La famille est le paradis dans un monde sans cœur ϟ Lorsque je repense à mon enfance, je n'ai pas d'image précise. Pour tout avouer, je vois la scène comme si j'étais un corps à part, une simple spectatrice devant un film de mauvais gout. Je me vois, pas plus haute que trois pommes, les joues rouges et les cheveux presque blancs, cachée derrière le bureau de mon père, à ses pieds alors qu'il travaille sur un dossier. Mon père a toujours été un homme qui aurait fait n'importe quoi. N'importe quoi pour moi, sa fille, alors qui n'accordait que peu d'importance à son autre fille, qu'il ignorait. C'était mieux pour elle. Elle n'était pas comme moi. J'étais calme alors qu'elle était effrontée. Il avait déjà levé la main sur elle mais son geste ne fut jamais fini. Ce n'était un secret pour personne, il était tellement plus simple de faire semblant. Je gloussais alors qu'elle m'appelait, d'un air désespéré. Je savais que la partie était gagnée d'avance. Jamais elle n'oserait rentrer dans le bureau.
Quelques instants plus tard, je bondis sur son dos en hurlant à en faire trembler la maison, fière de moi. D'un geste brusque, ma sœur me dégagea de son dos avant de se tourner vers moi, ses petits yeux plissés vers moi, accusateurs et méchants. Je finis la moue.
« Oh, allez, ce n'est qu'un jeu, lui dis-je tout en souriant de toutes mes dents.
- Tu sais que je ne veux pas rentrer dans son bureau, c'était de la triche. »
Elle continua son chemin, me laissant seule dans ce couloir sombre. Je me vois encore m’affaler contre le mur rouge en me demandant ce qui m'était passé par la tête.

C’est tellement mystérieux, le pays des larmes ϟ Je devais être sûrement la moins forte de la famille. Celle qui craquait derrière le dos des autres. Celle qui essayait de garder sa fierté derrière sa fragilité qui grandissait jours après jours. Certes, j'avais le pouvoir de me libérer mais je m'en empêcher. Je me l'interdisais.
Les couloirs étaient humides, dû à la pluie battante de dehors, et sombres. J'errais dans ceux-ci sans but, les mains dans les manches, la capuche du sweat sur la tête, les cheveux sales et les joues humides. On aurait pu croire que Bucéphale aurait fait son apparition, son regard accusateur et les oreilles en arrière mais c'est White qui était à mes côtés, à peine percevable pour ceux qui ne faisaient pas attention. De son pas maladroit et peu sûr, il me suivait en poussant des cris stridents pour que je l'attende. Je finis par m'effondrer sur le sol, les fesses les premières, la tête entre les mains alors que White vint de loger contre moi en miaulant. Comment en étions-nous arrivés là ? Une dispute, encore. J'avais arrêté de les compter depuis des semaines. Elles se faisaient de plus en plus régulières et intenses. Était-ce si étonnant ? Non. Qu'est-ce que deux êtres comme nous faisons ensembles ? Je serrai les poings. Je n'étais pas comme lui. Je valais mieux que ça. Mieux que lui. White laissa un nouveau cri d'appel. Je ne pus résister plus longtemps à son miaulement qui raisonnait dans les couloirs. Je le pris dans les bras pour le serrer contre moi. Comme une enfant avec sa peluche. On me répétait sans cesse de grandir. Encore fallait-il que ce soit possible. Que je m'en sente capable. Que je le veuille.

La beauté plaît aux yeux, la douceur charme l'âme. ϟ Je murmurai la formule. Une épaisse fumée blanche sortie de l'extrémité de ma baguette avant de prendre la forme d'un bébé once qui, à peine formé, courra sur les murs, bondissant de meubles en meubles dans un silence de plombs. Les patronus étaient le reflet de notre âme, ce que l'on ressentait au fond de nous, représentant nos forces comme nos faiblesses. Peut-être était-ce pour cette raison que j'aimais autant ce sort ? Très certainement. Il était comme mon meilleur ami, qui m'accompagnait dans mes moments de joies comme dans mes peines. Je le regardais s'enroulait à mes côtés. Je passais ma main et la fumée s'évapora, comme un rêve. A cet instant, j'aurais aimé que ma vie soit un rêve.
Je me réveillai en sursaut en entendant mon père hurler à l'autre bout de l'appartement. Paniquée et alarmée par ce cri, je me levai sans prendre le temps d'enfiler mon peignoir pour me précipiter vers le salon. Mon père avait le visage déformé par la peur et l'incompréhension.
« Va-t'en, ma chérie, va prévenir quelqu'un, je le retiens ! »
Je le regardais, désarmée et interrogative face à son comportement. Un miaulement s'échappa de derrière le canapé où mon père était perché. Je fronçais les sourcils, ne sachant que penser de la situation, qui, si mon père ne semblait pas si bouleversé, aurait pu être un acte digne d'une pièce de théâtre. Je me penchais pour regarder quel était le monstre qui terrorisait mon père.
« White... » mumurai-je pour moi-même.
Je m’affalai sur dossier du canapé, m'écrasant le ventre à m'en couper le souffle pour prendre le petit once dans mes bras. Aujourd'hui encore, je me demande pourquoi je n'ai pas été étonnée de ce phénomène. Un instinct ? Sûrement.