Les souvenirs de mes onze ans sont bien loin,  mais, ce jour-là, je m'en rappelle très bien. Ma soeur n'avait que cinq ans et je devais toujours m'occuper d'elle. Mes parents? Ils n'étaient jamais là. Ils travaillaient tous les jours et lorsqu'ils n'allaient pas au bureau, ils étaient occupés à d'autres choses. Je me demandais même s'ils se rappelaient qu'ils avaient des enfants, parfois.

J'avais entendu le facteur qui passait et j'allais vers l'entrée. En ouvrant la porte, un hibou me regardait, perché sur une branche d'un arbre à côté de la maison. Il s’envola rapidement et ne devint qu’un point éloigné dans le ciel. Je pris le courrier au pas de la porte, sans vraiment regarder les enveloppes. J'étais jeune et les factures ne m'intéressaient aucunement. J'avais donc lancé ces enveloppes sur la table de la cuisine, attendant que les adultes de cette maison les voient en entrant du travail. Étrangement, mon père entra plus tôt sans que je ne comprenne vraiment pourquoi encore aujourd'hui. Sans nous regarder, il prit le courrier et regarda chaque enveloppe. Devant l’une d’elle qui était cachetée avec de la cire rouge, il s'arrêta, perplexe. Il rejeta le reste sur la table et me tendis celle-là, m'indiquant qu'elle m'appartenait. Je me rappelle avoir observé cette lettre pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que mon père me tape sur l'épaule en me disant de l'ouvrir. C'est à ce moment précis que ma vie bascula dans un monde que je ne connaissais même pas. En la lisant, je n'avais pas l'impression de comprendre quoi que ce soit. En fait, autant j'étais troublé de lire ces mots, autant cela éclaircissait tellement d'aspects  incompréhensibles dans ma vie. Des moments comme le jour où j’avais fait exploser tous les ballons d’anniversaire de ma petite sœur parce que j’étais fâché contre mon père. Le truc, c’est que les ballons avaient tous explosés en même temps sans même que je n’en touche un seul.

Voyant que je ne réagissais pas, mon père me pris la lettre des mains et commença à lire. Il parut fâché, en colère même. Il m'envoya dans ma chambre et je ne pus pas sortir avant l'heure du repas du soir. Ma mère avait lu la lettre, c'était évident. Elle ne me dit rien, pourtant. Aucun des deux ne daigna me parler, ils m’ignoraient presque! Je dû donc me rendre seul pour acheter ce qu’il y avait sur ma liste. Je ne comprends même pas encore comment j’avais fait pour trouver comment m’y rendre, mais à 11ans, j’étais déjà assez débrouillard.

Tout cela m’impressionnait. Jamais je n’aurais pensé que la magie deviendrait mon quotidien, et pourtant. Je posais toujours tout plein de questions à tous ceux que je voyais, m’informant de tout ce que je pouvais. Malheureusement, certains m’envoyaient dans des endroits peu fréquentables, voyant que je ne connaissais rien et que j’étais prêt à croire tout ce qui m’entourait. Tout sourire, je me souviens m’être rendu dans l’allée des embrumes et m’y être perdu pendant un moment. Un enfant de 11ans, sans ses parents et qui croit tout ce qu’il entend, cela ne pouvait pas bien finir. Je m’en sortis pourtant relativement bien, retrouvant mon chemin avec quelques problèmes, évidemment.

Le jour de la rentrée, je rejoignis le train de la gare 9 ¾, du moins, j’essayais. Je ne comprenais pas comment nous pouvions bien nous rendre. Tous ceux à qui je demandais se moquaient de moi. Je finis par m’adosser à une colonne entre les gares 9 et 10. Sans comprendre, je me retrouvais étalé au sol, complètement à un autre endroit, entraînant tous mes bagages au sol. Je passais d’une gare presque vide à une remplie de gens qui arrivaient de partout. Un grand train rouge se remplissait d’étudiants, et les parents restaient sur le côté, les regardant partir.

Le voyage fut long, considérant que je ne connaissais personne. Déjà à cet âge, mon style était un peu différent. Habillé tout en noir, un veston de cuir sur les épaules, je n’avais pas l’air de n’avoir que 11 ans. Pourtant, aussitôt que je posais une question, tout le monde riait et me trouvait bien ridicule parfois. Rares étaient ceux qui m’aidaient. Mes cheveux bleus n’aidaient pas à la cause, même si ils pouvaient trouver ça « cool ».

J’étais tout de même impressionné par toute cette magie qui m’entourait. Tout était tellement différent, même les gens l’étaient. J’étais déstabilisé par tout ce changement, et un peu stressé aussi. J’essayais tant bien que mal de parler aux gens qui m’entouraient, faisant des blagues et posant des questions sur tout et n’importe quoi. Ma curiosité l’emportait, et tout m’intéressait.

Plus les années passaient, plus tout m’impressionnait. Lorsque je revenais à la maison pour l’été, c’était comme si je sortais d’un rêve. Abandonné à la maison avec ma petite sœur, j’étais vraiment heureux de la revoir, mais la situation familiale ne me manquait aucunement. Je m’occupais d’elle et lui racontait toutes mes petites histoires magiques. Pour elle, j’étais comme un héros, et rien ne pouvait me détrôner. Elle m’admirait, et moi je la protégeais, je la serrais fort dans mes bras et lui disais qu’un jour, tout allait bien aller et que nos parents s’occuperait peut-être de nous.

Mais, à l’âge de 16 ans, c’est les larmes aux yeux que je quittais cette maison après être allé la voir une dernière fois. Je lui promis alors que je reviendrais un jour, qu’elle allait me revoir, mais je savais très bien que cette maison, je n’y remettrais plus les pieds. J’ai abandonné ma sœur pour me sortir de cet enfer. Je l’ai abandonné alors qu’elle n’avait que 10 ans. Elle était si jeune, mais cette situation ne me convenait plus. Ma maison, c’est le monde magique, un monde où je peux vivre comme je suis, où je peux rire et bien vivre, en paix. Mais j’ai abandonné ma sœur.