You're not a sad story.
001. C'était la fringale qui m'avait réveillée aussi tard. C'était exactement le genre de fringale qu'on ne pouvait ignorer même avec la meilleure volonté du monde. C'était celle qui tiraillait l'estomac et qui nous empêchait de nous rendormir. C'était cette petite voix vicieuse qui nous suggérait d'aller chercher quelque chose à manger en catimini alors que tout le monde dormait, ou tout du moins, était supposé dormir. Tout le monde, sauf moi qui avais faim. Pendant longtemps j'ai essayé de me persuader qu'il ne s'agissait que d'une simple vue de l'esprit, que c'était purement psychologique. Je n'avais pas faim, je n'avais pas besoin de manger puisque nous avions dîné à peine trois heures plus tôt. Oui mais voilà, l'auto-persuasion ne fonctionnait pas aussi bien qu'elle aurait dû. En fait, à bien y réfléchir, peut-être même que cette méthode n'était pas vouée à fonctionner, il ne s'agissait que d'une astuce pour rassurer ceux qui prétendaient pouvoir avoir une emprise sur ce genre de besoins irrépressibles. Ni une, ni deux, j'avais repoussé la couette, légèrement agacée, et je m'étais aventurée dans le couloir. Le plancher grinça légèrement sous mon poids. Je grimaçai. Il ne faudrait pas que ma mission commando jusqu'aux cuisines tourne au vinaigre à cause d'un bête grincement de plancher. À pas de loup je descendis les escaliers. Jusque là, tout allait bien, je ne m'étais pas encore fait repérer. La cuisine n'était plus très loin, à seulement quelques pas à peine. Une ombre bougea dans mon champ de vision. Certes, je n'avais pas une vue à trois cent soixante degrés mais du coin de l'oeil, j'avais pu discerner quelque chose. Cela ne faisait aucun doute, je n'étais plus seule. Il me sembla que ça venait du salon, et je devais passer devant la porte du salon pour me faufiler jusqu'à la cuisine. En l'espace d'un instant, je fus tentée de remonter et tant pis pour mon estomac. Cependant, un nouveau gargouillement vint me rappeler à l'ordre. Je n'avais pas le choix. Je devais y aller. J'amorçai un pas en direction de mon eldorado personnel lorsque je fus coupée en plein élan par une vision qui me pétrifia sur place. «
Papa ? » couinai-je d'une toute petite voix en reconnaissant la personne qui était encore debout à cette heure-ci. Et en plus de ça, il n'était pas seul. Une femme brune – plutôt superbe – l'accompagnait, vêtue d'un tailleur. «
Quinn, qu'est-ce que tu fais encore debout ? » Le ton de sa voix était moralisateur, comme si au final c'était de ma faute si j'avais vu ce que je venais de voir. «
J'avais faim. » dis-je simplement, dardant mes prunelles sur mon père. «
Je suis descendue pour aller chercher quelque chose à manger dans la cuisine. » Papa soupira. «
On t'a pourtant déjà dit que ce n'était pas bien de grignoter en dehors des repas. » Je jetai un regard circonspect à la femme qui l'accompagnait et qui était en train de lisser son chemisier. Il essayait de me faire culpabiliser pour masquer sa propre culpabilité, c'est ça ? «
Hector, je vais y aller. » dit-elle enfin, ayant très certainement conscience qu'elle était de trop. «
On se voit demain au bureau. » Une collègue de travail ? Je jetai à mon père un regard empli d'incompréhension. Hector la raccompagna jusqu'à la porte. Lorsqu'il eut refermé le battant derrière elle, Hector se tourna vers moi, avec gravité. «
Je ne sais pas ce que tu as vu, ou ce que tu as cru voir, mais tu ne dois en parler à personne, compris ? » Je pris alors pleinement conscience de ce qu'était un secret, un vrai de vrai, pas du même genre que celui qu'on raconte à sa meilleure copine à propos de je ne sais quelle amourette d'enfance. «
et pourquoi je ne dois pas en parler à qui que ce soit ? » demandai-je avec défiance. «
Il pourrait y avoir des conséquences. » Je jetai à mon père un regard déçu. Puis, sans faire le moindre détour par la cuisine, je montai les escaliers quatre à quatre pour monter dans ma chambre, avant de m'enfermer à clé. Au diable la fringale qui m'avait réveillée, la scène à laquelle je venais d'assister venait de me couper l'appétit.
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002. Pendant longtemps, j'avais tenu parole. Je n'avais rien dit à personne malgré ma grande bouche. Pourtant, ce secret que je gardais sans rien avoir demandé à personne continuait à me ronger.
Oublie Quinn, oublie. Après tout, tu t'appelles aussi Letha, oublier, tu devrais être douée pour ça. Je n'oubliais pas. Impossible. Mon esprit avait enregistré chaque seconde de ce sordide spectacle. Je ne pouvais pas oublier, malgré la meilleure volonté du monde. Je ne pouvais pas me retrouver dans la même pièce que mon père sans avoir la nausée, je ne pouvais plus soutenir son regard. Je m'étais même résolue à l'appeler par son nom.
Hector. Il n'y a que de cette façon qu'il existait à mes yeux. Il n'y avait pas plus impersonnel que d'appeler mon père par son prénom. Même l'appeler
père comme c'était le cas dans les milieux huppés reviendrait à reconnaître notre lien de parenté.
Géniteur serait un terme sans doute plus approprié. Pourtant, il continuait à faire comme si de rien n'était. Son attitude était détachée, presque je m'en foutiste. Le cœur au bord des lèvres, je le regardais embrasser ma mère lorsqu'il rentrait du travail. Et bien sûr, il y avait tous ces cadeaux qu'il m'offrait, comme s'il pouvait acheter mon silence de cette façon. Parmi tous ces présents, il y avait ce vélo flambant neuf qui m'attendait, prêt à être essayé. J'avais regardé l'engin avec circonspection, pas vraiment décidée à rentrer dans son jeu. On ne m'achetait pas avec des babioles, ce n'était pas ainsi que je fonctionnais. S'il avait seulement pris la peine de me connaître, il le saurait. «
Tu devrais l'essayer. » dit finalement Robbie, mon frère. «
Tu n'as qu'à l'essayer toi. » rétorquai-je avec humeur, non sans le fustiger du regard. «
Je suis un peu grand pour aller dessus. » fit-il remarquer. «
Je ne comprends pas ce que tu as contre ce vélo, il est très bien. » Bien sûr qu'il ne comprenait pas. Était-il seulement au courant de ce qui se tramait dans notre dos à tous ? Ça m'étonnerait fort, car une telle histoire pourrait faire tomber Hector du piédestal en haut duquel son fils unique et préféré l'avait hissé. «
Ce n'est pas un complot destiné à m'éliminer? » demandais-je avec sarcasme, bien décidée à faire ma mauvaise tête. Le vélo me faisait de l'oeil, mais plutôt mourir que de l'avouer. «
Quinn, il va falloir que tu te décides, on n'a pas toute la journée. Et papa serait déçu que tu ne l'essaies pas. » Je levai les yeux au ciel avant d'enfourcher l'engin. J'avais fini par céder, bon gré, mal gré, de toute façon je n'avais pas le choix, ils semblaient s'être ligués contre moi. Que faire d'autre à part obéir ? Je commençai alors à pédaler tant bien que mal. «
T'es sûr qu'il n'est pas piégé ? » haletai-je sous l'effort tandis que je zigzaguais, incapable de donner à ce foutu vélo une trajectoire rectiligne. «
Mais non ! Des gens en font tous les jours pour aller travailler et ils en sont pas morts ! Et puis, la gravité fait très bien les choses, ne t'inquiètes pas pour ça. » Blablabla. Tu parles d'un argument convaincant. En attendant, je zigzaguais toujours. «
J'emmerde la gravité ! » lançai-je alors, dépitée. «
Et apparemment c'est réciproque. » Je me mis à pédaler rageusement, avançant tant bien que mal et à peu près droit. Malheureusement, je ne maîtrisais pas encore totalement la chose puisque je heurtai de plein fouet un pot de fleurs qui était disposé le long de la terrasse. Le décor tangua sous mes yeux et je tombai au sol, sur le dos. Le souffle coupé, je regardais le ciel, attendant d'être moins sonnée pour pouvoir me relever. «
ça va ? » demanda Robbie, en me tendant une main pour m'aider à me mettre debout. «
Ouais, ouais, en fait je me dis que j'aurais dû écouter mon intuition première, c'est à dire ne pas monter sur cette chose tout droit sortie des enfers! » Et avec tout ça, je m'étais écorché le mollet, et je saignais. Et le pot n'avait pas fait longs feux puisqu'il s'était brisé en deux. « Et bien ! » dis-je d'un air épaté. «
On dirait que j'ai remporté le gros lot ! » Robbie avait d'ores et déjà détourné son attention de moi pour se focaliser sur le vélo dont la roue avant était complètement tordu. «
Bizarre. » marmonna-t-il. «
Ce n'est pas avec un choc d'une si faible intensité que la roue aurait pu se plier. » Mon regard tomba alors sur le pot de fleurs pour lequel personne ne s'inquiétait. Quelle ne fut pas ma surprise en réalisant que la terre cuite s'était reconstituée par elle-même. «
Robbie... » dis-je, espérant capter l'attention de mon frère. «
Le pot de fleurs...il s'est réparé tout seul. » Il s'interrompit, légèrement interloqué. «
Tu es sûre qu'il était cassé et que tu ne l'as pas seulement bousculé ? » Je hochai la tête de droite à gauche avec véhémence. «
Puisque je te dis qu'il était pété ! » Un sourire gonflé d'autosatisfaction vint se plaquer sur mes lèvres. «
Et que Dieu m'en soit témoin, aujourd'hui, je suis une sorcière. » Il était inutile de préciser que le reste de la famille était aussi concerné par la magie et que j'étais la dernière qui attendais avec impatience que mes pouvoirs se révèlent. Mes pouvoirs avaient mis tellement de temps à se manifester que pendant longtemps j'avais eu peur de n'être qu'une cracmol, ces enfants de sorciers sans la moindre magie dans leurs veines mais force est de constater que ce n'était pas le cas. J'étais officiellement une des leurs et ils ne pouvaient pas m'ignorer.
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003. En cette saison, les températures extérieures étaient plutôt fraîches, pour ne pas dire légèrement frisquettes. Comme si cela ne suffisait pas, il tombait un fin crachin depuis tout à l'heure. C'était exactement le genre de pluie désagréable qui se faufilait partout et qui griffait la peau. Comble du comble, le crachin se transforma bientôt en une averse digne de ce nom. En quelques instants mes longues mèches rousses furent trempées et mes vêtements me collaient au corps. Bien sûr, il n'y avait aucun endroit susceptible de faire office d'abri de fortune. J'étais condamnée à subir cette douche à ciel ouvert en attendant que ça se calme. Ma journée d'école s'était achevée il y a un petit moment déjà. Mes parents voulaient me mettre dans une école primaire moldue car ils voulaient que je sois parfaitement capable de naviguer entre les deux mondes. Au moins, ils avaient le mérite d'être ouverts sur la question, ils n'étaient pas du genre à rejeter les moldus parce qu'ils n'avaient pas de pouvoirs. Ma famille se fondait parfaitement dans la masse, si bien que nos voisins ne se doutaient même pas que l'on puisse être des sorciers. Nous étions en apparence sans histoires, enfin, ce n'était qu'une apparence puisque la réalité était toute autre. Une fois de plus, j'attendais sous la pluie battante à la sortie de l'école parce qu'on avait oublié de venir me chercher. Mes parents s'étaient très certainement laissés accaparer par leurs boulots respectifs si bien qu'il ne leur était même pas venu à l'esprit de venir me chercher. Ce jour là, ce fut Robbie qui me récupéra. Il ne s'excusa même pas d'être en retard. Je m'assis à l'arrière du véhicule et posai mon cartable sur la banquette arrière. Quelques minutes passèrent, avant que je ne vienne rompre le silence. «
Dis, je peux te parler de quelque chose ? » Robbie acquiesça légèrement, tout en restant concentré sur la route. «
Je crois que papa a une liaison. » dis-je de but en blanc, sans prendre de gants. À l'avant, je vis que Robbie s'était crispé. «
Tu crois ou tu en es sûre ? » questionna-t-il, plutôt âprement. «
J'en suis sûre, je les ai vus ! » Robbie tiqua. «
Qui ça ? » je me mordillai la lèvre inférieure. «
Une femme qu'il voit au bureau...elle est brune. » Je baissai alors les yeux, venant tout juste de prendre conscience de la bombe que j'avais lâchée. «
Veronica ? » en déduisit-il, les mains crispées sur le volant. «
Je ne sais pas, il a pas dit son nom. Et elle ne s'est pas présentée. » Je me fichais bien qu'elle s'appelait Veronica, Tatiana ou Tartempion, tout ce que je savais, c'était que cette femme n'était pas maman. «
Tu mens » accusa Robbie, la mâchoire serrée. «
C'est encore des histoires que tu racontes pour faire ton intéressante ! » J'accusai le coup sans sourciller, même si j'avais envie de hurler, de m'insurger de tout mon corps, de toute mon âme. «
Je les ai vus, l'autre soir. Et ils s'embrassaient sur la bouche. » J'avais envie de me ratatiner sur mon siège, effrayée par les ondes de fureur que Robbie dégageait. Il donna un violent coup de volant sur la gauche. La voiture zigzagua légèrement. Je me crispai. De là à ce qu'on ait un accident il n'y avait pas loin. «
Tu ne te rends pas compte. » lâcha-t-il, durement. «
C'est pas le moment de raconter n'importe quoi ! Ce n'est pas un jeu! C'est exactement le genre d'histoires qui pourraient ruiner notre famille tu le comprends ça ? Apparemment non, puisque tu viens porter ce genre d'accusations la bouche en cœur, comme si c'était une broutille ! » Les larmes me montèrent aux yeux. Il ne me croyait pas ! Pire, il refusait d'entendre quoi que ce soit.
Déni, déni. ça faisait des années que je vivais avec ça sur la conscience, et j'étais fatiguée de mentir, ce fardeau était trop lourd à porter pour mes frêles épaules. Je pensais que Robbie était tout à fait apte à m'aider mais force est de constater que ce n'était pas le cas, que c'était loin d'être le cas. «
Je te jure Quinn, il faut vraiment que tu arrêtes de raconter des histoires. Parce que si jamais ça arrive aux oreilles de maman et qu'il y a des histoires, tu en seras responsable. C'est toi qui te diras que tu aurais dû tenir ta langue. Ça sera de ta faute ! » Je n'attendis pas que la voiture s'arrête totalement devant la maison pour en sortir. Je jaillis du véhicule comme une fusée. Maman venait d'ouvrir la porte de la maison mais je ne pris même pas la peine de la saluer que déjà je montais les marches de l'escalier quatre à quatre pour regagner ma chambre. Je m'y bouclai à double tour avant de m'effondrer dans mon lit, le visage enfoui dans mes oreiller pour y pleurer tout mon saoul.
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004. Mon entrée à Salem se déroula sans encombres. Tranquillement, je suivais mon petit bonhomme de chemin, me contentant simplement de décrocher les meilleures notes possibles. Cela passait obligatoirement par des heures de travail acharné à la bibliothèque. Je ne faisais pas partie de ces personnes qui vivaient recluses, je ne faisais pas partie des plus populaires, j'avais simplement mon groupe d'amis que je fréquentais depuis le tout début, et je n'avais rien besoin d'autre. Pendant longtemps, j'ai vécu ainsi, sans en exiger davantage. Et il y a eu ce garçon. Ce garçon que j'avais dans ma ligne de mire depuis de nombreux mois. Ce
crush était resté inavoué, j'étais bel et bien déterminée à emporter ce secret avec moi jusque dans la tombe. C'était sans doute un poil exagéré car à notre âge, les amours vont et viennent, volages et éphémères mais je me connaissais, je savais très bien que la honte me consumerait si jamais tout ceci venait à être déballé au grand jour. Je me contentais donc de l'observer de loin, planquée derrière un livre ou dissimulée à moitié derrière une statue. Je feignais de ne pas le voir lorsqu'il passait à proximité. Je le regardais discuter avec d'autres filles avec envie, désirant ardemment qu'il me trouve cool moi aussi. Pourtant, je n'étais pas franchement cool. Pas cool comme ça, en tout cas. Et ce fameux jour arriva. Les circonstances finirent par nous rapprocher d'une façon pour le moins inattendue. J'étais en train de lire un livre, assise en tailleur sur le ponton qui s'avançait loin dans le lac qui jouxtait notre école. Le vent avait commencé à se lever, soufflant quelques bourrasques de temps à autres. Ce qui devait arriver arriva. Le chapeau que je portais pour me protéger des rayons du soleil s'envola. Mon seul réflexe fut de tenter de l'attraper. Ma tentative s'avéra infructueuse, à tel point que le chapeau se posa quelques mètres plus loin...sur l'eau. Je tentai plusieurs moyens pour le récupérer. Je m'étais tout d'abord allongée de tout mon long sur le ponton, mon bras n'était pas assez long, et bien évidemment je n'avais pas pris ma baguette magique, jugeant que je n'en aurais probablement pas besoin. Un accio, et tout aurait été réglé. Je m'approchai de plus en plus du bord pour gagner quelques malheureux centimètres. Puis soudainement, je basculai la tête la première et fis un plongeon involontaire dans l'eau froide du lac. Tout se passa très vite. Ma panique fut tellement intense que je ne parvins pas à me raccrocher au ponton alors que je n'en étais vraiment pas loin. Je ne savais pas nager, aussi je battais des bras pour tenter de rester à la surface mais c'était inutile car ce faisant, je me fatiguais très rapidement. En plus, j'avalais de l'eau. Tout allait de travers. Je perdis bientôt connaissance alors que je coulais, inexorablement. Lorsque je repris enfin conscience du monde qui m'entourait, j'étais en train de recracher de l'eau, prise d'une soudaine quinte de toux. Tandis que je grelottais, quelqu'un passa une cape autour de mes épaules. La tête me tourna quelques instants. «
Merci. » parvins-je à souffler entre deux quintes de toux, à l'attention de mon mystérieux sauveur. «
De rien. » répondit une voix masculine. Je tournai alors la tête. Je le reconnus. Mon cœur fit une embardée dans ma poitrine.
Lui. il avait cet air inquiet dans le regard, mais progressivement, le soulagement prenait le pas sur tout le reste. Prise d'un élan venu de je ne sais où, confus mélange entre ma reconnaissance et les sentiments que j'éprouvais déjà pour lui, je vins presser mes lèvres contre les siennes. Tout d'abord surpris – un baiser en guise de remerciement, en voilà une idée ! - il se laissa faire. C'est ainsi que pour la première fois, j'embrassais un garçon. Lorsque ce fut terminé, je plantai mes prunelles dans les siennes «
Tu m'as sauvé la vie. » Je ne mesurais encore pas bien ce que ça signifiait, surtout que dans le monde magique, sauver la vie de quelqu'un prenait une toute autre signification. «
Je passais par là par hasard, voilà tout. » déclina-t-il, faussement modeste. Je lui souris maladroitement, sourire auquel il répondit par un sourire tout autant maladroit. Nous restâmes ainsi quelques instants, lui avec ses bras autour de moi, me frictionnant doucement pour que je puisse me réchauffer.
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005. «
Non. » dis-je en éloignant ses mains de moi. «
Quinn... » grogna-t-il, tandis que je me disais que je venais sans doute de remporter la palme d'or de la fille la plus ennuyeuse de tout l'univers. «
Je ne suis pas prête pour ça. » Et voilà que je venais de mettre les pieds dans le plat. Décidément, il y a des fois où je ferais mieux de me taire, à défaut de pouvoir présenter les choses un peu plus délicatement, dirons-nous. «
Tu ne me désires pas ? » Quelque part, heureusement qu'il faisait noir car il ne me vit pas baisser le regard, ni mon expression perplexe. À dire vrai je ne m'étais jamais posé la question, enfin, pas sous cet angle-là. «
Je... » Mince alors, il avait réussi à me couper le sifflet, je ne savais vraiment pas quoi répondre, moi qui d'ordinaire avais toujours réponse à tout. «
Je ne l'ai pas encore envisagé. » répondis-je finalement, décidant d'opter pour la stricte vérité – de toute façon, je n'étais pas une bonne menteuse, il aurait vite fait de se rendre compte que quelque chose clochait. «
Allez ! » dit-il, incrédule. «
Ne me dis-pas que tu n'as jamais eu envie de faire l'amour ? » Ah, la délicatesse. Je levai les yeux au ciel. «
Non. » réitérai-je, avec fermeté. «
Ou alors, je n'en ai pas souvenir. » J'entendis Terrence soupirer, un poil agacé. «
écoute Quinn. » J'avais comme qui dirait l'impression que des choses désagréables allaient s'ensuivre. «
ça ne pourra jamais marcher si tu n'es pas entièrement avec moi. C'est tout ou rien, Quinn, ça ne peut pas être la moitié, un quart, ou un tiers. » Je croyais rêver. C'était tout simplement...ridicule. Bien sûr que oui je l'aimais, il avait déjà mon cœur alors que ce n'était pas gagné d'avance, ce n'est déjà pas mal, non ? À croire que ça ne lui suffisait pas. «
Tu ne peux pas réclamer sans donner en retour, Terrence. » dis-je aussitôt, la voix légèrement tremblante. «
Tu ne peux pas exiger de moi d'être entièrement à toi alors que toi... » Ma voix vacilla. «
Tu n'es même pas capable de t'impliquer à cent pour cent dans notre relation. » «
Que veux-tu dire ? » dit-il, assez sèchement. «
Je sais qu'il y en a une autre. Il y en a toujours eu une autre. » «
Qui ? » «
Lois. » Le prénom de son amie anglaise flotta pendant longtemps entre nous. Je n'étais pas dupe, j'avais bien compris qu'il ressentait quelque chose de fort pour elle, quelque chose qui faisait obstacle à l'épanouissement de notre couple. «
Tu dis n'importe quoi. » grogna-t-il, tandis que j'étais persuadé d'avoir touché en plein dans le mille. Il niait pour la forme. «
Je sais que j'ai raison. » Je sentis Terrence remuer non loin de moi. La porte du placard grinça sur ses gonds tandis qu'un rai de lumière envahit l'espace exigu. «
où tu vas ? » demandai-je alors, soudainement paniquée à l'idée qu'il m'abandonne. «
J'ai envie de rester seul. » asséna-t-il en s'extirpant du placard à balai. Pourquoi je n'étais pas capable de le retenir, hein, on se le demandais. À croire que je l'avais fait exprès, de saborder ma relation toute seule. Le cœur meurtri, je me laissai glisser le long de la paroi du placard jusqu'à m'asseoir sur le sol poussiéreux, tétanisée, sans réellement comprendre ce qui venait de se passer tant j'avais perdu le contrôle des événements.
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006. La vie était mal faite. Je me répétais ces quelques mots en boucle depuis...
l'événement. Depuis l'instant fatidique où Terrence m'avait larguée, sans autre explication. Le mufle n'avait même pas eu le courage de me dire les choses en face, il s'était contenté de m'envoyer un
hibou. Oui, il avait osé me larguer par hibou interposé. Dans le fond, je me doutais bien que cette rupture faisait écho à ce qui s'était passé l'autre jour, dans ce maudit placard à balais. Depuis je me planquais, ne souhaitant pas qu'on me trouve. Je voulais qu'on me foute la paix pour que je puisse pleurer tout mon saoul. Mon beau rêve s'était achevé, et mon cœur s'était brisé. Fin de l'histoire. J'étais assise sur un banc dans le parc de l'école, et il était jonché de mouchoirs usagés. Le pire, c'était sans doute que je n'avais pas fini de pleurer. «
Ah, enfin te voilà ! » s'exclama Presley, ma meilleure amie de l'époque. «
Je t'ai cherchée partout. » Je ne daignai pas lever la tête pour la saluer, mon regard s'obstiner un fixer un point quelconque se trouvant dans mon champ de vision. «
Terrence m'a plaquée. » annonça-je sans autre forme de préambule, tandis que je sombrai dans une nouvelle crise de larmes. «
il a osé faire ça par hibou, par hibou Presley, tu te rends compte ? » Et pendant ce temps là, je ne cessais guère de me dire que tout était de ma faute. J'en venais à me dire que si je lui avais donné ce qu'il voulait, sans doute serait-il toujours là. «
Quel con ! » s'exclama mon amie, en mettant une mèche de cheveux couleur prune derrière son oreille. «
Attends un peu que j'aille lui dire deux mots. Il fera moins le malin quand j'irai lui remonter les bretelles. » J'émis un hoquet à mi chemin entre le rire et le sanglot. «
Laisse tomber. » dis-je alors, en haussant les épaules, les joues humides. «
Ce n'était pas le bon voilà tout. » Presley m'incita à me décaler sur la gauche pour pouvoir s'asseoir à son tour – je comprenais bien qu'elle n'avait pas envie de poser ses fesses dans mes mouchoirs. Puis, elle me prit par les épaules et se blottit tout contre moi. «
Tu n'as pas à culpabiliser pour quoi que ce soit, sweetheart. Tu n'as pas voulu coucher avec lui, et alors ? Si ça se trouve il t'aurait plaquée après avoir obtenu ce qu'il voulait, alors no regrets » Je reniflai piteusement. Presley avait peut-être raison sur ce point, même si j'étais bien trop fière pour l'admettre. «
De toute façon ce sont tous des connards. » grognai-je, la voix légèrement rauque. «
Quand tu vois mon père, mon frère, ou encore Terrence, tu sais, je doute d'avoir un homme bien dans mon entourage au moins une fois dans ma vie. » C'était dans ces moments là que mes vieilles blessures ressortaient, ma crainte de finir seule. Je ne pouvais m'empêcher de songer à ce que j'avais vu il y a de nombreuses années à présent. «
De toute façon il y avait quelqu'un d'autre dans sa vie. » finis-je par avouer, le cœur au bord des lèvres. Je ne saurais dire s'il m'avait trompée ou non, s'il ne s'était contenté d'être amoureux d'elle toute cette année, mais à ce moment précis, je détestais cette putain d'anglaise, de tout mon être. «
Ne dis pas ça, bébé. » murmura Presley en me caressant les cheveux. «
Toi aussi un jour tu trouveras quelqu'un de bien. Quelqu'un qui t'aimera totalement, inconditionnellement. Et ce jour là tu sauras que c'est l'homme de ta vie. » Je grimaçai. Je n'avais jamais vraiment cru à l'amour, et ma dernière histoire en date m'avait refroidie pour un long moment. «
Conneries. » conclus-je avec amertume. Presley se mit à rire. Peut-être que dans le fond nous n'étions que ça, des gamines naïves, qui attendaient encore beaucoup de choses de la vie et qui finissaient par être déçues. C'était loin d'être une fatalité. On grandissait, tout simplement, et même que parfois ça fait mal.
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007. L'été était finalement arrivé. Il était temps de quitter Salem et de rejoindre nos familles le temps des vacances. C'était un été pourri qui s'annonçait. Je n'avais plus Terrence – de toute façon, il paraîtrait qu'il était parti en Angleterre, sûrement pour aller voir sa Lois adorée. Et moi j'étais condamnée à passer mon été toute seule, à m'emmerder comme un rat mort. Il faut dire que retrouver l'ambiance pourrie qu'il y avait à la maison ne m'emballait vraiment pas. Qui plus est, je n'avais pas fini de pleurer. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir cherché à éviter mon père par tous les moyens possibles et imaginables. La réalité finissait toujours par me rattraper.
toujours. Comme d'habitude, mon père avait prévenu qu'il rentrerait tard ce soir. À force, je ne relevais même plus, et il semblerait que ma mère ne se posait pas davantage de questions. Moi, je savais pertinemment ce qui se tramait. J'étais persuadée qu'il voyait toujours cette femme, Veronica. Ou une autre. Il n'était après tout pas à une conquête près. J'étais partie pour aller me boucler dans ma chambre à double tour lorsque je crus entendre ma mère pleurer dans la chambre de mes parents. Obéissant à un mon instinct, je poussai la porte et me retrouvai dans la pièce. Je m'avançai vers le lit, où ma mère était roulée en boule. «
Maman ? » appelai-je doucement, pour lui signaler ma présence. «
Quinn ? » Elle paraissait surprise de me voir là. Elle s'était redressée pour se donner une certaine stature. «
Qu'est-ce qui se passe ? » questionnai-je, refusant de tomber dans le piège du
ça va alors que de toute évidence, ça n'allait pas. «
Rien. » renifla-t-elle. Peu convaincue par sa réponse, j'attrapai les papiers qui étaient éparpillés à côté d'elle. «
Qu'est-ce que c'est tout ça ? » interrogeai-je d'une voix blanche. «
Des relevés de compte ? » La question était rhétorique. Bien sûr qu'il s'agissait de relevés de compte et pas n'importe lesquels : ceux de mon père. Alors, cela fit sens dans ma tête :
elle savait. Elle savait pour Veronica, pour leur liaison. Il n'y avait pas besoin de traquer les dépenses anormales pour s'en convaincre, je n'avais pas eu besoin de grand-chose pour faire le rapprochement. «
Tu sais tout, n'est-ce pas ? » osai-je finalement dire, la bouche étonnamment sèche. «
Pour papa ? » Elle me jeta un regard suspicieux. Je me mordillai la lèvre inférieure, gênée. «
Qu'il...il voit quelqu'un d'autre. » La bombe était lâchée. Presque instantanément, je regrettai mes mots. D'ici à ce que ma mère me dise qu'elle ne soupçonnait pas l'existence d'une quelconque maîtresse mais qu'on n'avait simplement plus d'argent... «
Comment tu sais ça ? » demanda-t-elle d'un ton abrupt. Je me doutais bien qu'elle n'allait pas se contenter d'un simple
je sais, voilà tout. Alors, je lui racontai tout, dans les moindres détails. Pendant que je lui faisais part de cette histoire sordide, je me sentais en partie soulagée. Pour autant, une toute nouvelle crainte m'anima. Et si elle se mettait en colère parce que je ne lui avais rien dit ? «
Papa m'a fait promettre de ne rien dire. » sanglotai-je alors, tandis que je me sentais poignardée par la culpabilité. «
C'est pour ça qu'il m'offrait tous ces cadeaux, il achetait mon silence. Parce que j'ai toujours pensé que si cette famille éclatait, ce serait de ma faute. »
Ce serait de ma faute. Les mots résonnèrent longtemps dans mon esprits, comme pour me torturer davantage. «
Je suis désolée. » souffla ma mère en me prenant finalement dans ses bras. «
Je suis tellement désolée, tu n'aurais jamais dû être impliquée là dedans. Tu n'étais qu'une enfant, bon sang. » Je n'étais qu'une enfant, mais il n'empêche que j'avais dû me comporter en adulte, à vivre dans le secret et dans le mensonge. J'avais dû porter un fardeau bien trop lourd pour moi. «
Je ne savais pas quoi faire de ça. » confessai-je alors, une fois la crise de larmes – à peu près – passée. «
Je suis désolée d'avoir menti. Je ne veux pas être comme lui. » Ma mère prit mon visage entre ses mains, et me fixa avec gravité. «
Tu ne seras jamais comme lui, chérie. Jamais. Tu es bien trop honnête et bien trop intègre et tu ne tiens définitivement pas ça de ton père. » Je lui adressai un sourire timide avant de m'intéresser de plus près à un motif de la couette. Nous restâmes ainsi l'une contre l'autre pendant longtemps, très longtemps. Tellement longtemps que je finis par m'endormir contre ma mère, comme ça n'était pas arrivé depuis de nombreuses années.
x
008. J'attendais dans le noir, assise dans le fauteuil. Dans le petit salon régnait un silence de plomb, uniquement perturbé par les incessants tic-tac de l'horloge. Nerveuse comme jamais, je pianotais sur l'accoudoir, mes doigts s'enfonçant doucement dans le cuir. Si j'avais des griffes, je l'aurais sans doute déjà lacéré. Je me mis à battre la mesure, mon pied heurtant la moquette par intermittence. Je n'étais pas certaine de ce que j'allais faire, ni même si j'aurais le courage d'aller jusqu'au bout mais il était largement temps de crever l'abcès. J'en avais plus qu'assez de ces mensonges qui me détruisaient de l'intérieur, qui me donnaient continuellement la nausée. Finalement, j'entendis le cliquetis caractéristique du verrou de la porte d'entrée.
Il était là. Mon père. Il entra dans le salon et il alluma la lumière.
surprise! «
Quinn. » salua-t-il, d'un coup de tête maladroit. «
Que fais-tu ici toute seule dans le noir ? » De l'assurance. Il me fallait de l'assurance. «
Je t'attendais. Il faut qu'on parle. » Ça y est, les chiens venaient d'être lâchés. Il me fallait continuer sur cette lancée. Pas le choix. «
Tu étais avec elle, n'est-ce pas ? » Comme il fallait s'y attendre, il feint la surprise. Je ne me laissai pas démonter pour autant. «
Veronica. » précisai-je, comme pour lui rafraîchir la mémoire. «
Que.. » commença-t-il, déstabilisé. «
Qu'est-ce que tu racontes ? C'est de l'histoire ancienne. » Menteur. J'avais envie de m'insurger, de le frapper de mes petits poings, mais je ne fis rien de tout cela. Je me contentais d'utiliser toutes les cartouches que j'avais en ma possession. «
Maman...Elle est au courant de tout. » Puis je crus bon d'ajouter. «
Ce n'est pas moi qui lui ai dit. Elle l'a deviné toute seule. » Mon père resta stoïque face à mon annonce. Pourtant, il ne chercha pas à nier. Pas vraiment. «
C'est de l'histoire ancienne. » réitéra-t-il face à mes accusations. «
ça fait des années que ça s'est terminé. C'est fini. Je ne vois plus Veronica. » Je me retins d'éclater d'un rire mauvais. «
ça fait des années que tu te fous de notre gueule. Pour l'amour du ciel arrête de mentir, tu me dois bien la vérité ! » Mes vieux souvenirs remontaient à la surface sans que je puisse faire quoi que ce soit pour les en empêcher. J'avais le cœur au bord des lèvres. «
Je suis ton père, Quinn, et je n'ai pas de comptes à te rendre. Essaie de ne pas inverser les rôles. » Alors, j'oubliai toute la bienséance dont j'étais censée faire preuve à son égard. «
Tu me dois la vérité parce que je suis impliquée là dedans, que tu le veuilles ou non ! Si tu voulais une discrétion absolue, tu n'aurais pas amené...cette femme à la maison ! C'est TON erreur et c'est MOI qui en fais les frais aujourd'hui. Alors oui ça me regarde ! » Nous nous toisâmes quelques instants. Mes prunelles furibondes ne cessaient de le foudroyer sur place. Si mon regard pouvait tuer, pour sûr qu'il serait tombé raide mort, et je n'aurais même pas versé une larme de repentir. «
Il faut que tu me comprennes, Quinn. » Que je comprenne quoi ? Qu'il était en train de se faire passer pour la pauvre victime ? «
ça fait des années que ça ne va plus entre ta mère et moi, et ça remonte bien avant ta naissance. » je me crispai face à cet aveu. Bientôt il va me dire que c'était de ma faute si ça allait de mal en pris, pas vrai ? «
Nous avons décidé d'avoir un deuxième enfant sur le tard, parce que c'était pour nous l'occasion de nous offrir une seconde chance. » Mon cœur loupa quelques battements alors que je sentis mes yeux s'humidifier. «
Tu es en train de me dire que vous ne vous aimiez plus quand je suis née, et que je ne suis là que pour recoller les morceaux entre vous ? » Je ne savais pas ce qui était le pire, finalement. «
Je n'ai pas dit ça. » protesta-t-il tandis qu'il perdait de sa superbe. «
Oh que oui tu as dit ça, c'était même limpide. Maintenant je comprends mieux pourquoi vous avez toujours préféré Robbie, et pas seulement parce que j'étais le vilain petit canard ! Parce que Robbie lui, vous l'avez voulu, alors que moi je n'étais qu'un pansement ! Et pendant toutes ces années je me suis tuée à la tâche pour que vous soyez fiers de moi, pour vous montrer que je pouvais faire aussi bien que lui ! » Si j'avais voulu empêcher mes larmes de couler, c'était plutôt raté, j'étais désormais une vraie fontaine. «
Je me suis acharnée toutes ces années tout ça pour quoi ? Pour me faire entendre dire qu'au final j'ai de la chance si je suis là, parce que j'ai foiré ma mission, à savoir recoller les morceaux entre vous ? Et pendant toutes ces années tu m'as reprochée une chose ou l'autre alors que tu étais loin d'être exemplaire? ça c'est la meilleure, on aura tout entendu! » Toute la colère que j'avais emmagasinée toutes ces années était en train d'exploser et de tout ravager sur son passage. «
Quinn... » tenta mon père, sans doute pour me calmer, mais je ne lui laissai pas l'occasion de poursuivre sur sa lancée. «
STOP ! » criai-je, à la limite de l'hystérie. «
Mensonges, mensonges, MENSONGES ! Je ne veux plus rien entendre venant de ta bouche. » Alors, je tournai les talons et me ruai vers la porte d'entrée. «
Où tu vas comme ça ? » La réponse fusa. «
Je me casse ! » Ce soir là, j'avais seulement attrapé ma veste et mon sac à main accrochés dans l'entrée. Je ne savais pas trop où j'allais, aveuglée par la rage et par mes larmes. Pour autant, je trouvai l'énergie de traverser la moitié du pays en autocar pour me réfugier chez Presley. Encore une fois je fuyais mes problèmes mais je n'avais vraiment plus la force de les affronter tant j'étais à bout.
x
009. Après quelques jours passés chez Presley, j'étais enfin rentrée chez moi. M'éloigner ne m'avait pas tant fait de bien qu'initialement prévu et pour cause, ma mère était morte d'inquiétude. Presley lui avait envoyé un hibou pour dire que j'étais chez eux. Sitôt que j'eus franchi la porte, ma mère se précipita sur moi pour me serrer dans ses bras. «
Chérie. » dit-elle en prenant mon visage entre ses mains. «
J'étais morte d'inquiétude. » Je ne jugeai pas bon de jeter de l'huile sur le feu. Après tout ce n'était pas de ma faute de ma mère si mon père s'était comporté comme un gros con, aussi n'avait-elle pas à en faire les frais. «
Je suis désolée. » m'excusai-je alors. «
Je...je ne pouvais pas rester une minute de plus dans cette maison. » Elle hocha la tête avec gravité. «
C'est ton père n'est-ce pas ? » J'acquiesçai en silence. «
Vous vous êtes disputés et tu t'es enfuie ? » Je serrais légèrement les poings. Crispée, j'étais tellement crispée que mes ongles venaient attaquer la paume de mes mains. J'avais pris la fuite, c'était exactement ça, mais le fait est que j'en avais marre de me battre. Esther s'assit ensuite sur le canapé et m'invita à en faire de même. «
Ma chérie » commença-t-elle avec douceur. Elle sembla hésiter. «
Je suis désolée de te l'annoncer de cette façon, sans plus de tact, mais...ton père et moi allons nous séparer. » Dès lors, je fus partagée entre plusieurs sentiments. Il y avait le
enfin, c'est pas trop tôt qui succédait à
je pensais que tout allait s'arranger. J'oscillais entre ces deux extrêmes, ne sachant pas si je devais me montrer compatissante, désolée, ou au contraire ravie par cette nouvelle. À dire vrai j'essayais de me projeter dans le futur. Qu'allons-nous devenir ? Le fait est que j'étais encore mineure et je ne pouvais de toute évidence pas vivre toute seule. «
J'ai demandé le divorce. » poursuivit-elle sur la même lancée. «
Je sais que ce n'est pas facile pour toi, mais... » «
Je vais devoir choisir avec qui je veux vivre jusqu'à ma majorité, n'est-ce pas ? » chuchotai-je alors, comprenant immédiatement ce que cela signifiait et surtout ce que ça impliquait. «
C'est évident ! » m'écriai-je alors, sans laisser le temps à ma mère d'ajouter quoi que ce soit. «
Je viens avec toi. » En réalité, la perspective d'être le truc qu'on se refile faute de vouloir le garder pour soi ne m'enchantait pas vraiment, j'avais surtout l'impression que j'étais une épine dans leur pied. «
Chérie, ce n'est pas si simple. » Ah bon, elle ne voulait pas de moi ? «
Parce que si tu comptes venir avec moi, nous allons devoir déménager. » «
Et alors ? » Elle posa sa main sur mon avant bras. «
Je te demande simplement de bien y réfléchir, d'accord ? Ne prends pas de décision précipitée. Tu es encore sous le coup de la colère, c'est normal que tu veuilles fuir ton père, mais... » Je hochai la tête de gauche à droite, comme pour rejeter ce qu'elle était en train de dire. «
Je ne veux plus lui parler, maman. » dis-je avec conviction. «
Puis de toute façon, même si on déménage, peu importe non ? Là où on aille ça n'influera pas sur mon avenir à Salem. » Ma mère fit une drôle de tête, avant d'acquiescer mécaniquement. «
Bien sûr chérie, l'important est que tu termine tes études et que tu obtiennes ton diplôme, ensuite, on verra. » On verra. Pour le moment, l'histoire était en suspens. De toute façon, tant que nous restions en amérique il n'était pas question de changer d'école, n'est-ce pas ?
N'est-ce pas? x
010. «
Tu le savais, n'est-ce pas ? » attaquai-je sans forme de préambule, dardant sur mon frère un regard noir, presque haineux. «
Quoi donc ? » questionna-t-il, feignant l'innocence. «
Tout ! » explosai-je alors, sans faire le moindre effort pour contenir toutes ces émotions délétères. Tant mieux ! Qu'il puisse penser qu'il n'était qu'un sale con, c'est exactement ce qu'il était de toute façon. Un sale con doublé d'un menteur. Un sale con qui avait des oeillères et qui ne voyait pas plus loin que son nombril. «
Papa, Maman, Veronica, leur divorce ! » La colère déferlait en moi, puissante, dévastatrice. Mon cœur pulsait à toute allure dans ma poitrine et j'avais des vertiges, des vertiges. «
ils vont divorcer ? » Et voilà qu'il faisait semblant de ne rien comprendre à la situation. «
Bien sûr que oui ils vont divorcer ! Tu crois quoi ? Qu'ils vont se remettre ensemble en mode happy end ? Tu crois que Maman va lui pardonner de l'avoir trompée, que moi je vais lui pardonner de nous avoir menti depuis toutes ces années ? » Robbie soupira, l'air ennuyé. Il était de dix ans mon aîné, bien sûr qu'il n'avait pas à se soucier de savoir avec qui il allait vivre, tout ça, puisque cet abruti était fiancé et il allait se marier tantôt. «
En quoi peux-tu affirmer que j'étais au courant de ce qui se passe ? » Et voilà qu'il continuait à feindre l'innocence ! Non mais je rêve ! «
Tu étais forcément au courant ! » l'accusai-je avec véhémence. «
à moins d'être vraiment con ou particulièrement naïf on pouvait voir qu'il y avait de l'eau dans le gaz. Et pendant toutes ces années tu m'as laissé croire que si notre famille éclatait ça serait de ma faute ? Tu as une idée de ce que je peux ressentir face à cette situation ? À moins que tu n'en aies absolument rien à foutre, ce qui est possible aussi, après tout tu n'as jamais regardé que ton nombril ! » J'avais envie de frapper Robbie, de le rouer de coups, de démolir son joli minois, de lui faire ravaler ce sourire suffisant. Je lui en voulais tellement de m'avoir mise dans cette situation, de m'avoir dit toutes ces choses. En ce moment je le haïssais de tout mon être, comme je n'avais jamais haï personne auparavant, pas même que lorsque Terrence m'avait larguée. «
Tu crois quoi ? » m'agressa-t-il en retour, en m'attrapant fermement le bras, si fort qu'il me faisait mal. «
Que j'étais dans les petits papiers de papa, au point qu'il en vienne à me confier ses histoires de cul ? C'est absurde, Quinn, absurde ! Papa ne me dit jamais rien non plus, parce que je ne suis que le fils et non pas son confident ou que sais-je. » «
T'as toujours été le préféré » crachai-je avec hargne. «
il a toujours chanté tes louanges, il t'a toujours fait passer avant moi ! Il ne jurait que par toi alors que je me suis toujours efforcée de faire au mieux pour qu'il daigne enfin poser son regard sur moi, être fier de moi. Et avec tout ça il a encore trouvé le moyen de foutre ma vie en l'air, parce qu'on s'en fout après tout que je ne sois qu'un dommage collatéral ! » Et voilà que je parlais sans pouvoir m'arrêter. Je lui crachais à la figure toute la rage, la rancoeur que j'avais accumulée depuis des années. «
Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais moi, je n'oublierai jamais ce que tu m'as dit ce jour là dans la voiture, quand tu es venu me chercher à l'école ! Tu m'as dit quoi déjà ? Ah oui, que je racontais des histoires et que si jamais j'ouvrais ma gueule ce serait la fin de cette famille. Tu t'en souviens ? » Je vis l'expression de Robbie changer du tout au tout. «
Mais enfin Quinn, c'était pas ce que je voulais dire, je ne le pensais pas ! » J'éclatai alors d'un rire hystérique tandis que je fondais en larmes tout à la fois. «
Tu ne le pensais pas... » hoquetai-je, la voix rauque. «
Tu ne le pensais pas... » Puis, dans un accès de fureur, je me ruai sur lui pour le frapper de mes petits poings. «
Je te déteste ! » Je frappais un peu n'importe où, aveuglée par la rage. Peu importait. Plus rien ne m'importait. Je ne sentis même pas Robbie essayer de m'agripper pour me maîtriser. Robbie me poussa un peu trop fort, suffisamment en tout cas pour que je perde l'équilibre. Je me cognai alors sur le coin de la table de la cuisine, assez violemment, avant de m'étendre de tout mon long sur le carrelage, face contre terre, un mince filet de sang coulant de mon cuir chevelu. Je m'étais évanouie.
x
011. Cet épisode m'avait valu un séjour à l'hôpital et des points de suture. Commotion cérébrale, avaient diagnostiqué les médecins. Autant dire que depuis ce jour, je n'avais plus jamais voulu que Robbie ne m'approche. Ni même entendre parler de papa. Je voulais tout oublier.
Disparaître. Suite à ces événements, ma mère n'a plus jamais remis en doute ma volonté d'aller vivre avec elle. Alors nous vivions toutes les deux dans un appartement assez spacieux, juste comme il faut. J'étais retournée à Salem le septembre qui suivit cet été chaotique. Deux ans s'étaient écoulés depuis ce malheureux incident. Aujourd'hui j'achevais ma dernière année d'études, et rien de tel pour cela que d'assister à la remise des diplômes qui avaient lieu pour tous les élèves de ma promo. Nous étions réunis dans le grand parc avec toutes nos familles, spécialement venues pour l'occasion. Quant à moi je n'avais que ma mère, mais cela me suffisait amplement. Elle ne cachait pas la fierté qu'elle ressentait à mon égard et pour cause : j'avais été sacrée major de ma promotion. Cette journée aurait pu être parfaite, si seulement ma mère n'avait pas choisi ce moment là pour m'annoncer une nouvelle. Nous étions réunis avec la famille de Presley et celle d'autres amis, et nous allions porter un toast. «
Votre attention s'il vous plaît » réclama Esther avec enthousiasme. «
Avant de trinquer à la réussite de nos enfants, j'aimerais vous annoncer à tous une très bonne nouvelle. » Je levai un sourcil perplexe face à cette annonce, avec réserves. A dire vrai je n'aimais pas vraiment les surprises. Autant dire que je ne le sentais pas, mais bon, je ne voulais pas faire ma rabat-joie. À côté de moi, JC avait commencé à s'agiter. En fait, il hésitait entre rester sous sa forme de singe ou se changer en castor, car évidemment c'était grâce à ce dernier que j'en étais arrivée là. «
Ma chérie. » reprit ma mère en se tournant vers moi. «
Maintenant que tu as décroché ton diplôme, avec les honneurs qui plus est, il faut le dire, nous allons partir. » Elle laissa planer le suspense délibérément. «
Partir ? » balbutiai-je, pas vraiment certaine de comprendre là où elle venait en venir. «
Partir ma chérie, exactement. Je voulais te faire une surprise. Nous allons en Angleterre dès la rentrée prochaine. C'est super, non ? » étrangement je ne ressentais pas l'enthousiasme de ma mère. Au contraire je ne trouvais pas ça super du tout. Ça devait se voir à la tête de déterrée que j'affichais. Depuis quand était-il question de partir, exactement ? Presley se tourna vers moi, apparemment ravie. «
L'Angleterre, Quinnie. » s'écria-t-elle en passant un bras autour de mes épaules. «
L'Europe ! Mais c'est génial ça ! Tu vas voyager, partir à l'aventure, tu te rends compte ? » Oui, je me rendais compte. Je me rendais compte que j'allais devoir partir, tout laisser derrière moi, laisser Presley et tout les autres. Presley, elle, ne semblait pas réellement affectée par l'idée de me voir partir. Au contraire, tout ce qu'elle voyait c'était les aventures à venir. Moi, je n'étais pas comme Presley. Je n'aimais pas prendre de risques, j'aimais me savoir en sécurité, évoluer dans un environnement stable. Et l'inconnu me faisait vraiment peur. Alors, je ressentis le besoin urgent de m'isoler. «
Excusez moi. » marmonnai-je avant de repousser mon amie et de marcher à grandes enjambées vers le château, tentant de refouler le malaise qui s'était emparé de moi. Et pourtant ce n'était pas de la faute du trop plein de champagne que nous avons bu.
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012. Je ne me ferai jamais à l'idée. C'était le jour J, celui du grand départ, et pourtant je ne réalisais toujours pas que dans quelques heures, je serai sur le vieux continent, prête à embrasser ma nouvelle vie. La mort dans l'âme, j'emballais les dernières affaires qui me restaient à embarquer. Presley était venue me prêter main forte, mais aussi me soutenir moralement. Nous étions dans mon ancienne chambre – enfin, celle que j'avais occupée ces dernières années. Je rangeais mes bouquins dans un sac sans fond, qui restait léger malgré tout ce que je pouvais mettre dedans. Ma mère avait eu la bonne idée d'en acheter plusieurs en vue de notre déménagement. Lorsque j'eus rangé les derniers manuels et refermé le sac, je poussai un soupir à fendre l'âme. Presley me dévisagea. «
Dis moi pourquoi je ne suis pas ravie à l'idée de partir d'ici. » Presley rigola et me pinça le bras. « J
e crois que c'est parce que ta bonne vieille Presley va te manquer, mais tu sais, tu ne perdras rien au change parce que là où tu vas, il y aura plein de beaux éphèbes aux accents super sexy. » J'esquissai une moue boudeuse. Si elle espérait me vanter les mérites des sujets de
sa majesté la Reine de cette façon, c'était plutôt raté. «
Sexy ? » raillai-je alors, amplement moqueuse. «
Il paraît qu'ils bouffent de la panse de brebis farcie et tout un tas d'autre choses peu ragoûtantes, ce qui est nettement moins sexy. » Presley gloussa. À son tour de ne pas être convaincue par mon argument. « Ils sont sexy même en mangeant des
fish and chips. » Je secouai la tête d'un air blasé. Décidément, Presley ne changerait jamais. Jamais. «
Tu sais bien que je ne vais pas là bas pour ça. »
Presley pouvait bien me traiter de rabat-joie si elle le souhaitait mais je n'en démordrais pas. «
Tu te souviens ce que je t'ai dit quand ce gros nul de Terrence t'a plaquée ? » Je grimaçai. Je n'aimais pas trop me rappeler cet épisode et pour cause, c'était encore douloureux même si je lui en voulais beaucoup moins qu'avant – le temps finissait par panser toutes les blessures, tout du moins, je me plaisais à le croire. «
Ce jour là je t'ai dit que tu finiras par trouver quelqu'un qui t'aimera vraiment. Moi je suis persuadée que l'homme de ta vie est de l'autre côté de l'atlantique. » Je grognai pour exprimer ma désapprobation. Décidément. Elle y tenait vraiment à son idée. «
Aucune chance. » réfutai-je, faussement blasée. «
Ils sont trop flegmatiques. » Nous restâmes silencieuses quelques instants, comme pour méditer sur nos paroles. Puis, je me tournai alors vers mon amie. «
Tu vas vraiment me manquer, Presley. » Elle me serra alors dans ses bras. Très fort. «
Tu vas me manquer aussi. Mais hé, profite de ta nouvelle vie pour moi, d'accord ? Je veux lire tes folles aventures une fois que tu seras là bas. » Puis, elle me lâcha. Elle détacha le collier qu'elle avait autour du cou pour l'accrocher au mien. Le pendentif représentait une clé. Une clé qui n'ouvrait aucune porte, ni aucun coffre. «
Comme ça, tu penseras à moi. » dit-elle, très sérieusement. Je levai les yeux au ciel. «
Comme si j'avais besoin de ça pour penser à toi. » «
Garde-le, s'il te plaît. En souvenir du bon vieux temps. » Alors, je remerciai silencieusement Presley du regard, ayant la gorge trop nouée pour dire quoi que ce soit d'autre.
to be continued...