You're not a sad story.
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∴ L'enfance nous façonne ∴
« A l'entour tout fermentait, poussait et montait en graine. Partout on sentait le levain magique de l'existence. La joie de vivre, vent paisible, courait comme une large vague, sans savoir où, par la ville et par les champs, par-dessus murs et palissades, à travers les corps des arbres et des hommes, faisant tout trembler sur son passage » |
Un éclair zébra le ciel noir. Malgré les quatorze heures sonnantes il fait aussi noir qu’une nuit sans lune. La chaleur du mois d’août est étouffante et ma mère suffoque sous l’effort intense. Pourtant pas un son ne filtre entre ses lèvres serrées. Ses iris luisent dans la pénombre de la pièce alors que le tonnerre gronde et fait vibrer les entrailles du roc. Le vent frappe fougueusement contre les carreaux de la maison apportant dans ses bras l’écume blanche des vagues. Tout n’est que vie autour d’elle. La nature entière semble s’être levée pour accueillir une nouvelle âme. Ma grand-mère m’a souvent dit qu’un peu de l’âme de cet orage marin s’est infiltré dans mon corps ce jour-là. Aussi fougueuse, imprévisible et indomptable que lui. Mon premier cri disparaît dans le fracas du tonnerre et Ceana retombe lourdement sur son lit, un léger sourire flottant sur les lèvres. Je suis son deuxième enfant et rien au monde ne pouvait la rendre plus heureuse que de me serrer contre son cœur.
« Ah mais c’est une petite fille que nous avons là ! » la voix de mon père résonne dans la petite chambre tandis qu’on m’emporte pour me donner mon premier bain. Les deux parents échangent un regard surpris avant d’éclater de rire. D’après le récit de ma grand-mère c’est comme cela que c’est déroulé ces premières minutes de ma vie. Dans la joie et la surprise. Seul Osgar, mon grand frère semble faire la moue lui qui attendait tellement ce jeune Alexis garçon avec qui jouer avec ses petits balais magiques. Je suis une Dearborn et j’ai une des familles les plus joyeuses d’Ecosse pour m’accueillir.
Perplexe je regarde le ventre rond de ma chère maman. Il m’arrive de poser ma tête dessus, pourtant j’ai du mal à comprendre vraiment que mon petit frère ou ma petite sœur s’y cache. J’étais trop petite lors de la naissance de Matteo pour me rappeler ce phénomène. Mais j’ai cinq ans maintenant et je pose milles questions à mes parents fatigués. Je suis devenue curieuse de tout et il est impossible de me tenir en place. Au final Osgar est plutôt satisfait de sa petite sœur qui n’hésite pas à le suivre partout, même lorsqu’il s’amuse sur les rochers qui bordent la plage.
Quelques jours plus tard je pose mes doigts tremblant sur les joues roses de ma petite sœur. Elle est si petite que j’ose à peine la toucher. J’ai peur de la casser et il faut de nombreux encouragements de Ceana pour que je pose enfin un centimètre de peau en contact avec la sienne. Elle est chaude et me regarde avec des yeux immenses. Alison gardera toujours ce regard immensément grand et son air de délicate créature. Déjà à cinq ans je chérie ce petit être sans défense.
A petits pas je traverse la cuisine, discrètement je passe derrière la grande table en chêne, le plus silencieusement possible pour ne pas me faire remarquer serrant ma petite batte contre mon cœur. Un pied après l’autre j’avance aussi lentement qu’un véracrasse malade. Lentement mais surement. La porte donnant sur le jardin n’est plus qu’à quelques pieds maintenant. A chaque bruit de vaisselle je m’arrête retenant mon souffle avant de repartir. Maman est occupée et j’ai tout juste sept ans. Sept ans et des envies folles d’aller courir dans l’herbe et m’entraîner au lancer de cognard. Une voix l’appelle, c’est le moment idéal pour foncer. D’un bond je franchis les derniers mètres qui me séparent du jardin. L’air frais du mois de juillet frappe mes narines de son pollen. Sans m’arrêter je cours le plus loin possible de la fenêtre de la cuisine pour me dissimuler aux yeux de ma mère. Je ne tarde pas à retrouver Osgar affairé à enlever les gnomes du jardin et grand-mère est avec lui.
« Tient donc regardez qui vient nous rejoindre » Je lui offre mon plus charmeur des sourires, cela fait longtemps qu’elle a arrêté de me gronder pour ces escapades. Surtout depuis la grande nouvelle. J’en trépigne encore d’excitation en y pensant. Je suis belle et bien une sorcière. Moi aussi j’ai des pouvoirs. Moi aussi je peux faire éclater les verres quand je suis vraiment en colère. D’un geste de main elle m’invite à se joindre à eux, nous savons tous les trois qu’on aurait tous les droits à une leçon de moral de Ceana, mais cela n’a pas vraiment d’importance. Nous sommes trop jeunes ou trop vieux pour ne pas profiter pleinement de la vie comme elle vient.
« Attention Lexis, voilà le premier pour toi ! » Sans attendre plus longtemps je lève ma jolie batte d’enfant prête à frapper de toute la force de mes petits bras pour lancer ce visage terreux le plus loin possible de notre jardin. Un sport assez commun quand on est une famille de sorcier habitant dans le coin le plus perdu d’Ecosse. Et encore nous avons de la chance, le climat maritime ne leur plaît pas tellement et la chasse est souvent courte. Cet été là, j’ai fait bien attention de faire le plus de choses possibles avec Osgar. De prendre le plus de photos possibles avec mon appareil magique. Je ne veux pas qu’il m’oublie lorsqu’il se sera fait tout plein de nouveaux amis à Poudlard.
Des larmes salées coulent le long de mes joues. Je m’étais pourtant promis de ne pas pleurer comme un enfant. Mais je voudrais tellement monter dans le train avec lui aujourd’hui. C’est injuste de le voir partir sans moi. Avec qui je vais pouvoir jouer aux cartes magiques ? Avec qui je vais pouvoir apprendre à voler sur un balai ? Avec qui je vais pouvoir aller ramasser des coquillages entre les rochers coupants de l’océan ? Avec Matteo ? Surement pas. Il est si différent de moi que je me demande s’il est vraiment mon frère. Il a cette fâcheuse tendance à vouloir saccager tout ce que je fais. De nous quatre il a toujours été le plus taciturne, ne participant presque jamais à nos jeux d’enfants, préférant l’intimité de sa chambre à l’immensité du monde. Je n’ai aucune envie de devoir le supporter toute seule. Le rôle de grande de la fratrie n’est pas pour moi. D’un geste rageur contre moi-même je sèche mes larmes sur ma manche. Mes dents se serrent contractant les muscles de ma mâchoire et je descends de voiture déterminée à ne plus montrer ma tristesse. C’est un grand jour pour Osgar et je ne veux pas qu’il garde de moi l’image de la petite sœur en pleure sur le quai. Je vaux mieux que ça.
Ma joue brûle douloureusement. Mes yeux lancent des éclairs et la tempête gronde au fond de mon cœur. Elle emporte toute mon âme me rendant presque aveugle à toute autre chose autour de moi. Je ne distingue que le visage déformé par la rage de mon frère. La main coupable de Matteo est restée en l’air comme s’il ne lui appartenait pas. Pourtant c’est bien la sienne qui est venu frapper ma peau. J’ai presque envie de l’étouffer sur place et tout autour de nous les objets vibrent dans une cacophonie alarmante. Mes iris plantées dans les siennes je sens monter en moi des sentiments que j’ignorais jusqu’à présent. Un mélange de haine mêlée à une effroyable envie de faire mal. Je pourrais presque avoir peur de moi-même, mais je bien trop prise dans ma tourmente pour m’en soucier. Lentement je distingue l’expression changer sur son visage. Ses propres yeux commencent à fléchir et à trembloter de terreur. Oui c’est clair maintenant, je lui fais peur. Du haut de mes onze ans je le domine largement. Pas spécialement par la taille, mais par mon caractère. Lui qui se montre toujours effacé, le voilà au pied du mur face à une montagne d’énergie. Un pas de plus me rapproche de lui et je vois qu’il lutte pour ne pas s’enfuir en courant. Le rouge de la honte lui monte aux joues mais je n’ai que faire de ses remords. Il est trop tard. Ses mains coupables ont déchirées ma lettre d’admission à Poudlard. Ces mêmes mains coupables viennent de franchir la dernière limite. Ces mains coupables ont osées se lever sur moi. De cette erreur il ne pourra jamais se faire pardonner. Au fond de moi je sens un quelque chose se briser. Comme si je ne reconnaissais plus ce frère qui se tendait face à moi.
« Alexis » Je reste sourde aux moindres sons autres que les battements de mon cœur. Ce dernier tambourine avec une force douloureuse contre ma poitrine. J’ai l’impression qu’on peut en distinguer la forme tellement il frappe avec force contre mes côtes.
« PAR MERLIN ALEXIS ! » la poigne de fer de mon père me saisis au niveau des épaules. Brutal retour à la réalité. Mes yeux flamboyant se détournent vers lui. Une flamme de peur brille dans son regard.
« Ce n’est plus mon frère » la sentence est sans appel. D’une voix froide aussi tranchante que l’acier je raille cet être de ma vie.
« Tant mieux, de toute façon les Dearborn sont tous des traites » Sa réponse pleine de fureur gronde dans le silence soudain oppressant de la pièce. Je sens les doigts de mon père s’enfoncer dans ma peau. Pourtant aucun de nous ne bouge. Je sens mon sang battre dans mes tempes. J’ai soudain envie de courir loin, très loin. De remonter le temps, de me réveiller, de croire que tout ceci n’est qu’un cauchemar.
Assise dans le train je regarde par la fenêtre d’un air distrait. Je repense aux derniers jours qui ont précédé mon départ pour Poudlard. Il a été établi que Matteo avait rencontré un héritier Yaxley lors de son dernier camp pour jeunes sorciers. A neuf ans il n’est pas facile de se faire traiter de traitre, surtout quand on a une fierté aussi mal placé que mon petit frère. Mais tout de même. Cela n’explique pas son comportement et la claque résonne encore à mes oreilles. Depuis mes onze ans je devine que nos caractères divergents en tout point. Je ne comprends pas d’où lui vient une telle rancœur contre le monde.
« Soeurette, fais pas cette tête ! On dirait que tu as avalé un dragée surprise au goût vomi ! » Une forte mais douce tape dans l’épaule me ramène dans le wagon. Osgar me tend un nouveau paquet de chocogrenouilles avec un sourire. Il ne sait pas, je n’ai pas eu le courage de lui dire le drame de cet été. Lui qui a passé le mois d’août chez des amis, il ne sait pas quels ont été les propres de son jeune frère. Personne ne le lui a dit. C’est comme un secret acide au fond de ma gorge.
« Me dis pas que tu es triste de laisser Matty derrière quand même ? » La blague me fait presque sursauter et mes yeux s’assombrissent d’un coup. Heureusement, Osgar regarde déjà ailleurs tandis qu’un de ses nouveaux amis l’interpelle. Peu à peu je me laisse gagner par l’effervescence qui règne dans le train entier. Ce n’est pas tous les jours que l’on entre à Poudlard n’est-ce pas ? Je sens au fond de mon estomac comme des petits papillons qui me remuent l’intérieur. C’est encore mieux que la première fois que mes pouvoirs ont ouvert la porte du jardin fermée à clef pour moi.
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∴ L'adolescence nous fascine ∴
« L'échec est une redoutable force de vie. Si tu la perçois mal, l'utilises mal, cette force peut te happer, t'emporter et te réduite en miettes [...] Apprends à utiliser l'échec comme n'importe laquelle des forces qui s'entremêlent autour de nous. Sers-t’en pour rebondir, t'améliorer, rester positif. Toujours. » |
Une goutte de sueur glisse lentement le long de ma tempe. Je sens percer sur moi plusieurs regards attentifs pourtant je ne bouge pas un cil dans leur direction. Tous les organes de mon corps sont comme repliés sur eux-mêmes pourtant mon visage est parfaitement lisse. Mes iris sont vissés dans celles de mon adversaire. L’un comme l’autre nous essayons de deviner les intentions de l’autre. Mais aucun de nous ne laisse rien transparaître. Dans la salle commune les autres élèves présents retiennent leur souffle. C’est le moment crucial. Les jeux sont faits maintenant et nos gallions brillent doucement sur la table attendent sagement leur nouveau propriétaire. Pourtant aucun de nous ne bouge. Il faut dire que le compte est assez élevé ce soir et une certaine appréhension nous retient. J’entends déjà la voix de Osgar me crier dans les oreilles que je devrais me montrer plus raisonnable, que ce n’est pas mon argent et j’en passe et des meilleures. Bien sûr il a raison, comme souvent. Mais c’est plus fort que moi. Depuis mon arrivée à Poudlard ma passion pour le jeu n’a fait qu’augmenter proportionnellement au nombre de joueurs à défier. Heureusement pour moi je suis devenue plutôt douée aux cartes et aux parties d’échecs magiques. Mais je suis loin de gagner à chaque fois. La chance, sournoise s’immisce toujours sinueusement dans les parties. Et c’est encore ce que je préfère. A jouer sans risque il n’y a pas de victoire. J’aurais pu me contenter du Quidditch c’est vrai. Mais l’adrénaline n’est pas la même. Dans les parties de cartes, face à face avec son adversaire, la tension est plus impressionnante, plus palpable.
« A trois » ma voix est vibre malgré mes efforts pour en garder le contrôle. L’excitation est trop présente, trop saisissable. Malgré nos airs graves nous nous amusons follement. Il est mon adversaire le plus redoutable et je le luis rend bien.
« Un » sa propre voix trahit son anxiété où se mêle l’adrénaline.
« Deux » le silence semble se faire tout autour de nous, chaque cœur s’arrête de battre
« Trois » d’une même voix et d’un même geste nous abaissons nos cartes. Mes iris sautent de ses yeux sur les couleurs qui dansent dans sa main. Mon cœur a un raté suivi d’un long soupir commun. La pression se relâche et tout autour de nous les paroles fusent à nouveau. D’un geste tremblant je passe une main dans mes cheveux avant d’éclater d’un rire franc et rejetant la tête en arrière.
« Quelle belle partie c’était ! Ca m’a épuisé ! » Son rire se mêle au mien alors que je laisse mon dos s’affaisser contre le dossier de mon fauteuil.
« C’est pas tous les jours qu’on en fait des comme ça, j’ai bien cru que j’allais craquer avant toi ». D’un geste souple j’étends mes phalanges vers le tas de gallions. Pour une fois je vais pouvoir me payer quelques sucreries lors de la prochaine sortie à Pré-Au-Lard.
« Ne fait pas cette tête, tu auras te revanche la prochaine fois ». La soirée reprend son cours et déjà nos spectateurs repartent s’occuper de leurs propres affaires. Je suis tout à fait grisée par cette partie de carte et d’un geste distrait je joue avec une pièce, j’ai seize ans et tout est possible.
Pourtant les ombres étendent leurs doigts fins sur le monde magique. Je n’y suis pas aveugle, mais ma jeunesse ne s’intéresse pas toujours à ces histoires. J’ai d’autres batailles à mener au château. Matteo est de plus en plus désagréable et ses fréquentions mauvaises. Pourtant nous avons réussi à recoller quelques morceaux. La famille ça ne s’efface pas comme ça et malgré nos différents je l’apprécie. Je crois même que je devine le danger qui plane sur sa tête et une parcelle de mon être tremble pour lui. Il faut dire que tout s’est accéléré ces dernières années. Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom sème la terreur sans que personne ne semble être en mesure d’y faire grand-chose. A dire vrai, c’est bien grâce à lui que j’ai décidé de m’orienter vers le dur métier d’auror. Lors d’une discussion avec une amie de dortoir j’ai réalisé quelles étaient mes réelles motivations. Au-delà de mon intérêt personnel pour les métiers d’actions, j’ai toujours été ce type de personne qui pense que la meilleure défense reste l’attaque. C’est bien beau de vouloir se plaindre qu’un mage noir cherche à décimer les sorciers au sang douteux, mais ça ne sert à rien si on ne se donne pas les moyens de se défendre contre lui. Certes, c’est très prosaïque comme façon de penser, mais je ne suis aussi le genre de personne qui ne se complique pas la vie en tournant sept fois ses pensées dans son cerveau avant d’agir. Et surtout il y a Alison, si fragile et si adorable. S’il devait lui arriver malheur je ne veux pas me reprocher de n’avoir rien tenté pour la protéger.
Comme un magnifique cadeau de Noël on nous annonça un sortilège capable de nous protéger pour de bon contre les attaques mortelles de ce Lord.
« Tu en penses quoi toi, l’auror en herbe ? » D’un mouvement je posais mon journal sur la table fixant avec franchise mon grand frère. Nous avions décidés de passer Noël en famille cette année, en bonne famille unie. Même Matteo assis dans un coin était de la partie. Assise de travers sur le banc de bois qui longeait la table de la cuisine je marquais une légère pose de réflexion.
« Pour tout te dire, ça me parait bizarre cette histoire. Je vois mal quel sortilège pourrait nous protéger à coup sûr de lui. Mais ce n’est pas parce que ça me parait bizarre que ce n’est pas possible. On ne pensait pas possible de trouver un sortilège suffisamment puissant pour empêcher le transplanage dans un endroit, et pourtant cela a été fait. » Je marquais une nouvelle pause avant de reprendre avec un hochement de tête
« mais si tu veux mon avis, ça va clocher quelque part. Je suis pas convaincue que ça marche à tous les coups. Mais ça on ne le saura qu’une fois une personne se fera tuer. » Osgar hocha de la tête à son tour tandis que Matteo émettait un drôle de ricanement derrière son grimoire. Pour lui ce sortilège n’était qu’une mascarade faire pour rassurer la population. Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort après tout.
Et un court instant je me rangeais de son avis ce fameux soir où nous nous regardâmes tous dans les blancs des yeux avant d’éclater de rire. D’un coup tout me parut ridicule, je me sentais parfaitement ridicule d’avoir pu y croire ne serait-ce que l’espace d’une seconde. Le gouvernement britannique semblait être tombé bien bas pour vouloir à ce point-là nous berner. Pourtant un doute subsista en moi. Un gouvernement ne peut pas lancer une telle nouvelle en sachant que ça ne donnera rien. Cette histoire cachait quelque chose je le pressentais. Mais j’étais loin de me douter de quoi il en retournait.
Assise sur mon lit en baldaquin je regarde perplexe cet aigle posé sur ma table de chevet. Mon cœur bat douloureusement dans ma poitrine et je ne sais que penser. Je déglutis avec difficulté mais je ne trouve rien à dire de plus. Ma mâchoire se serra involontairement alors que j’essaye de prendre la mesure de ce qu’il se passe. Mon patronus est désormais parfaitement palpable. Aussi réel que mon hibou. Aussi présent que ma voisine de dortoir. Rien de ceci n’est un rêve. Nous sommes deux désormais.
« Artchie c’est ça » ses yeux ambrés me fixent et cela me met mal à l’aise. Mon patronus a un nom. Une pensée. Une voix. Je me laisse tomber sur mon lit dans un soupire les yeux fermés. Un claquement d’ailles perce le silence alors qu’une masse atterrit près de moi. Le contact d’une fourrure contre mon bras me force à ouvrir les yeux. L’oiseau c’est changé en hermine d’un blanc neigeux. « Sympa le coup de la transformation » Je ne sais pas encore si cela m’enchante vraiment ou non. Il faudra voir avec le temps. Il faudra bien s’habituer.
Une douleur sans nom m’étreint les entrailles alors qu’un cri étouffé traverse mes lèvres serrées. La tristesse que je ressens est sans nom.
« ARTCHIE » involontairement j’ai hurlé dans le vent. Peu à peu la douleur s’atténue alors qu’un aigle fend les nuages d’un trait vif. A peine se pose-t-il sur mon épaule qu’il change de forme pour venir se lover dans mon coup.
« Ne fait plus jamais ça. Pas pendant que je vole » ma voix est encore achée par le souvenir de la douleur.
« J’ai été emporté par un courant d’air ascendant Lexie je suis désolé, je ne l’ai pas fait exprès ». D’un revers de manche j’essuie les larmes qui flottent au coin de mes yeux avant de reprendre mon souffle. Même si nos liens sont devenus forts, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine amertume. Je ne suis plus aussi libre qu’avant. Désormais je ne peux plus aller là où il n’est pas. Je ne peux pas rester seule, jamais. Je suis comme enchaînée à cette partie de moi. Sans savoir pourquoi cette perspective m’angoisse profondément. Il est mon point faible le plus visible et le plus facilement atteignable. Je ravale mes larmes salées avant de reprendre le cours de ma vie.
Tout n’a s’est enchaîné très vite après ça. Poudlard a bien changé et il n’est plus le havre de paix et de sécurité que nous connaissions. Le meurtre d’un élève en mai 1979 est venu annoncer le début d’une nouvelle ère. Malgré mes airs parfois hautains, la peur commence à infiltrer mon corps. Bien que descendant d’une grande famille du sang moldu coule dans mes veines et chaque jour qui passe je me sens de plus en plus mise sur le devant de la scène malgré moi.
Sous mes paupières closent mes yeux roulent nerveusement. Je voudrais me réveiller mais les fils de mon cauchemar sont trop emmêlés à ceux de mes souvenirs pour que je parvienne à m’extirper de mon rêve. Les cris retentissent avec effroi dans mes oreilles alors que je sens l’herbe fraîche tremper mes pieds nus. Je n’ai pas pris le temps de m’habiller et ma chemise de nuit flotte en tourbillon derrière moi. J’ai le souffle court mais je ne m’arrête pas. Des éclairs de lumières transpercent la nuit sombre mais je ne me retourne pas. Soudain je trébuche sur une pierre. Mes mains atterrissent sur l’herbe moelleuse alors que la douleur s’empare de mon pied droit. Au même instant un éclair vert passe au-dessus de ma tête et frappe la jeune sorcière qui me devançait. Un frisson parcourt mon échine alors que je contemple incrédule le corps immobile allongé à quelques pas de moi. Archie tremble dans mon coup, je sens les battements de son petit cœur en échos du mien tambourinant dans ma poitrine. Ensemble nous avons vu le mince filet brumeux s’envoler dans la brise nocturne. Jamais je n’ai tant pris la mesure de son existence et de sa disparition complète à ma mort. Ce n’est plus seulement pour moi que je dois me battre, mais pour lui aussi. D’un geste brusque je me redresse sur mon oreiller, les cheveux trempés de sueur. Mes mains tremblent lorsque j’enfouis mon visage dedans. La mort à quelque chose de terriblement définitif.
L’inquiétude s’est emparée du château. Nous sommes désormais mêlé aux troubles du monde magique jusqu’au cou. Suite à une énième attaque des Mangemorts lors du tournoi de Quidditch, le grand Dumbledore lui-même a saisi l’ampleur du danger laissant la direction de Poudlard à l’ancien ministre de l’éducation, M. Augustus Powell. Personnellement je suis convaincu que c’est une bonne chose. Je voudrais tellement avoir déjà fini les cours et pouvoir consacrer mon temps libre à la persécution de ces meurtriers sans vergogne. Pourtant sur la pente savonneuse de la vengeance je sens mes pas glisser lentement. Comme si cette part sombre de moi-même grignotait chaque jour un peu de terrain. Quand je repense aux pulsions affolantes qui s’étaient emparées de moi face à mon jeune frère, je sens mon âme trembler. Jusqu’où serais-je capable d’aller pour calmer la rage qui bouillonne en moi ? Où établir la frontière entre justice et exécution ?
Ma mâchoire se contracte avec fureur, mes iris émeraude sont aussi sombres qu’une nuit sans lune. Cette fois je ne fuis pas. Le train roule à toute allure emportant son lot de cadavres surpris. Ma main ne tremble pas lorsque les sorts fusent vers nos agresseurs. Sans hésiter, sans un regard en arrière, j’ai franchis la ligne. Je me laisse submerger par ces envies de faire mal. Envies morbides qui guident mes pensées. Ma colère est aussi rouge que le sang qui jaillit des blessures causées par mes sortilèges d’attaques. Pour une fois je me sens entière, Archie plante ses griffes dans la fourrure grise d’un chien dans un cri perçant. L’attaque est la meilleure défense. Je n’entends pas Alison qui essaye de calmer mes ardeurs, qui me supplie d’arrêter. Je sens sa présence derrière mon dos et c’est pour elle que je me lève, rempart acéré contre la vague meurtrière qui submerge le Poudlard Express. Je ne me suis jamais sentie aussi forte que ce jour-là.
Aujourd’hui mes forces s’amenuisent. L’amertume a rejoint l’ensemble des sentiments qui me tiennent éveillés la nuit. D’un air distrait je caresse les plumes ébène d’Archie. Ses yeux ambrés me fixent avec inquiétude. Cela ne fait aucun doute, le verdict est tombé comme une hache d’argent. Nous sommes « contaminés ». Avec les jours, les semaines, les années, nous sommes devenus des compagnons fidèles. Il est le seul qui comprenne mes sentiments et partage mes accès de rage sanglante. La perspective de le perdre transperce mon cœur de milles lames. J’ai toujours ressentie une peur affolée de l’avenir irrémédiable. Or cette maladie représente toute cette fatalité. Quoi que je fasse, quoi que je dise, cela ne changera rien. Dans nos veines elle continuera à se propager, à évoluer, à s’installer, à le tuer. Le regard perdu dans la contemplation du plafond, une larme s’échappe de la commissure de mes paupières. Il n’y a rien d’amusant dans ce jeu-là. La vie ne fait que se moquer de nous. La donne est pipée d’avance, c’est écœurant.