Les livres ont pris possession des lieux. Ils trônent fièrement sur leurs étagères, tous plus intrigants les uns que les autres. Fleury et Bott est certainement ma boutique préférée. Je veux écrire moi aussi. Comme tous ces auteurs. Pas forcément dans les livres, peut-être plutôt dans les journaux. Je veux raconter la vérité, dénoncer les injustices, rendre hommage à ceux qui le méritent. Alors que mes doigts caressent doucement la couverture de l’un de ces nombreux livres, une petite voix m’interpelle, derrière moi. « Dis, comment tu t’appelles ? » Je me retourne, pour finalement me retrouver nez à nez avec une enfant d’à peu près mon âge. Son sourire semble venir d’ailleurs, d’un monde différent au mien. J’ai l’impression qu’il est plus radieux que tous les autres sourires que j’ai pu croiser jusqu’à maintenant. Alors j’essaie d’en faire autant. Mais mon sourire s’avère sans doute moins impressionnant. « Emrys. Et toi ? » Elle jette un oeil à quelque chose, ou à quelqu’un, avant de me faire face à nouveau. « Michaela. Michaela Cheshire. » Son nom me dit quelque chose. J’ai l’impression de l’avoir déjà entendu. Ou peut-être lu. Mais un simple nom n’a pas d’importance. Il n’est en rien le reflet de la personne qui le porte. « Est-ce que tu… » Je fronce alors les sourcils, surpris qu’elle s’arrête en pleine phrase. Mais en suivant son regard, j’aperçois une femme s’approcher de nous à toute vitesse, une contrariété non feinte accrochée au visage. « Michaela ! » Elle attrape la petite fille par la main, l’écartant de moi. « Arrête. » Les sourcils toujours froncés, je les regarde s’éloigner, puis disparaître. J’étais à mille lieues ce jour-là de réaliser l’importance de cette rencontre fortuite. À mille lieues de réaliser qu’à travers son sourire, Michaela m’offrait une promesse de grande valeur. Promesse que je lui avais également offerte, par mon sourire faisant écho au sien.


Malone aimait courir en ouvrant les bras. Elle avait alors l’allure d’un oiseau. D’un oiseau que personne n’aurait pu arrêter. Que personne n’aurait su arrêter. Elle avait ce sourire accroché au visage, et cette lueur illuminant ses pupilles. Elle n’avait pas peur du noir, de la mort ou même de l’oubli. Elle disait qu’elle était éternelle, et que je l’étais aussi. Que nous l’étions dans le coeur l’un de l’autre. Pourtant… Pourtant sa main est froide, et son visage ne sourit plus. Hier encore, elle me parlait d’éternité, et de bouquet de roses qu’elle irait cueillir au retour de l’été. Mais elle ne pourra plus jamais cueillir de fleurs. Elle ne pourra plus jamais sourire. Elle est morte. Et les morts ne font plus ces choses là. Il n’y a aucune réponse à la question « pourquoi ? », aucune. Les médecins ne savent pas, ils disent que ce qui lui est arrivé est rare, et encore inexpliqué. Personne n’aurait pu présager qu’une simple fièvre lui coûterait la vie. J’aurais dû dormir avec elle cette nuit, comme je le faisais régulièrement. J’aurais dû la tenir dans mes bras jusqu’au matin, en la couvrant de caresses. Alors j’aurais pu sentir que quelque chose n’allait pas. J’aurais pu la sauver. J’aurais dû la sauver. Mais je ne l’ai pas fait. Je ne l’ai pas fait. Malone est morte quelques mois avant d’entrer à Poudlard. Elle se faisait une joie d’étudier dans la même école que moi. Elle est morte brusquement, sans explications. Nous n’avons jamais pu lui dire au-revoir. En quelques jours, elle s’est retrouvée sous terre. Toute seule. À l’intérieur d’une boîte. Je n’ai pas assisté à son enterrement. Je n’ai jamais vu sa tombe. C’est au-dessus de mes forces. Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle. Elle avait raison, à propos de l’éternité. Oui, aujourd’hui l’éternité est sienne.


Michaela fuit mon regard, tout comme je fuis le sien. Nous nous sommes disputés. Une énième fois. Pour n’importe quoi, comme toutes les fois précédentes. Maintenant qu’elle est libre, que nous sommes libres, tout est différent. Nous sommes différents. Il n’y a plus rien pour nous retenir en arrière. Il n’y a plus aucun interdit à franchir. Tout ce qui nous était inaccessible est maintenant à notre portée. Et c’est en train de nous détruire. Cet infini qui s’étend devant nous est vertigineux. Nous avons sous-estimé l’effet qu’il pourrait avoir sur nous. Et c’est cet infini même qui nous fait grandir, l’un et l’autre. Qui tire nos ficelles et nous transforme en adultes. L’enfance est derrière nous. La simplicité est derrière nous. Ce qui nous attend n’est plus qu’une série d’épreuves, qu’une série de questions. Et ce sont les réponses que nous y trouverons qui nous effraient. Voilà pourquoi nous nous disputons, inlassablement. Nous sommes côte à côte, au bord d’une falaise inévitable, à se battre pour savoir lequel d’entre nous sautera en premier. Mais c’est ensemble que nous devrions sauter. Main dans la main.