La magie existait depuis  toujours : dans les livres de sa mère, dans les yeux de son frère… La magie existait dans ses rêves à elle, dans son sang aussi, disait son père. Parce qu’ils avaient le même, évidemment, et que son père était grand, tellement grand.
Il avait abandonné le monde sorcier par amour, bien qu’aucun de ses enfants ne comprennent le sacrifice. Parce que c’était accepter un monde où l’on ne possédait aucune place : celui des  moldus. Un monde, un pays aussi, leur père n’était pas anglais. Quelque chose en eux, du fond du cœur, parfums d’oranges et rêves de crépuscule…

De temps en temps, il leur parlait une langue qu’ils apprenaient tous les trois, les fils, la fille, qu’ils apprenaient mais ne parleraient jamais comme lui. Comme lui qui chantait trop dans son anglais, qui se trompait tristement, mais toujours souriait. Et Khira savait, savait qu’il n’y aurait peut-être que lui pour la nommer ainsi qu’il l’avait appelé. Que les autres se tromperaient toujours, que les autres se tromperaient souvent, elle et son prénom d’une autre terre, d’une autre langue.  Elle-même ne saurait le faire, londonienne et non déracinée, il y aurait toujours cet accent de la ville pour se cacher dans les consonnes, dans les voyelles. Accepter de porter un prénom écorché, accepter de s’écorcher elle-même…


Y repensait-elle, sa mère, aux jours heureux ?  A cet homme jurant de ne plus faire de magie pour simplement vivre dans son monde à elle ? Il avait des cicatrices au cœur, il avait des cicatrices au visage et la serrait fort, trop fort dans ses bras comme plus tard il le ferait de leurs enfants. Parce que le monde sorcier était dur, parce que le monde sorcier était  laid, qu’on y souffre et qu’on y meurt lorsque lui ne voulait aimer qu’elle. Que des gens trouveraient les mots pour condamner cette affection, parce que le temps n’était pas à l’amour, ne le serait jamais. Alors il choisissait cet autre monde, celui de la vapeur et de l’électricité, celui du bruit et de la fureur, des guerres et des échecs..
Il choisissait d’être la personne à condamner. Lui, lui plutôt qu’elle. Que le monde sorcier les oublient, elle et son sang moldue, que l’autre monde l’insulte lui, sa peau bronzée, son regard d’étranger.
Qu’il soit le seul à être crucifié à la haine et aux mensonges.
Et par delà tout cela, ils s’aimaient. Il y eut un fils tout d’abord, fort et beau, les yeux bleus de sa mère, le cœur de lion de son père, ainsi disaient-ils. Un fils, un enfant qui ne découvrit  d’abord la magie qu’au travers des romans que sa mère écrivait. Car son père restait silencieux, restait secret…Quant à ses 11 ans une lettre arriva, alors enfin le père parla. Tout ce qui était parti, tout ce qui n’était plus là, sa vie à lui, l’homme qu’un jour son fils sera.

Un enfant, une histoire, des amours, des amis, des peines et des défis. Un monde sorcier qu’il embrassait avec force, y trouvant ses racines, sa volonté. Un enfant, un fils aîné qui déjà s’en allait. Il y eut beaucoup d’écart entre lui et les jumeaux, vingt ans, presque vingt. Et quelle importance, peu importe l’âge le gouffre est toujours trop grand entre les aînés et les cadets.
Avec ce frère aîné, les jumeaux n’eurent pas la même enfance, plus conscients que deux mondes coexistaient. Si leur père était un homme triste, et leur mère une femme amoureuse, leur grand frère était lui, un puissant sorcier. Du moins l’espéraient-ils…

ET les jumeaux imaginaient avec toute la force de l’enfance ce que serait leur vie à eux. Ils étaient proches, trop proches peut-être pour ne pas espérer souffrir, le frère et la sœur, la sœur et le frère. Des disputes et des colères parfois, ce manque intense finalement lorsque l’autre n’est pas là. Un langage qu’ils inventaient pour eux, rien que pour eux, dérivé de l’anglais de leur mère, des mots arabes de leur père…
Lui voulait tout savoir des langues mortes et oubliées, elle, elle voulait parler et encore parler, rêvant d’écrire elle aussi peut-être, brûlant d’inventer. Nés avec le merveilleux au pied de leur porte, les jumeaux ne voyaient aucune limite à leur univers.

Jusqu’à la lettre.

Une seule, une pour les séparer, une pour les faires grandir comme grandissent les blessés. Parce que le nom sur l’enveloppe, c’était celui de Khira, parce que son frère ne viendrait pas. Une sorcière, un cracmol, et pourquoi ? Peut-être était-ce de sa faute à elle, peut-être que dès le ventre de leur mère, elle avait aspiré toute la magie qu’il aurait dû posséder ?
Il ne pleura pas, elle si, coupable, abandonnée autant qu’elle l’abandonnait.

Elle crut détester l’école, la haïr au point de vouloir en détruire chaque pierre, cela dura quelques heures peut-être, cette colère enfantine. Quelques heures et tout disparut, il ne pouvait en être autrement.
A Poudlard, elle eut des amis, des joies et des chagrins, une vie où l’on ne lui connaissait aucun jumeau, juste un frère aîné parfois pour les professeurs capables de s’en rappeler. Une solitude étrange, où le silence l’effrayait un peu, où un regard lui manquait parfois… A chaque vacances elle retrouvait tout ce qu’elle avait quitté : un père, une mère, un frère surtout, un allié. Elle le retrouvait, ou peut-être pas vraiment car il grandissait, choisissant d’autres chemins. Parfois ils ne se parlaient pas, à peine une main pour se saisir de l’autre, parfois il l’oubliait, disparaissait, et Khira repartait le cœur lourd jusqu’à son autre vie.  

Une vie protégée de tout en dehors des querelles infantiles. Son jumeau n’avait pas cette chance, fugueur à moitié, haineux et aigri lorsque ses lettres disaient le contraire pourtant. Jusqu’à sa propre sœur il se fermait…
Elle, elle ne savait rien de la drogue, elle ne savait rien de l’alcool, des mondes qu’il détruisait, celui de ses rêves, de ses futurs.

A quatorze ans, il déserta définitivement la maison, déscolarisé, perdu, en guerre contre le monde, en guerre contre lui-même.
Ce fut leur frère, leur aîné, adulte et fort qui écuma les rues à sa recherche, et Khira ne sut cela que tard, bien plus tard. Elle que l’on protégeait…

A l’enterrement il fallut bien tout lui dire pourtant. Qu’elle comprenne un peu, le deuil au bord des lèvres, le cœur enterré.  Comprendre que les deux frères s’étaient retrouvés  finalement, le grand, le petit, mais que son jumeau n’était plus qu’un monstre de colère désormais. La haine lui sortait des yeux, la drogue ne le quittait pas, ne le quittait plus, trop jeune pour ça pourtant, mais le monde sans rêves savait se montrer cruel.  Il aurait dû y avoir une étreinte pour l’aîné et le cadet, comme un pardon, comme un baptême, mais il n’y eut que la violence, celle d’un animal bien plus que d’un homme ne voulant plus que s’échapper désormais. Il avait un couteau sur lui, les rues appellent à la violence après tout, il avait un couteau, et le couteau frappa. Le reste fut au-delà des mots, la douleur et le sang, le réflexe malheureux, celui d’un sort comme un bouclier, un sort offensif, mortel surtout.

Le frère tua le frère.

Le frère fut tué lui aussi, l’acier étant aussi mortel que la magie. Deux cercueils, une histoire absurde, une peine à oublier. Khira ne s’en releva jamais vraiment, différente, plus cynique, plus désabusée. Ses réactions furent de s’enterrer dans le travail, de devenir la meilleure ou du moins essayer. S’occuper la tête, s’occuper l’esprit, s’occuper pour oublier la vie. Il y eut les Patronus, il y eut la peste, les peurs des adultes, les espérances aussi. Elle-même se contentait de subir tout autant que de grandir. Elle passa ses examens, les B.U.S.E qui faillirent bien la laisser malade, encore trop ancrée dans le deuil, demandant trop d’efforts à son corps, à sa tête d’un coup d’un seul, puis les  A.S.P.I.C.S. Ce que son jumeau aurait voulu faire dans la vie, devenir vraiment, elle ne le savait pas, ne pouvait le deviner. On les avait coupé l’un de l’autre par un malheureux hasard, et la jeune fille avait bien compris que depuis Poudlard, il lui avait servi bien plus de mensonges que de vérités. Une vengeance, une vengeance qu’elle méritait.
Mais il y avait eu cet autre frère aussi, plus grand, trop grand, héroïque aussi, du moins elle l’espérait. Héroïque et tragique, alors elle qui ne savait plus que suivre, décida de prendre son chemin à lui.

Offensive Magique, parce que le monde ne faisait que vous attaquer.
Parce que Khira en avait assez de se défendre, désirait riposter.