les garçons. Elle le savait pertinemment. Mais c’était injuste. Rester pendant des heures accrochée aux jupes de sa mère, écoutant distraitement la conversation autour du thé que tenaient ses tantes ne l’intéressait guère. Marcus avait eu un nouveau balai, elle aussi voulait monter dessus avec les autres. Deux minutes plus tard elle se retrouvait à la place qu’elle avait quittée en douce, la joue cuisante et les yeux humides. Dans cette famille chacun avait sa place et devait la tenir. Une fille ne devait pas crotter ses bas en se bagarrant avec ses cousins. Une fille ne devait pas affronter du regard son père. Une fille devait se taire et rester docile.

Poudlard – Janvier 1952
Dolores s’était endormie un sourire aux lèvres, repensant à ce qu’il venait de se passer. Capella ne se doutait de rien. Elle devrait attendre avant de lui en toucher ne serait-ce qu’un mot. Etre sure qu’elle ne se faisait pas de faux espoir. Pourtant au simple souvenir elle frémissait et sentait ses joues s’échauffer. Elle se remémorait son souffle contre sa nuque. Il lui avait glissé quelques mots à l’oreille, la laissant s’exclamer de son petit rire cristallin. Jouant avec ses longs cheveux blonds ondulés, il s’était accoudé près d’elle en haut des remparts lui lançant un de ses beaux regards séducteurs. Son cœur n’avait su résister, s’arrêtant pendant une microseconde. Elle en avait rêvé maintes fois, mais qui était-elle, elle, à ses yeux ? Juste l’amie de sa sœur. Juste une petite blonde parfois trop réservée, effacée ou trop bien élevée pour être intéressante. Pourtant à cet instant précis elle avait su. C’était elle qu’il voulait. Amadeus Black. Ce grand brun ténébreux, à la mèche rebelle, faisait glousser toutes les filles sur lesquelles il daignait poser son regard. Sa réputation le précédait. Dolores ne pouvait s’empêcher de lui vouer une admiration sans faille depuis le moment précis où elle avait posé ses yeux sur lui. Elle connaissait Capella depuis des années quand elle rencontra enfin Amadeus à Poudlard, étant l’aîné de sa famille. Plus grand qu’elle il aurait pu la briser de ses mains en quelques secondes, pourtant elle désirait qu’il touche sa peau, qu’il l’embrasse et lui susurre des mots rassurants à l’oreille. Le pire qu’il pouvait arriver soit qu’il la jette, comme il l’avait fait tant de fois avec d’autres. Mais quand il la fit rire une seconde fois en haut de ses remparts, elle sut qu’il ne la blesserait pas. Elle savait qu’elle pourrait le garder, mais pour cela il fallait être cette fille. Vous savez celle qu’on ne peut capturer, celle qu’on suit mais qui vous glisse entre les doigts. Un philtre d’amour aurait été plus conséquent, néanmoins cet amour fictif ne l’intéressait pas. Elle désirait Amadeus pour la vie. C’était l’homme qu’elle voulait voir à ses côtés plus tard. En se retournant dans ses draps elle eut un nouveau sourire essayant d’imaginer la tête de Capella quand elle l’apprendrait. Elle le saurait un jour ou l’autre. Elli l’avait déjà découvert, tout de moins elle se doutait que Dolores n’avait pas été franche avec elles.

Manoir des Black – Juillet1970
« Il suffit ». L’ordre claqua, calfeutré par les tapisseries murales. Elle haussait rarement le ton avec ses enfants, néanmoins le calme revint aussitôt et ses trois gamins baissèrent les yeux, les mains derrière le dos, la tête baissée. Seule Electra osa lever ses grands yeux sur elle. Son ton se radoucit quand elle leur donna l’ordre de se disperser dans leurs chambres. La petite tête blonde fut la dernière à s’échapper de son champ de vision. D’un coup de baguette, Dolores fit disparaître le corps inanimé du rat qui trainait dans le corridor. Elle se doutait qu’il avait dû être rapporté par sa fille. Comment lui interdire une telle activité ? Amadeus l »y encourageait à sa façon, d’un baiser sur la tête en lui prouvant ainsi toute sa fierté. « Misty ici ! ». Un craquement se fit entendre suivi de l’apparition soudaine d’une créature toute ratatinée sure elle-même, revêtue d’un vêtement vert foncé en loque. L’elfe de maison se savait fautive, elle baissait la tête, attendant que la colère de sa maîtresse passe. « Maudite elfe ! Je t’avais ordonné de les surveiller. Ils devaient faire leur devoir. A quoi es-tu bonne si je ne peux plus compter sur toi ? ». La vieille elfe tenta tant bien que mal de se trouver des excuses, marmonnant qu’elle s’était occupée du diner. « Tais toi. » L’ordre se succéda à une gifle qui fit chanceler l’elfe. Misty avait failli. Dolores la chassa d’un regard, s’enfermant dans son boudoir. Lasse, elle se laissa couler dans son fauteuil. Depuis qu’elle travaillait au ministère, l’éducation de ses enfants devenait de plus en plus difficile. Les elfes profitaient de ses moments de faiblesses pour n’en faire qu’à leur tête, pensant ainsi pouvoir outrepasser certaines règles. Elle déplia un parchemin qu’elle avait glissé dans sa poche avant de transplaner. Encore de mauvaises nouvelles provenant de l’Allemagne. Les américains faisaient pression sur l’Europe pour mettre en place de nouvelles règles en matière de certifications pour les medicomages. Cette harmonisation des certifications suite au nouveau pacte avec les Etats-Unis la minait. Si Amadeus n’avait pas montré de réticence à l’idée qu’elle puisse travailler au ministère, il ne la soutenait qu’en partie, ne comprenant pas qu’elle accepte d’être exploitée de telle sorte par son responsable. Mais Dolores sentait que le vent allait tourner pour elle. Patiente, elle baissait l’échine quand il le fallait, sans se démonter, sachant qu’un jour la place serait vacante.

Pré-au-lard - Janvier 1979
Elle se tordait les mains, ôtant et remettant sans cesse ses gants de velours. La main de son mari se posa sur la sienne pour la calmer. Elle ne comprenait pas comment tout ceci avait pu arriver. Le ministère était en panique depuis un mois. Les autres pays avaient été mis au courant. Mais en Angleterre aucune explication valable n’avait pu être trouvée. Ces patronus étaient si réels, si matériels à côté de ses enfants qui eux-mêmes les questionnaient. Elle ne savait que dire à ses enfants. Il faudrait vivre avec mais c’était tellement révoltant. Une erreur du ministère avait suffi pour les amener dans cette pagaille. Ils s’en étaient bien amusés au début jusqu’à ce que ces choses prennent formes près de leurs enfants. Le boa d’Electra ondulait près d’elle tandis que le chien de James se tenait près de son créateur. Seul Dumbledore avait osé se prononcer à ce sujet, Amadeus avait ricané quand Dolores avait la faiblesse d’émettre la possibilité qu’il ait raison sur certains points. Elle n’aurait pas dû. Elle connaissait les sentiments de son mari envers le vieil homme. Elle ne savait quelle explication donner à ses enfants. Leur vie qui aurait dû être si paisible était en train de se disloquer. Elle essayait tant bien que mal de retenir son mari, bien qu’elle approuve ses choix politiques. Elle ne le trahirait jamais mais elle redoutait pour la sécurité de sa famille. James et Andrew empruntaient la même pente. Elle avait tenté de les ralentir, leur expliquant qu’il était dangereux de s’engager auprès des mangemorts à leur âge, que ce n’était pas un jeu. Il suffisait d’un simple incident pour que les aurors leur tombent dessus. Un sortilège ricochant et il en serait fini d’eux. Amadeus lui promettait sans cesse qu’il faisait tout pour les protéger et qu’ils étaient désormais grands. Pourtant, ils lui paraissaient encore si fragiles. Elle songea à Electra. Cette dernière voulait elle aussi aider à la grande cause. Ce n’était point envisageable. Même elle, malgré ses idées sur la question, elle n’avait pris les armes. Elle exécrait les sang de bourbe autant que ses bureaucrates qui pensaient régner sur leur monde, pour autant elle ne s’était jamais entachée les mains. Ce n’était pas une activité pour une adolescente, elle devait réussir ses études, s’insérer dans la société, épouser un jeune homme brillant et fonder une famille tout comme elle. Il devait en être ainsi.

Manoir des Black - Eté 1979
Un silence lugubre régnait sur le manoir. Toutes les chandelles avaient été éteintes. Les membres de la famille Black se fixaient sans un mot. Dolores sentait le poids sur ses épaules se faire de plus en plus lourd. Electra refusait d’ouvrir la bouche. Le corps de Misty avait été enterré par les autres elfes. Dolores n’y avait point jeté un regard. Combien de cadavres faudrait-il ? Jusqu’à quel point cette folie lui ôterait tout ce qu’il lui reste de plus cher. Elle couva du regard sa fille qui fixait l’âtre de la cheminée. Il ne restait plus qu’elle. James lui avait été retiré. Andrew dépérissait à Azkaban. Il n’en sortirait jamais, ou du moins pas entier, elle s’en doutait. Amadeus était d’humeur très sombre depuis plusieurs mois. Dolores avait passé la semaine alitée, refusant toute visite. La nouvelle était arrivée quelques jours plus tôt. Le hurlement déchirant qui sortit de sa bouche la plia en deux, avant de se transformer en gémissements compulsifs. Une vie lui avait été retirée. Son fils, son fils aîné. La démence l’avait envahi, sang contre sang, quelqu’un devait payer. La fureur qu’elle lut dans les yeux de sa fille à l’instant où elle transplana dans l’enceinte du manoir la fit frémir. Elle se déchaina sur tout ce qui était à sa portée. Dolores ne sut l’arrêter. Qu’aurait-elle pu faire ? Elle se sentait comme une coquille vidée de son essence même. On lui avait ôté une vie, celle qu’elle avait elle-même porté et qu’elle avait créée. L’inévitable s’abattit sur le manoir. La colère d’Electra fit de graves dégâts. Misty avait bien servi durant toutes ces décennies. Son heure été venue et sa vie lui fut retirée. Pour autant elle ne fit aucun geste pour arrêter ce meurtre. Sang contre sang. Ce n’était que le début, elle s’en doutait…